Dans un récent article, deux analystes américains affirment que le principal facteur de radicalisation islamiste est la francophonie, aggravé par notre version de la laïcité, souvent excluante. C’est toute notre “culture politique française” qui est ainsi décriée.
L’article est sorti le 24 mars dans Foreign Affairs, un des plus prestigieux magazines US de politique internationale sous le titre, choc, “Jihadisme, la french connection”. Les signataires sont on ne peut plus respectables : Christopher Meserole, doctorant de la Brookings et William McCants, spécialiste reconnu du jihadisme international. Leur analyse tient en quelques phrases.
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“Les attentats de Paris et de Bruxelles disent une vérité dérangeante : les jihadistes sont une menace plus grande pour la France et la Belgique que pour le reste de l’Europe. Les victimes et le nombre d’attentats déjoués y sont nettement plus importants. (…) Ces faits peuvent s’expliquer par la réalité des réseaux européens de l’Etat islamique ou par les échecs sécuritaires en France et en Belgique. Mais nos recherches montrent qu’un autre facteur semble tout aussi déterminant : la culture politique française.”
Par “culture politique française”, ils entendent notre version de la laïcité qu’ils qualifient d’“agressive”. Ils rappellent que c’est en France que le débat sur le voile islamique à l’école, puis le voile intégral dans l’espace public, a été le plus violent. C’est aussi en France, et c’est moi qui l’ajoute, que ces débats ont commencé le plus tôt.
Radicalisation islamiste
A partir de ces prémisses, nos chercheurs ont “empiriquement” compulsé les chiffres. Ils se sont rendu compte “à leur grande surprise” que la francophonie – et donc cette fameuse “culture politique française” ou laïcité – était un facteur déterminant à l’heure d’expliquer la radicalisation islamiste ou le nombre de jihadistes.
“Aussi étrange que cela puisse paraître, quatre des cinq pays ayant le plus important taux de radicalisation au monde sont francophones, y compris les deux pays européens qui sont en haut de ce classement : France et Belgique.”
Terres d’accueil
Il y a eu pas mal de réactions à cet article. La plus outragée a été celle de l’ambassadeur de France aux Etats-Unis, Gérard Araud, qui parle “d’insulte à l’intelligence”. C’est un peu court, Excellence ! On peut dire beaucoup de choses de ces auteurs, sauf ça. Leur constat chiffré est indéniable, le problème est ailleurs : ils écartent d’autres facteurs importants.
Comme le fait que la France et la Belgique ne sont pas n’importe quels pays en Europe : ils sont la terre d’accueil des deux plus importantes communautés musulmanes du Vieux Continent, et de loin. Rien à voir avec la laïcité, donc.
Rapports entre les religions et l’Etat
Reste que notre version de la laïcité est plus “combattante” qu’ailleurs en Europe, même si nous n’avons pas l’exclusive des controverses (le débat sur les caricatures de Mahomet a commencé au Danemark, longtemps avant la France). Mais si l’on admet que notre laïcité “agressive” est en partie à l’origine de nos malheurs d’aujourd’hui, cette vision des rapports entre les religions et l’Etat mérite d’être défendue.
Notre laïcité est souvent horripilante lorsqu’elle donne l’impression de ne s’en prendre qu’à l’islam. Elle continue d’alimenter jusqu’à la nausée notre débat public, parce qu’elle est difficile à vivre et parfois excluante pour des millions de nos concitoyens.
Vision eschatologique du monde
Mais elle fait aussi partie de notre contrat social. Et si elle suscite tant de haine de la part des islamistes radicaux, c’est parce qu’elle est, pour leur vision eschatologique du monde, une menace radicale. Le meurtre est leur réponse.
La nôtre doit être l’argumentation et le travail policier. Mais, aussi, un travail de fond sur l’exclusion de cette jeunesse perdue. Parce que nos deux chercheurs font aussi le lien avec l’énorme taux de chômage qui frappe, en francophonie, la jeunesse musulmane.
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