A l’occasion de la sortie de leur bel ouvrage qui retrace année par année quarante ans de création, nous sommes allées interviewer Pierre et Gilles chez eux, au Pré-Saint-Gervais. Retour sur leurs débuts, quelques-unes de leurs photographies les plus célèbres et leur rencontre ratée avec Michael Jackson.
Ils reçoivent dans leur sanctuaire, un grand appartement en souplex rempli de babioles, d’objets religieux qu’ils accumulent lors de leurs nombreux voyages. C’est dans cet endroit, qui leur ressemble tant et dans lequel ils ont emménagé au début des années 90 que Pierre et Gilles habitent et travaillent ensemble depuis 40 ans au Pré-Saint-Gervais. Leur méthode est connue : Pierre prend la photo et Gilles la retouche et la repeint. Depuis leur rencontre, au début des années 80, Pierre et Gilles ne se sont plus quittés. Devant leur objectif et leur style, mélange de gay kitsch cher à James Bidgood et d’imagerie religieuse, ont défilé depuis quarante ans les icônes pop de chaque époque, d’Eva Ionesco à Stromae en passant par Jean-Paul Gaultier, Isabelle Huppert ou Madonna. Ils sortent aujourd’hui Pierre et Gilles un ouvrage qui retrace leur travail année par année depuis quarante ans, entre 1977 et 2016. Interview.
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Comment vous êtes vous rencontrés ?
Gilles : A une fête de Kenzo, qu’il avait organisé à son magasin. On se connaissait de vue, mais pas vraiment. Je l’avais repéré déjà ! J’avais bien bu, j’avais pris un petit quaalude et on ne s’est plus quittés à partir de ce moment là. On travaillait tous les deux pour le journal Façade ( inspiré par le Interview d’Andy Warhol NDLR), j’avais fait des illustrations et Pierre avait fait la couverture.
La collaboration artistique est venue naturellement ?
Pierre : Oui. On avait tous les deux une façon de travailler très artisanale.
G : On peignait directement sur des photos à une époque où cela ne se faisait pas. J’avais commencé à collectionner des photomatons quand j’étais étudiant aux beaux-arts du Havre. Avec Pierre on a continué. Tous nos amis nous en donnaient. Edwige par exemple. On a fait une série de portraits d’amis avec des grimaces en couleur. Cela a été publié dans Façade. A l’époque les couleurs étaient un peu ternes. J’ai donc eu l’idée de les retoucher en peignant dessus. J’ai retouché les yeux, les visages. Le résultat nous a plu. Je crois que la création c’est comme ça. Il faut tout faire. On a évolué, on fait des prises de vue en numérique mais on a gardé cet aspect « fait à la main ». Retoucher avec Photoshop ce n’est pas aussi beau.
Qu’est ce qui vous plaisait dans l’idée du photomaton ?
Pouvoir avoir l’image tout de suite. C’est comme les selfies d’aujourd’hui. Je collectionnais tous mes amis et aussi les photos d’inconnus. Nos influences c’était le pop art, Sarah Moon, Warhol. Je suis rentré aux Beaux arts en 1969, et il a été une révélation. On aimait son œuvre, mais aussi sa vie, ses idées. C’était un artiste homosexuel assumé, cela comptait aussi. Nous ne nous sommes jamais cachés. Le fait que nous soyons en couple a rendu cela très clair. On a travaillé pour Playboy et Gay-pied en même temps.
D’où vient votre intérêt pour l’imagerie religieuse ?
G : J’ai eu une éducation religieuse. J’ai un frère qui est moine, j’ai été enfant de cœur. Pierre aussi a eu une éducation religieuse. Cela a toujours été là.
P : Et puis lors d’un voyage en Inde, nous avons découvert des images religieuses incroyables, et notamment des images catholiques recoloriées. On a trouvé ça magnifique, on a eu un déclic. Je pense qu’il n’y a rien de blasphématoire dans notre façon de les utiliser.
Il y a très peu de groupes dans votre travail, vous avez toujours privilégié les portraits individuels. Pourquoi ?
Cela s’est fait comme ça. On a toujours été très attirés par le portrait. Je crois que cela part des visages et peut-être de notre façon de faire des photos. On prend toujours les photos chez nous. C’est un processus assez long. Il y a tout d’abord la fabrication du décor. On fait tout nous-mêmes avec notre assistant, qui nous suit depuis trente ans. Quand on l’a rencontré il était sans papiers. On l’avait engagé pour réparer notre télé et faire des travaux de peinture. Maintenant il est marié, il a eu la nationalité française. Il y a ensuite la prise de vue, puis tout le travail ensuite de peinture, de recoloriage. On produit une à deux photos par mois.
Vous sortez un livre qui retrace quarante ans de travail. Pourquoi avoir cette fois choisi de l’organiser année par année ?
On ne l’avait jamais fait. On avait regroupé nos travaux par thèmes. On a eu envie de retraverser les années, les gens qu’on avait rencontrés et de mettre en avant les icônes de chaque époque, d’Iggy Pop à Stromae. On a évidemment beaucoup sélectionné.
Je vais à présent vous demander de commenter certaines de vos images extraites de votre livre. Commençons par cette image d’Adam et Eve, qui se situe dans vos travaux du début et qui a fait la couverture d’Actuel, le journal de Jean-François Bizot, en 1981.
P et G : C’est au départ une commande du Figaro. On connaissait Eva Ionesco du Palace. Elle trainait avec Louboutin, ils avaient 14 ou 15 ans et sortaient tous les soirs. Fabrice Emaer avait une ouverture d’esprit et une générosité incroyable, il était très entouré. C’était l’époque où Eva ne voulait plus faire de photos avec sa mère, Irina Ionesco. Elle avait une personnalité incroyable, révoltée. Elle était très glamour, très belle. Pour nous elle était l’Eve du début des années 80. On a trouvé le Adam dans un casting. Le Figaro a détesté l’image. Jean-François Bizot lui, l’a adorée et passée en couverture d’Actuel. C’est drôle, on vient de photographier le fils d’Eva, Lucas, avec deux amis. On a adoré travailler avec lui. Il est très gentil, très équilibré.
Prenons à présent celle d’Etienne Daho, La Notte, la Notte sortie en 1984.
P et G : Il avait sorti Le Grand Sommeil qui avait bien marché, on le connaissait un peu. Il aimait bien Ricky Nelson et il voulait une pochette dans le style pour son prochain 45 tours, sur un fond orange, avec un harmonica. On a fait quelques prises de vues comme ça. Puis on lui a dit qu’on avait une autre idée. On lui a mis ce pull marin- il était de Rennes, ça semblait évident ! – et un perroquet. Il a adoré, et il a finalement gardé l’image pour son prochain album.
Et cette photo de Gainsbourg, en père Noël déglingué ?
P et G : Serge était venu avec Lulu. Il aimait bien se faire prendre en photo, il se donnait du mal.Il était soigné dans le choix de ses vêtements. Il était très fatigué, je pense qu’il était déjà malade. Je me souviens qu’ils avaient joué pendant des heures avec Lulu à la maison.
Avec qui est ce que vous regrettez de ne pas avoir travaillé ?
Pet G : Michael Jackson. On l’avait eu au téléphone. Il était en Australie. Il voulait un livre de 70 photos. Il ne se rendait pas compte du boulot, nous on ne peut produire qu’une ou deux images par mois ! Il aurait fallu qu’il passe des mois au Pré-Saint-Gervais ! (rires) Il aimait notre travail. On l’a un peu raté. Quand on a travaillé avec Madonna, il a été un peu vexé. Cela ne lui a pas plu du tout, il voulait faire un duo avec elle et elle avait refusé…
Vous avez également photographié Stromae en 2014 pour la couverture de Numéro..
P et G : On avait très envie de le photographier. Il est venu chez nous, il s’est intéressé à tout. Il est resté. Il avait une idée très précise de comment il voulait être habillé. Dans nos photos, on part toujours du modèle. On essaie de construire tout un univers ou un décor autour de lui. On aime rencontrer des gens différents. Ce sont souvent des rencontres. On préfère connaître les gens avant de les photographier. On aime que notre photo les surprenne mais reste fidèle à leur monde. Pour que cela marche, il faut que cela soit une rencontre de nos deux mondes.
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