La chute récente de trois créateurs stars révèle les excès de la mode. Et marque sans doute la fin d’un système.
A qui le tour ? En à peine plus d’un an, le monde de la mode vient d’encaisser le suicide d’Alexander McQueen, l’hospitalisation pour dépression du créateur de Balmain, Christophe Decarnin, et l’implosion de John Galliano. Aujourd’hui, il semble vivre comme dans l’attente de la prochaine descente aux enfers. Car si les cas McQueen, Decarnin et Galliano recouvrent des réalités différentes, l’enchaînement ne peut relever de la pure coïncidence.
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Au-delà de l’histoire personnelle de ces créateurs, au-delà aussi des tourments qu’ont toujours traversés les créateurs de mode, de Paul Poiret à Claude Montana en passant par Yves Saint Laurent, ces trois cas sont révélateurs des transformations récentes du secteur. Et trahissent la vulnérabilité nouvelle des créateurs.
Une bataille entre LVMH et PPR fait basculer la mode
Dans l’industrie de la mode, une véritable bascule s’est opérée en 1999. Cette année-là, le groupe PPR, dirigé par François Pinault, entre dans le secteur du luxe et se met en tête de racheter le groupe Gucci. Au terme d’une bataille homérique livrée au groupe LVMH de Bernard Arnault, c’est chose faite. LVMH riposte en multipliant les acquisitions. En quelques années, les deux groupes, en guerre ouverte, se partageront le marché du luxe.
Cette montée en puissance des groupes met à mal le modèle de la maison indépendante, stable, dans lequel le créateur est au centre de tout, protégé, comme le fut longtemps Yves Saint Laurent par Pierre Bergé.
« D’un coup, nous avons vu débarquer à la tête des marques des gens issus de la pharmacie ou de la cosmétologie, se souvient Donald Potard, directeur général de la marque Jean Paul Gaultier jusqu’en 2005. L’ambiance a changé. »
Le syndrome H&M
Les enjeux financiers, notamment ceux liés à la cotation en bourse des marques, ont pris le pas sur le travail artistique. Jusqu’à modifier le rythme de travail du créateur.
Traditionnellement, le créateur dessinait chaque année une collection printemps-été et une collection automne-hiver, auxquelles pouvait s’ajouter une ligne haute couture. Ce schéma est dépassé. « Aujourd’hui, il y a des précollections, les collections croisière, les capsules, ça ne s’arrête jamais », explique Olivier Saillard, directeur de Galliera (musée de la Mode de la ville de Paris), alors que Donald Potard souligne, lui, une sorte de syndrome H&M.
« Dans ces grandes enseignes, de nouveaux produits arrivent chaque jour en magasin et les marques de luxe tentent de suivre ce rythme. »
Créer plus pour vendre plus, évidemment. En quelques années, la fonction du créateur dans les grandes maisons de mode a donc changé. Plus éloigné du produit, il est devenu caution artistique. Il donne un souffle aux collections, certes, mais son travail est très encadré. Au point que l’une de ses principales fonctions consiste à incarner la marque. C’est notamment le cas pour Tom Ford (ex-Gucci), Marc Jacobs (Louis Vuitton), John Galliano (Dior) ou Karl Lagerfeld (Chanel).
Le créateur élevé au rang de dieu vivant
Tête de proue du système, le créateur fait presque figure de dieu vivant. Pour faire de l’image, il est même encouragé dans ses extravagances et ses excès. Selon Jean Touitou, fondateur d’APC, marque qui a toujours préservé son indépendance, c’est une partie du problème.
« Les financiers fabriquent le monstre en encourageant tous les excès. Tel créateur a besoin d’amener son chien au défilé à New York, mais le chien est un peu malade. On privatise la cabine première classe parce qu’il ne faut pas déranger le chien. Ils sont convaincus que le créateur est un personnage largué et torturé, à la Saint Laurent. Un créateur hétérosexuel non drogué, avec des gosses, qui arrêterait de travailler à 19 heures, c’est pas sexy dans leur imaginaire. Il faut exhiber la bête. »
« Avec Galliano qui venait saluer à la fin de chaque défilé dans une improbable mise en scène de lui-même, on atteint la limite du système », estime de son côté Olivier Saillard.
Répartir les tâches pour mieux tenir le coup
Un autre modèle semble émerger, à rebours du créateur star, sujet à toutes les pressions et à toutes les attentions. En 2009, quand Martin Margiela a quitté la maison qu’il avait créée, le groupe Diesel, propriétaire de la marque, a choisi de ne pas nommer un remplaçant direct. Il a réparti les responsabilités entre les différentes personnes du studio.
Aujourd’hui, la direction de Dior, propriété de LVMH, pourrait prendre une option du même genre. En remplacement de Galliano, elle envisagerait de nommer Riccardo Tisci, actuellement chez Givenchy, et Carine Roitfeld, l’ancienne rédactrice en chef de Vogue Paris. Un duo pour mieux tenir le choc.
Marc Beaugé & Géraldine Sarratia
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