Ancien leader d’un groupe de “metal festif”, le nouveau directeur du Front national jeunesse (FNJ) s’est mué en “gendre idéal” et en symbole de la dédiabolisation du parti de Marine Le Pen. Récit d’une métamorphose.
Guitare électrique pendue à son cou, l’adolescent agite sa longue chevelure aux mèches vert fluo. Difficile, sur ces clichés datés de juin 2009, de reconnaître Gaëtan Dussausaye aux côtés de son groupe, les Bursting Creepy. Nommé directeur national du Front national jeunesse le 8 octobre dernier, l’Essonnien a délaissé jean troué et ceinture cloutée pour un costume plus conventionnel.
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“Il renvoie l’image du petit-fils idéal. C’est le summum de la dédiabolisation”, analyse d’emblée Nicolas Calbrix, son homologue de la section jeune du parti de Nicolas Dupont-Aignan. Une transformation“naturelle” pour le candidat aux prochaines élections départementales à Brétigny : “J’ai mûri, voilà tout.” Arrivé au Front national en 2011, année d’obtention de son bac L, le guitariste biberonné à AC/DC a gommé ses aspérités. Un lifting à l’image de la stratégie politique du parti, amorcée par Marine Le Pen.
Ascension éclair
Il est à peine 11 heures ce lundi de décembre. Gaëtan Dussausaye, grand brun longiligne, écrase sa troisième cigarette. Des Gauloises. Son bureau, au siège du parti à Nanterre, a des airs de salle d’attente : impersonnelle, peu meublée et surchauffée par un radiateur d’appoint. Sur son bureau, quelques numéros des revues Causeur, créée par Élisabeth Lévy, et Valeurs actuelles. Aucune photo, aucun objet, aucun souvenir. Son ascension éclair au sein du parti ne lui a pas laissé l’occasion d’en accumuler.
Trois années à peine se sont écoulées depuis son adhésion au FN. Le militant parisien a su profiter du dernier scrutin municipal pour faire ses armes et gravir les échelons au sein des instances partisanes. Il insiste : “Mon parcours est semblable à celui de milliers de jeunes Français”. Une modestie feinte. Parmi les 25 000 adhérents aux FNJ, revendiqués par son patron, Dussausaye est le seul à s’être si rapidement imposé comme candidat favori de Marine Le Pen.
Responsable adjoint du FNJ de Paris, secrétaire départemental-Jeune de Paris puis candidat à la mairie du XIe arrondissement en 2014, le jeune homme est intronisé par Marine Le Pen en octobre dernier. Un pied de nez à son prédécesseur, Julien Rochedy, qui peinait à faire consensus.“Rochedy ne foutait rien ! , lâche Wallerand De Saint-Just, trésorier du FN, qui a appuyé la candidature de son poulain auprès de la présidente du parti. “J’ai été surpris par sa faculté à débattre, sa facilité à prendre la parole”, raconte Wallerand de Saint-Just, tête de liste FN aux municipales, dans la capitale, en mars 2014. Même constat auprès de militants parisiens : “Julien Rochedy était plus proche des identitaires”, note Amaury, 21 ans, membre du FNJ depuis un an. A ses côtés, Timour, adhérent depuis septembre, ajoute :“Gaëtan est très présent à l’inverse de Rochedy”.
“Précoce”,“mature”,“sociable”, les flatteries pleuvent ce mercredi soir, au forum hebdomadaire parisien organisé par la section jeune. Une quasi-unanimité signe d’un manque de personnalité pour certains militants.
L’histoire du sac à dos
A l’écoute du récit de son enfance, de son adolescence et de son engagement politique, une impression persiste. Celle d’un parcours fait d’hésitations. Né le 5 avril 1994 à Brétigny-sur-Orge dans l’Essonne, à moins de trente kilomètres de Paris, Gaëtan Dussausaye grandit avec ses deux petits frères et sa grande sœur. “Nous habitions un petit village, le Plessis-Pâté, c’était calme”, décrit le jeune homme. Sa mère, infirmière, et son père, directeur marketing dans une grande entreprise française, ne sont pas politisés et n’ont jamais voté pour le Front national. En 2012, ils se sont prononcés en faveur de François Hollande et Nicolas Sarkozy. “Lorsqu’ils votent, il n’y a aucun militantisme. Ils y vont, parce qu’il faut le faire”, raconte le directeur du FNJ.
Aux journalistes qui tentent de cerner son itinéraire politique, le jeune homme raconte la même anecdote, érigée en genèse de son engagement. Il dit avoir été bouleversé par le témoignage d’une adolescente, victime de moqueries au collège, coupable de ne pas porter le dernier sac à dos à la mode. Cette injustice anecdotique entre alors en résonance avec sa propre histoire. “J’ai changé d’établissement au collège. J’ai été confronté à des problèmes de violence, d’agression. J’en avais marre de subir quotidiennement des humiliations, c’était lourd”, confie t-il. L’adolescent s’extériorise grâce à la musique et commence à s’intéresser à la politique.
Gaëtan Dussausaye cherche à se construire une identité politique. Pendant des mois, il navigue sur internet et “regarde des vidéos de discours”, parcourt les sites officiels des partis et balaye le paysage politique.
“Jeune homme, cherche parti désespérément”
Elève studieux, Gaëtan Dussausaye se lance dans une filière scientifique à son arrivée au lycée. Un choix qu’il finira par regretter : “J’avais un profil scientifique mais arrivé en seconde, je me suis rendu compte que ça n’était pas ce que je voulais. C’était trop abstrait.” La littérature au contraire, l’inspire. Il cite tour à tour Rousseau, Spinoza, Vian, Orwell ou Marx. Lorsqu’il amène les débats à la maison, les discussions sont parfois houleuses : “Mon père, à l’époque, était chargé de faire le lien entre les usines chinoises et des entreprises françaises. Sur les questions économiques, nous n’étions pas du tout d’accord.” Mais les conversations animées se sont taries. Depuis le divorce de ses parents en 2011, Gaëtan Dussausaye échange peu avec son père, expatrié en Chine pour des raisons professionnelles. Il assure que son engagement a été bien vécu par ses proches. Mais quand il évoque son désir d’adhérer au FN, sa mère exige qu’il milite à Paris, loin du village familial. “Elle craignait la réaction des voisins, des amis.”
La mention “Bien” en poche, le frontiste s’inscrit en licence à la Sorbonne en lettres modernes et philosophie et contacte dans la foulée la direction départementale du FNJ. Trois ans plus tard, alors qu’il vient de prendre ses fonctions à la tête de la section jeunesse, Gaëtan Dussausaye connaît un premier revers. Novembre 2014. Tout juste nommé, le nouveau directeur du FNJ est invité sur le plateau de la chaîne TV Libertés, web télé lancée le 30 janvier 2014 par Martial Bild, lui-même cadre démissionnaire du parti.
L’émission touche à sa fin quand les présentateurs interrogent Gaëtan Dussausaye sur sa position sur la théorie du Grand Remplacement*. “Je ne vois pas un remplacement de peuple, j’y vois avant tout un remplacement de culture, réagit Dussausaye, à la base de la théorie de Renaud Camus, il y a un fondement racialiste, que nous ne considérons pas.” Cette prise de position a suscité de nombreuses réactions hostiles au sein du FNJ notamment sur Twitter. Preuve de la fracture idéologique grandissante entre identitaires et souverainistes.
Vous croyez qu’un jour un indien d’Amérique a dit à son pote qui s’inquiétait de l’arrivée des Wasp « t’es dans le fantasme racialiste mec » ?
— Julien Rochedy (@JLRochedy) 3 Novembre 2014
Pour clarification : le « grand remplacement » relève davantage d’un fantasme racialiste que d’une réalité. Il innocente ainsi les politiques
— Gaëtan Dussausaye (@G_Dussausaye) 3 Novembre 2014
Objectif carrière
“Rassembler”,“faire consensus”, deux mots, qui reviennent sans cesse dans la bouche de Gaëtan Dussausaye, pour un objectif : “Aider Marine à remporter l’élection présidentielle 2017.” Derrière ce profil aseptisé, les éléments de langage sont parfaitement maitrisés : “La responsabilité partagée de ‘l’UMPS’ dans la crise économique actuelle”, le refus de l’immigration, la préférence nationale, le protectionnisme économique et le retour au franc sont chaque fois mis en avant.
Admirateur du général de Gaulle, le jeune homme peine à consolider son argumentation sur les sujets qui divisent le parti. À propos de l’IVG ou de la fin de vie, il élude, avant de tirer une longue bouffée sur sa Gauloise : “Ce sont des sujets importants mais ce ne sont pas les premières problématiques qui s’imposent aux Français.” Adoubé par la présidente du parti, soutenu par les responsables parisiens et proche de Florian Philippot, Gaëtan Dussausaye pourrait prétendre à une carrière confortable. “J’ai signé un contrat pour un mandat, pas pour une carrière. On peut commencer à 20 ans, sans être carriériste”, tente t-il de convaincre.
Exit la carrière ? Quelques semaines après sa prise de fonction, l’élève en master de philosophie a choisi pourtant d’arrêter ses études à la Sorbonne.“Faute de temps”. Un mois plus tard, il annonce sur son compte Twitter sa candidature aux élections départementales 2015 dans le canton de Brétigny-sur-Orge.
* Thèse avancée par l’écrivain d’extrême droite Renaud Camus qui affirme que la population française « de souche” est menacée d’un remplacement par les populations issues de l’immigration.
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