Alors que la fusillade d’Orlando a eu lieu dans un des plus gros clubs gay de la ville de Floride, peu de médias ont caractérisé la tuerie d’homophobe. Pourtant ces mots ont une importance. Utilisons-les.
« Un massacre homophobe lié à Daesh« . Parmi tous les médias français et internationaux, le quotidien régional Sud Ouest a été un des seuls à parler d’homophobie à la Une de son journal, lundi 13 juin 2016.
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Dans la nuit de samedi à dimanche 12 juin 2016, un homme est entré dans un des plus grands clubs gay d’Orlando en Floride et a ouvert le feu sur les coups de 2h du matin. Lundi, on faisait état de 50 morts et plus de 50 blessés dans un état critique. 50 morts et 50 blessés qui s’étaient rendus au Pulse pour la « Latin Night », une soirée queer populaire que la boîte de nuit organisait régulièrement depuis deux ans. Comme l’a montré le Washington Post à partir de données compilées par Mother Jones, cette fusillade de masse est la plus meurtrière de l’histoire des Etats-Unis.
There’s Been No Worse Mass Shooting – https://t.co/GpItWphhEM pic.twitter.com/EAbNwHhJsQ
— Breaking911 (@Breaking911) 12 juin 2016
La déchirure d’un « safe space »
L’attaque a été perpétrée dans un club gay. Un « safe space » où homos, bis, intersexes, trans, travestis peuvent se retrouver en « sécurité », danser et s’amuser sans craindre les insultes habituelles, les regards désobligeants, les remarques homophobes. Un club particulièrement apprécié de la communauté gay latino, que l’intersectionnalité rend encore plus vulnérable aux attaques racistes et homophobes.
Et pourtant, un seul média a choisi de barrer sa Une du mot qui incarne les faits : « Un massacre homophobe lié à Daesh. » Dans sa revue de presse sur France Culture ce lundi, le journaliste Nicolas Martin a noté avec justesse combien les journaux, français mais aussi américains (voir notre revue de presse) se sont majoritairement refusés à écrire les mots qui décrivaient réellement l’attaque terroriste:
« Il est assez surprenant quand on regarde le panorama des Unes de la presse française ce matin de constater à quel point il y a un grand absent… un mot, une expression qui ne figure dans aucun des grands titres… (…) « Attentat islamiste à Orlando, la terreur et la haine’ dans le Figaro… ‘Tuerie de masse dans une boite de nuit en Floride’ dans l’Humanité. ‘Les Etats-Unis frappés par la pire tuerie de leur histoire’ dans les Echos. ‘Nuit d’horreur en Floride’ dans Le Parisien. ‘Orlando, nouvelle plaie béante’ dans Libération. Voilà… il ne manque pas quelque chose ? »
« Gay« . Voilà le mot manquant. Le mot est pourtant court, trois petits caractères qui ne prennent pas beaucoup de place dans un titre (surtout quand ils sont à rallonge). Cette « invisibilisation », dont parle également Nicolas Martin, est dérangeante, car elle passe sous silence un pan de l’histoire de la « tuerie d’Orlando ». Elle met de côté la déchirure d’une bulle de protection, la volonté d’un homme de tuer des personnes qui fréquentent une soirée dans laquelle chacun peut vivre sa sexualité comme il le souhaite.
Comment peut-on oublier ces trois caractères, alors qu’ils obsédaient visiblement le tireur ? Après la fusillade, le père de Omar Mateen a affirmé à NBC News que ses actions n’avaient « rien à voir avec la religion ». Mais que son fils avaient en revanche récemment « vu deux hommes s’embrasser dans la rue devant sa femme et son enfant, et il s’est mis très en colère. » L’homophobie tue, point.
Alors il faut comprendre que certains messages ne passent pas. Que Christine Boutin, condamnée à 5 000 euros d’amende pour avoir déclaré que « l’homosexualité est une abomination », ne peut pas simplement offrir sa « compassion » pour les victimes, visées parce qu’elles faisaient la fête dans un club homosexuel. Que le mouvement Manif Pour Tous ne peut pas se fendre d’un tweet où il fait part de sa « nausée face à la haine » alors qu’il y a 4 ans, certains de ses partisans hurlaient « vous êtes dégueulasses » lorsque deux jeunes femmes échangeaient un baiser devant eux.
Utiliser les mots « gay », « homo », « queer », « homophobie » en titres, c’est aussi expliquer pourquoi ces messages de solidarité sonnent faux. Cette hypocrisie — dont Buzzfeed France a compilé quelques manifestations — fait d’autant plus mal qu’elle montre que pour eux, il n’y a pas de lien entre l’homophobie latente et la tuerie de masse d’Orlando.
Et pourtant depuis les événements, l’image la plus partagée sur les réseaux sociaux est celle d’un noeud aux couleurs des Etats-Unis et du drapeau arc-en-ciel, symbole queer. La tour Eiffel s’illuminera ce soir (lundi 13 juin) aux « couleurs LGBT » a annoncé la maire de la capitale Anne Hidalgo. Les images sont-elles plus faciles à utiliser que les mots ?
Paris stands with #Orlando, we are thinking of you #lovewins pic.twitter.com/uYJrSRW0Ob
— Paris (@Paris) 12 juin 2016
Ne pas préciser que la fusillade a eu lieu dans un club gay – comme ont omis de le faire de nombreux politiques dans leurs tweets de soutien -, c’est nier que ces hommes et femmes sont morts parce qu’ils-elles étaient gay, bi, trans, travestis, queer, ou allié-e-s. C’est nier que l’homophobie tue. C’est nier qu’un homme peut se « mettre très en colère » parce que deux hommes s’embrassent devant lui, puis en tuer cinquante. Les mots ont une importance ; utilisons-les.
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