Depuis un peu plus d’un an, les sites pornographiques communautaires se renouvellent en s’inspirant du modèle des réseaux sociaux : on y partage, like, commente, suit et crée des contenus licencieux.
Les réseaux sociaux sont prudes et frileux vis-à-vis des contenus pornographiques, qu’ils interdisent unanimement. Même L’Origine du monde, de Gustave Courbet, ne passe pas sur Facebook. Ce n’est pourtant pas l’envie des internautes qui manque : lorsque Twitter a créé Vine, le réseau social qui permet de partager des vidéos de six secondes, il n’a fallu que quatre jours pour qu’une sex tape atteigne le sommet des vidéos les plus vues.
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Pour contourner l’obstacle, certains ne manquent pas d’idées. Les inventeurs de réseaux sociaux exclusivement dédiés aux contenus explicites ont le vent en poupe. Aujourd’hui, le « social porn » – qui regroupe tous les sites nés après 2005 qui distribuent gratuitement des contenus pornographiques générés par les utilisateurs eux-mêmes – se décline en une véritable galaxie de sites et d’applications de plus en plus sophistiqués, aux noms évocateurs : Pornostagram, Fuckbook, Porntube, Pinsex (les parents obscènes d’Instagram, Facebook, Youtube et Pinterest)…
Le « social porn » en pleine érection
En un an d’existence, Pinsex, déclinaison porno du réseau de partage de photos Pinterest, le plus abouti en la matière, a obtenu la souscription de 50000 utilisateurs, et attire quotidiennement 300 000 visiteurs, selon le Guardian. Le principe est le même que sur Pinterest, le sexe en plus: ses utilisateurs sont invités à épingler des images glanées sur le net qui ont attiré leur attention, et à suivre les utilisateurs qui ont les mêmes centres d’intérêt. Ici, du cul, du cul, du cul, dans toutes ses variétés.
Ce n’est pas le seul des paradis de la débauche communautaire à connaître un tel succès. Fuckbook, la version « jouissons sans entraves » de Facebook, rassemblerait 7 millions de profiles. La symbolique parle d’elle même: le réseau social pour adultes « en quête de plaisir » a troqué le bleu pour le rose, et la barre du « f » est subtilement en érection… Il propose à ses utilisateurs de « trouver et rencontrer des gens partageant les mêmes idées que vous » – sympa le think-tank! – et, de manière plus franche, de « partager vos photos et regarder des milliers de vidéos » – la mosaïque sur la page d’accueil du site est suggestive. Reluquer et s’exhiber, en somme.
Devant le succès remporté par Pornostagram (qui a changé de nom pour devenir Uplust en mai 2014), un réseau social de photographies pornographiques, en France et en Italie, depuis son lancement en avril 2013, son fondateur lyonnais, Quentin Lechémia, l’a ouvert aux Etats-Unis en mars dernier. L’application est disponible sur internet et sur Androïd, mais pas sur iPhone – la pomme n’est pas mordue de social porn. Selon son fondateur, interrogé par Les Inrocks, l’appli compte à ce jour 70 000 utilisateurs actifs. Selon Hook22, un utilisateur interviewé par Le Tag Parfait (le site de la culture porn), « la population de Pornostagram est en majorité très sympa. Tout le monde laisse des commentaires super gentils, des likes, et c’est appréciable. C’est devenu un peu comme une fan base » – à prononcer à la française, en insistant lourdement sur le « base » prononcé « baise ».
L’ère de l’obscénité partagée
C’est la nouveauté de ces sites : ils se comportent de plus en plus comme d’ordinaires réseaux sociaux, avec leurs tchat privés, et plus seulement comme des sites pornographiques consultés en loucedé. Partager, liker, noter, commenter, créer : toute la panoplie habituelle est à disposition des utilisateurs. L’intimité est-elle devenue subitement has-been?
« Aujourd’hui, les gens aiment de plus en plus partager, et cela s’applique aussi au porno », explique en substance au Guardian Christian Thorn, le fondateur de Pinsex. Le cas de Pinsex est emblématique des potentialités qu’ouvrent ce genre de contre-réseau social, ouvert à l’exhibition débridée. Ses utilisateurs peuvent non seulement organiser leur collection d’images coquines, et lorgner celles des autres, mais ils peuvent aussi produire leurs propres photos. « Beaucoup d’utilisateurs postent du porno amateur sur le site, et, même si ce porno n’est peut-être pas aussi beau et lisse que ce qu’on voit dans les magazines ou ailleurs, il est très populaire », explique Christian Thorn.
Comment expliquer cet engouement ? Selon le fondateur de Pornostagram, cela tient en partie à des facteurs internes au milieu de la pornographie : « Dans les dernières années, selon les professionnels du milieu, tous les films amateurs étaient en fait du ‘pro-amat’, c’est-à-dire des films amateurs développés par des grosses boîtes de production. Or les gens ont envie de voir ce qu’est le vrai sexe ». Dans les années 1990, une certaine tendance à l’amateurisme et à la socialisation du porno avait émergé. Mais très vite, selon Quentin Lechemia, « YouPorn a industrialisé tout cela ».
Depuis, certains adeptes du « vrai sexe » font de la résistance, comme « Jacquie et Michel TV » ou « Voissa », des sites de partage de vidéos et de photos porno amateurs, mais ils n’utilisent pas les mêmes codes que les réseaux sociaux, dont le public jeune raffole. Dans un style plus soft, Cindy Gallop, une publicitaire connue pour ses conférences aux Etats-Unis, sur le thème « make love not porn », a lancé en 2012 une web-TV éponyme, dans le but de « rendre le sexe du monde réel socialement acceptable, et socialement partageable ». « Elle dit que le porno doit devenir social, car les gens ont envie de voir ce qui se passe dans la vie sexuelle de tous les jours, de leur voisine, de l’étudiante à côté d’eux en classe », interprète le fondateur de Pornostagram. Cette thèse semble confirmée par les observations faites a posteriori par le jeune entrepreneur : « Lorsque j’ai lancé Pornostagram, je pensais que les actrices porno allaient être les plus suivies, alors qu’en fait ce sont des amatrices qui ont le plus de followers. Et elles ne révèlent pas tant de choses que cela, c’est presque plus de l’érotisme ».
Le retour de l’histoire
Faut-il en conclure que le monde de la pornographie marche à l’envers, en mode 69 ? Pas vraiment, selon des universitaires qui se sont penchés sur la question. Le porno n’a pas toujours été une pratique relevant de la vie privée, loin de là. Au début du XXe siècle, selon Sharif Mowlabocus, professeur à l’Université du Sussex interrogé par le Guardian, « la pornographie avait en fait une dimension sociale ». Et d’énumérer les enregistrements d’ébats sexuels (« blue records »), qui s‘écoutaient autrefois en groupes, et les films pornographiques des années 1940 (« stag-movies »), matés collectivement dans les salles de ciné. Ce n’est plus la mode depuis l’apparition de la cassette-vidéo, qui aurait en quelque sorte repoussé la pornographie dans la sphère intime, privée, nettoyant les rues et les salles des libertins assumés.
Finalement, dans ce cas, le social porn ne serait donc qu’un simple retour à la norme. Selon Simon Lindgren, professeur de sociologie à l’université de Umeå (Suède), alors que le porno était encore récemment majoritairement consommé, de manière passive, par des spectateurs isolés, désormais il tend à faire l’objet d’un débat plus interactif et critique de spectateurs qui reprennent en main leur désir. C’est cette dimension interactive que Quentin Lechemia tente de recréer dans Pornostagram, en développant notamment le tchat.
« Ce ne sont pas les mêmes personnes qui vont sur Pornostagram et sur YouPorn, soutient-il. Les gens vont sur Pornostagram pour échanger – il y aussi des exhibitionnistes. Alors que les gens vont sur YouPorn pour tout autre chose. »
Pour Stephen des Aulnois, fondateur du Tag Parfait, ces sites ont plusieurs fonctions : « D’un côté, des utilisateurs y vont pour rencontrer des personnes libertines. D’autre le font pour l’exhibition, le partage pur, à travers une communauté. Et du côté de l’éditeur, soit la personne a une idée intéressante qu’elle souhaite développer, comme dans le cas de Pornostagram, soit ce n’est pour elle qu’un moyen de faire du marketing agressif pour de la sex-cam’, comme cela semble être le cas pour Fuckbook ». En ce qui concerne l’avatar porno de Facebook, selon Stephen des Aulnois, jouer la carte 2.0 et la ressemblance avec le fameux réseaux social n’est qu’un moyen pour les magnats du porno de « récupérer du trafic, alors que Google leur fait la guerre ».
La vie sociale finira-t-elle à poil ?
Alors, le social-porn s’immiscera-t-il bientôt sur les réseaux sociaux ordinaires, et nos désirs sexuels seront-ils partagés dans l’indifférence la plus totale sur Facebook ? Sans doute pas, vu la réticence des grands réseaux sociaux, et l’implantation solide de l’industrie du sexe. Mais l’idée essaime. Lancée à la mi-mars 2014, l’application Nipple (« téton » en anglais), propose de « garder trace de vos activités sexuelles » et de « voir comment évoluent vos performances ». L’outil ne lésine pas sur les détails les plus licencieux : caractéristiques du partenaire (homme, femme, transgenre, indien, latino, noir, maigre, poilu, avec une « grosse bite » ou des « gros seins »), et de la relation en elle-même (position, utilisation d’accessoires, orgasme…). Si vous choisissez de rendre votre profil public, vous pouvez faire partie du classement officiel des utilisateurs les plus actifs de la semaine…
Gare, donc, à ne pas finir à poil, et à garder en tête qu’une fois qu’elles sont en ligne, vous ne maîtrisez plus tout à fait vos données, ni vos photos – ce qui peut se révéler douloureux si elles sont utilisées contre vous par des personnes vengeresses.
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