Le 11 mars 2011, la terre tremblait au Japon, provoquant l’une des plus graves catastrophes nucléaires de l’histoire. Trois mois après les faits, Fukushima est au coeur des préoccupations écologiques. Pour Jean-Louis Basdevant, chercheur au CNRS et physicien auteur de « Maîtriser le nucléaire, que sait-on et que peut-on faire après Fukushima ? », il est encore impossible de connaître l’ampleur des dégâts à Fukushima.
Trois mois après la catastrophe de Fukushima, est-il possible de faire un premier bilan ?
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Il est difficile d’avoir des informations claires concernant Fukushima. Les Japonais ont peur de dire ce qu’ils ont fait et qu’on les accuse des pires choses. Aussi, je ne peux pas donner de chiffres précis concernant les dégâts car les informations changent tous les jours. Ce que l’on sait, c’est qu’il y a eu relativement peu de victimes. Le gouvernement japonais affirme qu’il n’y a eu que deux ouvriers touchés par l’explosion des réacteurs. Pour ma part, je pense qu’il y a environ 100 ou 150 victimes.
Mais le plus inquiétant reste cette énorme zone irradiée, qui sera inhabitable pendant plusieurs années. Sur le long terme, il est impossible de définir le nombre de gens irradiés. Pour éviter un bilan lourd, il faut nettoyer la région concernée (le nord-est du Japon) le plus rapidement possible.
La situation dans la centrale semble-t-elle stabilisée ?
Absolument pas. Elle est semi stabilisée dans la mesure où il n’y pas d’autres catastrophes en cours. Mais d’autres désastres du genre sont encore à prévoir. Rappelons que dans l’accident de Three Mile Island (aux Etats-Unis) en 1979, les chercheurs ont attendu six ans avant de voir dans état était le coeur du réacteur. Cette attente est due à un taux de radioactivité extrêmement élevé. C’est pour cette même raison qu’il est difficile de voir ce qui se passe actuellement à Fukushima.
Tepco, l’entreprise qui gère la centrale de Fukushima, espère venir à bout de la crise d’ici à janvier. Est-ce possible ?
Elle raconte des bêtises ! Le Premier ministre japonais a décidé qu’il fallait prendre la crise en main sur le plan national avec l’aide internationale. Cette aide est principalement française d’ailleurs. Nous avons envoyé des ingénieurs de chez Areva. A un moment donné, on a même songé à envoyer des robots français, suisses ou allemands. Mais à Fukushima, les robots se seraient embourbés et n’auraient pas vécu longtemps. Pour l’instant, on ne peut pas savoir comment la crise sera réglée.
Le problème de l’eau inquiète beaucoup les écologistes…
Quand il y a un accident dans une centrale nucléaire, il faut éviter que la température ne soit trop élevée et que ça explose. Or, pas besoin de rappeler qu’il y a eu des explosions à Fukushima. Dans ce cas extrême, l’eau froide est le seul réfrigérant. Les quantités d’eau utilisées sont alors énormes, ce qui occasionne de graves problèmes écologiques. Quand la société ne sait plus quoi en faire, on la répand un peu partout dans la nature. Les Japonais étaient très furieux car on a versé de l’eau toxique dans leurs rivières et dans l’océan.
Pourquoi la communauté internationale n’est-elle pas plus critique envers le Japon ?
Je pense au contraire qu’il faut être solidaire avec le Japon. Par contre, on peut être critique vis-à-vis du gouvernement japonais et de Tepco qui ne donnent pas les bonnes informations à la population locale. Le 28 mars dernier, l’ancien préfet de Fukushima a fait une annonce accablante dans laquelle il reconnaît que Tepco avait falsifié le contenu d’un rapport d’inspection de Fukushima en 2002. Le gouvernement et les exploitants sont totalement défaillants.
Beaucoup estiment que la catastrophe est liée au tsunami. Pour ma part, je pense que ça a eu lieu avant, avec le tremblement de terre. Ce dernier a crée des fissures sur les réacteurs. Le problème aurait pu être évité car les constructions ne sont pas vraiment anti-sismiques et que les centrales sont dans des zones à risque.
Selon vous, il faut donc renforcer les structures anti-sismiques ?
Evidemment ! Il y a bien des bâtiments anti-sismiques dans le sud de la France. Construire un réacteur anti-sismique, c’est un peu plus difficile mais c’est possible. D’autre part, il ne faut pas négliger le risque de tsunami au Japon. Le dernier en date faisait presque dix mètres de haut alors que le mur de protection en faisait cinq ! C’est un véritable gag. Les constructeurs se sont inspirés d’un tsunami qui avait eu lieu au Chili. Or, au large du Japon, il y a déjà eu des vagues de 20 mètres voire de 30 mètres de haut.
L’Allemagne a décidé de fermer toutes ses centrales nucléaires d’ici à 2022. Comment peut-on remplacer cette source d’énergie ?
C’est une affaire politique d’Angela Merkel. L’Allemagne possède très peu d’électricité d’origine nucléaire. Le pays a actuellement neuf réacteurs actifs, ce qui représente un peu moins de 20% de son énergie. L’arrêt du nucléaire en Allemagne aura donc peu d’impacts. Près de la moitié de leur électricité vient en effet du fuel, du gaz ou du charbon. Ils ont aussi deux champs d’éolienne au Nord. Les Suisses aussi peuvent facilement arrêter l’utilisation du nucléaire car ils n’ont qu’un seul réacteur. Il est donc facile pour eux de tout stopper et d’acheter le nucléaire chez leur voisin, les Français.
La France peut-elle suivre le même chemin ?
La France possède le deuxième parc de centrale nucléaire au monde avec 58 réacteurs. Il est difficile d’imaginer l’arrêt du nucléaire au même titre que l’Allemagne ou la Suisse. De plus, la France n’a ni gaz, ni pétrole, et presque plus de charbon. La France a des projets évidemment. Elle veut mettre des éoliennes sur la mer mais ce n’est pas pour demain. Pour remplacer ce que produisent les 58 centrales, il faut beaucoup d’imagination !
Dans le film Into Eternity, Michael Madsen imagine une cachette où les déchets nucléaires sont stockés pendant 100 000 ans. Connaît-on la véritable durée de vie de ce type de déchet ?
Chaque déchet a une durée de vie différente. Ça peut être 10 00 ans ou 50 000 ans. Into Eternity a fixé la durée de vie des déchets nucléaires à 100 000 ans pour frapper l’esprit des gens. En réalité, on est déjà bien incapable de savoir comment sera la planète dans 1000 ans. Aujourd’hui, on a très peu de recul sur le nucléaire. Le temps permettra aux scientifiques de mieux étudier le phénomène.
Propos recueillis par Laura Adolphe
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