Scandale d’Etat classé “secret défense”, l’affaire des frégates de Taïwan se solde par une grosse facture pour le contribuable.
Lorsque l’on paie, on voit : cette loi d’airain du poker, les contribuables français sont en droit d’exiger son application dans l’affaire des frégates de Taïwan. Ils vont devoir aligner 460 millions d’euros pour rembourser les rétrocommissions encaissées depuis 1991 avec l’aval de leurs gouvernements successifs, qui ont usé jusqu’à la corde les qualités imperméables du parapluie « secret défense ».
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Or, on ne voit encore rien, ou si peu : il est vrai que les caisses noires et les magots privés qu’a alimentés cette manne engendrée par les activités du complexe politico-militaro-industriel ont concerné avec oecuménisme tous les gouvernements au pouvoir depuis vingt ans.
Un accord conclu en 1993
Le contrat originel est initié en 1989 et porte sur la vente à Taïwan de seize frégates lance-missiles, furtives et indétectables (sauf financièrement), équipées par la Thomson (devenue Thalès après reprivatisation) alors dirigée par Alain Gomez. François Mitterrand ne veut pas froisser la Chine populaire et dit niet dans un premier temps. Après de nombreux épisodes où interviennent entre autres Roland Dumas, Edith Cresson et Edouard Balladur, l’accord est conclu en 1993. Il concerne six frégates pour 16,4 milliards de francs (environ 2,5 milliards d’euros).
Les commissions, dans ce type d’affaires, font partie du deal : elles s’élèvent à 520 millions de dollars, dont 200 pour calmer la colère des dignitaires de Pékin et 20 pour soudoyer les militaires taïwanais. Mais une bonne part de ces 520 millions serait revenue en France sous la forme de rétrocommissions. Le casting des bénéficiaires est en partie connu : on y retrouve les têtes d’affiches de l’affaire Elf, entre autres Alfred Sirven (mort en 2005) et Christine Deviers-Joncour, maîtresse de Roland Dumas, autobaptisée « putain de la République ».
L’affaire compte comme il se doit son lot de cadavres. Selon les sources, ils sont au nombre de quatre ou de six. La plupart sont des maladroits qui s’échinent à tomber par la fenêtre. Des suicides ou des accidents, concluent des enquêtes vite expédiées.
Les juges chargés du dossier – et non des moindres, puisqu’Eva Joly et Renaud Van Ruymbeke s’y sont collés – se sont vu quatre fois de suite opposer le joker du secret défense, la première fois par la commission consultative du secret de la Défense nationale, puis par les ministres des Finances Laurent Fabius (en 2001), Francis Mer (en 2002) et Thierry Breton (en 2006). Van Ruymbecke clôt le dossier en octobre 2006.
La France condamnée en 2010 à verser 630 millions d’euros à Taïwan
Lorsque le dossier est rouvert, le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, pas pressé, mettra deux ans pour requérir un non-lieu général en juillet 2008, confirmé par les juges en octobre de la même année. Mais les autorités taïwanaises, qui n’étaient plus les mêmes que celles qui avaient conclu le contrat, avaient fait jouer en 2001 une clause qui spécifiait l’interdiction des commissions versées aux intermédiaires.
Le jugement a été confié à une instance internationale, qui condamne en 2010 la France à verser 630 millions d’euros à Taïwan. Cette décision vient d’être confirmée par la cour d’appel de Paris. Elle oblige donc l’Etat à rembourser à Taïwan 460 millions d’euros. Le reliquat (170 millions d’euros) est à la charge de Thalès.
Cette amende va grever un budget déjà difficile à boucler. Qu’importe, indique depuis Bercy François Baroin, on fera des économies ailleurs. Oui, mais où ? On ne veut pas se mêler, mais le gouvernement serait bien inspiré de suivre les suggestions du ministre des Affaires européennes, Laurent Wauquiez, qui souhaite réduire les allocations des titulaires du RSA pour combattre l’assistanat, ce « cancer de la société ». En voilà une idée qu’elle est bonne.
Alain Dreyfus
{"type":"Banniere-Basse"}