Combat nerveux au style unique et à la musique inspirée ou course futuriste intense et musclée, les deux petits bijoux made in France fraîchement adaptés sur la Switch de Nintendo que sont « Furi » et « The Next Penelope » renouent avec une certaine tradition qui fut d’abord celle du jeu vidéo japonais : ici, la persévérance sera récompensée et les approximations ne pardonneront pas. Emeric Thoa et Aurélien Regard, leurs auteurs respectifs, s’expliquent.
Il y a dix, quinze ou vingt ans, Furi et The Next Penelope auraient probablement été conçus à Tokyo, Osaka ou Kyoto – chez Capcom, disons, ou Treasure, ou Nintendo. Aujourd’hui, c’est respectivement à Montpellier et à Paris qu’ont vu le jour ces deux jeux superbes et radicaux dont l’approche et l’allure tranchent avec l’ordinaire de la production contemporaine et qui, après s’être déjà offert un tour de piste sur d’autres plateformes, viennent d’arriver sur la Switch de Nintendo – où ils semblent déjà très à leur aise, merci pour eux.
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Apprendre de ses erreurs
Mais attention : pour les joueurs irrésistiblement attirés par leurs sonorités électro et leurs couleurs scintillantes comme ils l’auraient jadis été par une borne plus flamboyante que les autres au fond de la salle d’arcade, l’expérience pourrait bien se révéler douloureuse. Car, s’ils sont tout sauf des jeux méchants (car sévères mais justes, et gratifiants jusque dans l’échec à répétitions), Furi et The Next Penelope exigent beaucoup de nous : un sens de l’observation acéré, de solides réflexes et, surtout, une bonne dose de ténacité. Dans un cas comme dans l’autre, l’idée est d’apprendre de ses erreurs, de les analyser sérieusement, de comprendre ce qu’on a mal fait (et, dans le cas de Furi, à quelles règles obéissent les actions de nos adversaires) et de retenir tout ça pour, la prochaine fois, être capable d’anticiper. Ici, l’improvisation n’est que très rarement une solution.
Se lancer dans la succession de combats de boss entrecoupée de phases à peine interactives et néanmoins fascinantes de déambulation quasi somnambule en compagnie d’un homme (?) à tête de lapin de Furi comme dans les courses futuristes musclées (car on peut tirer sur les autres concurrents, déposer des mines à leur intention…) de The Next Penelope, c’est un peu aller à l’école. Cette dernière enseigne le style, l’attention aux détails et la meilleure manière de faire corps avec les images, les formes, les sons. C’est une école fabuleuse.
« Ce que j’aime dans les jeux japonais c’est leur réactivité. Quand on appuie sur un bouton, le personnage va réagir immédiatement, au détriment du réalisme de l’animation mais pour une sensation plus agréable de contrôle. On a vraiment essayé de retrouver ça dans Furi », explique Emeric Thoa, le directeur créatif du studio The Game Baker qui revendique, entre autres, l’influence des boss de la saga Metal Gear Solid, des jeux No More Heroes et avant tout, côté gameplay, de la série Punch Out!
Un autre jeu historique de Nintendo a aussi été l’inspiration principale de The Next Penelope. « J’ai cherché à retrouver une sensation un peu désuette, à savoir le danger permanent dans un jeu de course, à la manière de la défunte série F-Zero, souligne son créateur Aurélien Regard, ex du regretté studio Arkedo (Nervous Brickdown, Hell Yeah…) Dans ce jeu, activer le turbo faisait baisser la barre de vie du joueur, si bien qu’il y avait un lien permanent entre vitesse et mort imminente. J’ai pris cette idée, et je l’ai étendue à toutes les actions possibles dans Penelope. Poser une mine, se téléporter, utiliser un grappin, tirer sur les ennemis, n’importe quelle action attaque prend sur la barre de vie du joueur. Le but c’est de rendre les niveaux (très) éprouvants, mais la victoire encore plus belle ensuite ! » Une fois qu’on est dedans, les sensations provoquées n’ont d’ailleurs pas grand-chose à envier aux jeux de course futuristes en 3D – à WipEout, disons. Tout est affaire de trajectoires. L’immersion naît des réponses que le jeu apporte à nos actions et, sur ce plan, The Next Penelope est irréprochable.
Les joueurs « persévérants » n’ont pas disparu
S’il se défend d’avoir voulu faire un jeu rétro (« Furi est un jeu moderne qui ne fait volontairement pas les choses comme les autres jeux modernes »), Emeric Thoa entendait lui aussi renouer avec certains principes ludiques un peu négligés aujourd’hui : « Je ne crois pas que les joueurs persévérants aient disparu. Je ne crois pas non plus que tout le monde veut à tout prix des points d’expérience et des améliorations d’armes dans tous leurs jeux. Mais la mode des jeux simples a un peu disparue. Les jeux d’arcade exigeants pour lesquels il faut s’entrainer pour progresser sont plus rares. On s’est dit : ‘Il y a des joueurs à qui ça doit manquer, on va faire le jeu pour eux.‘ On reçoit souvent des messages de remerciement de la part des joueurs qui ont aimé Furi, et un des plus fréquent c’est : ‘Merci pour ce jeu, cela faisait au moins 10 ans que je n’avais pas ressenti ça en jouant‘. » Et « ça », ce n’est pas seulement le sens de la rigueur et du défi : c’est aussi le plaisir d’adopter, presque de se lover dans le rythme d’un combat, même provisoirement, même fébrilement. Hardcore ne veut pas dire douloureux, pas forcément, et le mélange paradoxal d’épure et de surcharge de Furi, jeu-cauchemar et rêve à la fois est, quels que soient notre courage et nos talents, de ceux qui ne s’oublient pas.
Pendant qu’Emeric Thoa et ses camarades de The Game Bakers enrôlaient le créateur d’Afro Samurai, Takashi Okazaki pour dessiner ses personnages (en plus, pour sa BO, de la fine fleur de la synthwave : Carpenter Brut, Danger…), Aurélien Regard, lui, se souvenait d’Ulysse 31, fameux dessin animé eighties qui, en plus d’une facétieuse relecture de l’Odyssée d’Homère (que l’auteur de The Next Penelope détourne à son tour en faisant de l’épouse d’Ulysse une « vraie héroïne qui n’hésite pas à botter des postérieurs »), avait la particularité d’être coproduite par la France et le Japon. Cette double identité, sinon réelle, du moins fantasmé, est au cœur de ces deux jeux dont les auteurs se reconnaissent bien des affinités.
« Aurélien et moi, on est tombés dans la même marmite quand on était petits, assure Emeric Thoa. On est vraiment de cette même génération élevée aux jeux arcade sur console, aux dessins animés Japonais et aux grandes valeurs qu’ils portent souvent : la persévérance, l’amitié, le sacrifice… Que ce soit dans le gameplay ou les thèmes développés, ça se ressent dans nos jeux. » « Ce sont des copains/copines qui font Furi, renchérit Regard, et je sais qu’on partage beaucoup de notre « culture jeux » justement. Ils ont fait preuve d’un certain jusqu’au boutisme dans la forme comme dans le fond, et je les respecte énormément pour ça. Furi est plus ambitieux, plus charismatique que Penelope. Non seulement je le trouve très cool, mais j’irais même jusqu’à conseiller de l’acheter en priorité. » Entre ces deux petits bijoux, rien n’oblige à faire un choix, heureusement. Sur la Switch comme ailleurs, Furi et The Next Penelope se complètent merveilleusement.
Furi (The Game Bakers), sur Switch, 19,99€. Egalement disponible sur PS4, Xbox One et PC.
The Next Penelope (Aurélien Regard / Seaven Studio), sur Switch, 12,99€. Egalement disponible sur PC et Mac.
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