La longue histoire du PS est jalonnée de crises qu’il a toujours surmontées. Selon le politologue Frédéric Sawicki, l’affaire DSK ne devrait pas discréditer les socialistes sur le long terme.
L’affaire DSK est-elle la plus grave jamais survenue au Parti socialiste ?
Frédéric Sawicki – Les affaires qui, dans les années 80-90, ont ébranlé le PS étaient des scandales liés au financement illégal (Urba) ou à des dérives dans l’exercice du pouvoir (écoutes de l’Elysée). L’affaire Strauss-Kahn est une affaire purement criminelle d’ordre privé qui n’engage pas la responsabilité collective du PS. Elle aura des conséquences politiques, c’est indéniable, mais elle ne devrait pas discréditer le parti, d’autant que la primaire n’a pas officiellement commencé.
Congrès de Rennes, suicide de Bérégovoy, 21 avril 2002, défaite de 2007… A chaque fois, on dit que le PS est mort et à chaque fois le PS se relève. Quel est son ressort ?
L’histoire du PS est longue et mouvementée. Le PS a été créé en 1905. Il a connu beaucoup de crises majeures. La division, dès sa naissance, entre révolutionnaires et réformistes a entraîné, après la Première Guerre mondiale, la scission du congrès de Tours. En 1940, beaucoup de socialistes ont voté les pleins pouvoirs à Pétain. Il y a eu aussi le traumatisme lié à l’engagement de la SFIO dans la guerre d’Algérie et à sa compromission avec le gaullisme.
Dans l’histoire récente, le tournant de la rigueur en 1983, la fin tragique du mitterrandisme, l’élimination au premier tour de Jospin en 2002, les déchirements du traité constitutionnel européen ont constitué de nouvelles épreuves qu’il a surmontées. La raison principale de cette survie, c’est que le PS reste profondément ancré dans la société. On l’oublie trop, il est le premier parti local de France. Et puis le mode de scrutin majoritaire, l’importance de l’élection présidentielle, le déclin du communisme ont renforcé sa position de parti pivot de la gauche.
Comment le PS peut-il surmonter le choc DSK ?
Même s’ils ont été ébranlés, les responsables ont expliqué que le parti n’était pas directement en cause et que le calendrier de la primaire restait inchangé. Cela a contribué à rassurer les militants et les électeurs. Reste que, pour émettre une réserve, les proches de DSK vont être probablement amenés dans les semaines qui viennent à expliquer pourquoi ils ont toléré pendant très longtemps les écarts de comportement de leur chef. Ces écarts sont problématiques dans un parti qui s’est toujours porté à la pointe des combats contre les maltraitances et les inégalités dont les femmes sont victimes.
Concernant la primaire, quels sont les atouts de Martine Aubry si elle se déclare candidate ?
Martine Aubry est difficilement attaquable dans son rôle de première des socialistes. Elle a été élue de justesse à la tête du PS dans les conditions difficiles du congrès de Reims, en novembre 2008. Force est de constater que, alors que beaucoup lui prédisaient un destin très bref, elle a réussi à fédérer autour d’elle, à mettre en oeuvre un travail collectif sur le projet. Concernant la primaire, elle a su tenir tête aux exigences des strauss-kahniens, qui voulaient un calendrier plus tardif, voire pas de compétition du tout.
Ses autres atouts reposent sur son statut de femme d’Etat et d’élue de terrain d’une grande métropole en plein renouveau. Elle a une expérience forte de gouvernement national et local. Son avantage, dans la conjoncture post-DSK, c’est qu’elle peut incarner la compétence, la légitimité partisane et aussi une forme d’autorité morale. Elle n’a en effet jamais été mise en cause dans aucune affaire d’aucune sorte.
Quels sont les avantages de François Hollande ?
Son premier atout, c’est d’être parti très tôt. Il a commencé à labourer le terrain, à visiter les fédérations socialistes qu’il connaît très bien, à nouer des contacts divers et variés. Il a occupé l’espace médiatique en jouant la carte de son ancrage corrézien. Il joue au Chirac de gauche. Il a un handicap qu’il essaie de transformer en atout, son manque d’expérience d’homme d’Etat.
Mais si le fait d’être un peu novice, plus indépendant à l’égard des éléphants du PS et ancré dans le terroir pouvait représenter un atout face à DSK, cela peut devenir un handicap face à Martine Aubry, qui elle aussi peut revendiquer un ancrage dans un territoire beaucoup plus emblématique pour les électeurs de gauche que la Corrèze !
Y a-t-il vraiment une différence entre Martine Aubry et François Hollande ?
Au-delà de leurs différences de personnalité, ils ne s’intéressent pas aux mêmes sujets et n’ont pas la même vision de la politique. Martine Aubry insiste sur l’idée que l’on est en train de changer de civilisation, elle a une vision moins technique ou économique des problèmes. François Hollande met l’accent sur la redistribution sociale, sur le rôle de la fiscalité, sur les contraintes budgétaires, il défend une conception de l’action politique beaucoup plus social-démocrate au sens classique du terme.
Cela peut donner une belle primaire ?
Oui, dans le sens où ça pourrait les pousser, beaucoup plus qu’ils ne le font actuellement, à expliciter leurs idées. On attend de François Hollande un peu plus de souffle et de vision de la société, et de Martine Aubry une clarification de ses positions en matière économique et budgétaire, un peu plus de chaleur aussi.
Quel rôle Ségolène Royal ou Laurent Fabius peuvent-ils jouer dans la primaire ?
L’implication de tel ou tel chef de courant derrière telle ou telle candidature n’aura peut-être pas au bout du compte un rôle déterminant. Ce qui peut jouer, ce sont les stratégies de candidatures qui pourraient déstabiliser ou affaiblir tel ou tel candidat majeur. On voit bien aujourd’hui que Ségolène Royal, si elle se retirait du jeu et si elle appelait directement à soutenir Martine Aubry ou François Hollande, pourrait peser sur le résultat. Quant à Laurent Fabius, il conserve une réelle influence. On va sûrement entrer dans une phase de négociations où les éléphants du parti qui seraient susceptibles de troubler le jeu vont négocier leur ralliement aux deux principaux candidats.
Propos recueillis par Hélène Fontanaud
Frédéric Sawicki, professeur de sciences politiques à Paris-I, est l’auteur de La Société des socialistes (Editions du Croquant), coécrit avec Rémi Lefebvre