Moments d’intimité et de fugacité, des chambres de femmes aux backstage des défilés de mode, la photographe Françoise Huguier livre son étude du corps féminin à travers une série de clichés glanés au fil des années. A l’occasion de son exposition “Pince-Moi Je Rêve” à la Maison Européenne de la Photographie, la photographe promène le visiteur […]
Moments d’intimité et de fugacité, des chambres de femmes aux backstage des défilés de mode, la photographe Françoise Huguier livre son étude du corps féminin à travers une série de clichés glanés au fil des années. A l’occasion de son exposition « Pince-Moi Je Rêve » à la Maison Européenne de la Photographie, la photographe promène le visiteur de l’Afrique à la Russie en passant par l’Asie et l’Amérique du Sud. Visite guidée.
Au commencement, il y eut le drame. « J’avais 8 ans », premier volet de l’exposition « Pince-Moi Je Rêve » de la photographe Françoise Huguier, revient sur la fin de la colonisation en Indochine par le prisme de son enfance au Cambodge, marquée par son enlèvement par les Viet-Minh en 1950. Lettres d’époque, coupures de journaux, et même le vêtement que portait son frère, encore tâché de sang. « Huit mois dans la jungle… » raconte Françoise Huguier en pointant le cliché utilisé en papier peint, une photographie de végétation luxuriante. « Le premier chapitre de mon livre autobiographique, Au doigt et à l’œil, s’appelle La Jungle maudite. Je n’aime pas beaucoup la jungle, pour y avoir vécu. » La photographe choisit d’ouvrir son exposition par ces fragments de souvenirs, accompagnés de clichés réalisés lors de son retour en 2004, « parce que c’est le début de [s]on histoire ». Sur tout un mur, une série de portraits en diptyque, une photo monochrome, une photo en couleur. « Ce sont les gens qui m’ont connue quand j’ai été libérée. Quand je suis revenue en 2004, ils vivaient encore – j’ai donc voulu les photographier pour en garder une trace. »‘ Elle regarde attentivement ses clichés. « Bizarrement, ce sont les tirages en couleur qui sont les plus saisissants. Le visage est plus dur. »
« Grosses » et chambres de femmes
Au détour d’un escalier, un tirage grand format occupe la vision. « Elle fait partie de ma série de grosses, » précise Françoise Huguier. Une femme en sous-vêtements, coiffée d’un diadème en bronze, imposante aussi bien par sa taille que par sa prestance. « Les femmes opulentes comme ça, j’adore. Il y a des bourrelets, et en photo c’est formidable. La photo, c’est aussi une histoire de volumes. » Elle raconte aimer photographier les femmes, la raison pour laquelle elle s’est mise à faire de la photographie de mode.
Mais avant les backstages de défilés, Françoise Huguier célébrait une toute autre féminité. En Afrique, elle part à la découverte des chambres de femmes, une série de clichés intimistes au Burkina et au Mali consignés dans son ouvrage Secrètes. « Leur chambre leur est très importante. Dans la polygamie, les hommes sont comme des bourdons : ils passent d’une chambre à l’autre, deux jours avec la première femme, deux jours avec la suivante, et ainsi de suite. Mais ils n’ont pas de chambre propre. Alors les chambres de ces femmes, ce sont des espaces d’intimité précieux, c’est là qu’elles conservent leurs grigris, leurs bijoux, leur argent. Et la coépouse n’a pas le droit de rentrer, bien évidemment. » Une célébration allant parfois jusqu’à la mythification. « C’est impressionnant, hein? », chuchote Françoise Huguier devant un tirage imposant d’une femme regardant droit l’objectif, dressée devant une construction lui donnant presque des ailes d’ange. « Je l’ai fait poser comme une déesse égyptienne. Quand j’ai fait la photo, je ne me rendais pas compte de l’effet que cela ferait. Mais le regard, les ailes, la taille du tirage… Cette photo impressionne beaucoup les gens. »
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Nues en Russie
En Sibérie, le corps se dénude : la photographe fait incursion dans les bains d’un village pour immortaliser la toilette des femmes, des tirages assemblés les uns à la suite des autres pour former un panoramique en ode à la féminité. « Sans aucun problème, je vous le précise tout de suite », s’empresse Françoise Huguier. « J’étais nue aussi, je suis venue avec une amie et mon appareil photo. Même dans les bains japonais, j’ai fait des photos sans qu’il n’y ait de résistance. En France, c’est devenu plus compliqué. » Dans la pièce voisine, envolée vers les appartements communautaires de Russie pour une série de nus inédits. « J’ai rencontré ces filles à Saint Pétersbourg, et elles me disaient spontanément qu’elles voulaient poser nues pour moi. J’ai sauté sur l’occasion, parce que l’exercice de photos de nus n’est vraiment pas facile. » Des corps graciles et alanguis, à l’exception d’un cliché qui tranche parmi les silhouettes laiteuses : deux jeunes filles en sous-vêtements, s’allumant mutuellement une cigarette dans une cuisine. « Les filles m’ont dit qu’elles étaient d’accord pour se faire prendre en photo, et elles pensaient que j’allais leur demander de poser nues. Mais j’ai dit: « Gardez vos pompes ! ». Ce sont tous les anticritères de la mode, incarnés par des filles qui ne sont pas forcément super bien foutues. J’avais très envie de les prendre comme ça, avec leur soutien-gorge et leur slip improbables. En faisant des séries de mode, on apprend à raconter des histoires. »
Françoise Huguier ne fait pas que déshabiller : de son amour pour Natacha, sa muse aux cheveux de jais, est née une série de photos de femmes en robe noire. « Natacha est une beauté très étrange. Elle est un peu punk, du genre révolutionnaire. La première fois que je l’ai rencontrée, elle était en train de laver son linge dans la salle de bains commune d’un appartement à Saint Pétersbourg , et elle m’a presque craché à la figure en disant, « Vous venez voir les singes ! » J’ai adoré ça, donc j’ai dit à mon interprète que je voulais la revoir. Je l’ai revue, et on s’est liées d’amitié. Je connais parfaitement sa vie. Une fois avoir fait mon film [Kommunalka, en 2008], je suis retournée à Saint Pétersbourg mais je n’arrivais pas à contacter Natacha. Ce n’est pas une fille facile à avoir. Mais je me suis souvenue qu’elle ne s’habillait qu’en noir. Du coup, j’ai fait une série de photos de femmes lors de laquelle je leur disais de poser en robe noire. Je m’étais dit que ça allait la faire revenir. Et ça n’a pas manqué : elle a eu vent de la série photo et m’a contactée pour poser. Comme quoi, j’ai bien fait de faire cette série ! »
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Mode, K-Pop et Cosplay
Une des dernières étapes du périple se déroule en Asie du Sud-Est : deux séries, les Hijab et les K-Pop, sur la jeunesse des classes moyennes à Bangkok, Singapour, Kuala Lumpur
et Bandung. A Kuala Lumpur, la photographe s’immisce au cœur de la communauté chinoise influencée par la K-Pop, musique coréenne, et les Cosplays : « Qu’est ce qu’on a ri! Un des jeunes a ramené deux de ses copines, on est allés au shopping-mall pour choisir des accessoires et elles m’ont amené des trucs à elles. C’était très drôle. Par contre, parfois, on, pouvait aller jusqu’à deux heures de maquillage avant le shoot! ». Une culture qui l’a tellement fascinée qu’elle prévoit de visiter la Corée à la fin de l’année : « Les jeunes sont tellement influencés par la musique, les sitcoms… c’est hallucinant. Et je veux absolument photographier G-Dragon! » Quant aux hijab, Françoise Huguier se rend dans un shopping-mall spécialisé à Bandung : des boutiques à la décoration kitsch, dans les tons pastels, au sein desquelles elle immortalise des jeunes filles portant un hijab hautement accessorisé. « Quand je suis venue dans les années 1980, les filles ne portaient pas de hijab. Et quand j’y suis retournée en 2013, et elles en avaient toutes. Ça m’a beaucoup amusée. Je les ai trouvées très mode – c’est hallucinant le nombre d’accessoires spécifiques qu’il existe pour agrémenter leurs tenues! »
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La mode, Françoise Huguier connait bien. Thierry Mugler, Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier… La photographe immortalise les plus grands noms de la mode, en backstage de défilés comme sur le runway. « C’est juste un esprit de la mode. Quand vous savez qu’un défilé ne dure que 15 minutes… » raconte la photographe. « C’est presque abstrait, comme des haikus : des petits instants poétiques. » Un pan de robe, un salon du Ritz, une silhouette de dos. Un univers feutré, tourné vers la célébration des grands talents.
D’une salle à l’autre, il y a tout un monde. A la croisée des deux pièces principales, la photo d’un final de défilé d’Yves Saint Laurent dans les années 1980. « J’aime beaucoup cette photo. Maintenant, les couturiers ne veulent plus sortir, ou s’ils sortent c’est vraiment deux secondes. Mais il y a une époque où c’était la tradition, et c’était vraiment bien. » Le créateur, souriant, est entouré de ses mannequins fétiches: Pat Cleveland, Violeta Sanchez, Mounia, Iman. Loin des chasseurs de rennes de Sibérie, loin des jeunes filles peules du Mali, loin des marchés de féticheurs au Bénin. Le choc. Avec un sourire, la photographe murmure : « C’est du Françoise Huguier, ça ».
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Françoise Huguier, « Pince-Moi, Je Rêve », jusqu’au 31 août à la Maison Européenne de la Photographie
Au doigt et à l’oeil : autoportrait d’une photographe, Françoise Huguier (Editions Sabine Wespieser)