Une délégation de salariés en lutte pour leurs emplois de l’entreprise iséroise Ecopla s’est rendue au ministère de l’Economie avec François Ruffin ce 12 septembre. Après deux ans de demandes infructueuses, ils ont enfin été reçus.
Les salariés d’Ecopla ont mis les petits plats dans les grands pour rendre visite à Michel Sapin, le nouveau locataire du ministère de l’Economie et des Finances, ce 12 septembre au matin. Au sens propre comme au sens figuré. Du plat en forme de coquille Saint Jacques au moule à cake, en passant par le « RA 605 » – en forme de fleur dont les parts se transforment en cœurs quand on le découpe, et qui fait leur fierté – ils ont empilé tous ces récipients en aluminium dans un carton venu directement de Saint-Vincent-de-Mercuze, dans l’Isère, où ils les fabriquent. Comme une preuve tangible de leur savoir-faire menacé de disparition. Car depuis le mois de février, cette entreprise de près de cent salariés est en liquidation, à la demande de son actionnaire sino-australien, Jerry Ren.
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Deux ans de silence
Depuis deux ans, un collectif de salariés alerte les responsables politiques à tous les échelons sur la situation de l’entreprise, de plus en plus préoccupante. En vain :
« Depuis 2013 on alerte le tribunal de commerce et le ministère de l’Economie. Ils avaient tous les éléments pour sauver cette entreprise quand il y avait de la trésorerie. Aujourd’hui, on va leur demander des comptes », lance Karine Salaün, assistance commerciale chez Ecopla.
Ce collectif a pris précocement contact avec l’Union régionale des Scop, pour constituer un projet de reprise solide – sur le modèle des Fralib par exemple. « En octobre 2014, on a rencontré un collectif, et on a fait une proposition de rachat à l’actionnaire qui souhaitait vendre, mais au dernier moment il s’est rétracté, raconte Meryem Yilmaz, de l’Union régionale des Scop. Les salariés ont continué à interpeller le président du tribunal de commerce, le commissaire au redressement productif et l’ensemble des élus des territoires pour dire que la situation se dégradait, que l’actionnaire vidait lentement mais sûrement la substance de la société. On voyait qu’il ne souhaitait pas maintenir cette activité. Sans résultat ».
Des salariés d'Ecopla (38) avec François Ruffin de Fakir: "Ça fait deux ans qu'on interpelle Macron, sans réponse" pic.twitter.com/XVa9yfR31r
— Mathieu Dejean (@Mathieu2jean) September 10, 2016
Le 16 juin, alors qu’ils avaient proposé un plan de reprise soutenu par des banques, leurs clients fidèles et qu’ils avaient rassemblé 2,3 millions d’euros pour redémarrer la production et se constituer en Scop (société coopérative et participative), le tribunal de commerce a préféré l’offre de leur concurrent, Cuki. Cette société italienne mettait 1,5 million d’euros sur la table pour racheter les machines et rembourser les dettes.
« Ils préfèrent payer les créanciers que de garder les emplois »
« Le repreneur italien a eu la franchise de garantir zéro emplois, et de dire qu’il ne ferait rien avec le site. Le tribunal, lui, se réfugie derrière des arguments techniques. Il a laissé pourrir la situation », relate François Ruffin, rédacteur en chef du journal Fakir et réalisateur de Merci patron!, qui a fait de cette lutte son nouveau cheval de bataille.
« Ils préfèrent payer les créanciers que de garder les emplois », constate amèrement Josette, membre du collectif de soutien aux ex-salariés d’Ecopla, venue de la vallée du Grésivaudan après un passage par la Fête de L’Huma qui se tenait ce week-end à La Courneuve. Fin juin, les ex-salariés ont fait appel de la décision du tribunal de commerce. La Cour d’appel doit se prononcer sur le dossier le 5 octobre. En attendant, les salariés gardent espoir.
« Le reste des collègues est resté à l’usine pour surveiller l’outil de travail. Si notre outil part en Italie, c’est la fin de notre projet. On n’abandonnera jamais, on veut des solutions pour que notre entreprise renaisse », martèle Karine Salaün.
« L’alu, ça bipe ou pas ? »
La secrétaire d’Etat à l’Economie sociale et solidaire, Martine Pinville, les a reçus à Bercy ce 12 septembre. Le même jour, alors qu’ils avaient l’intention de s’inviter à l’inauguration du local du mouvement d’Emmanuel Macron, celui-ci leur a donné rendez-vous à 16h pour une audience. Le projet de reprise serait-il « en marche » ?
« C’est une victoire car la porte est ouverte pour nous, on va s’empresser de la franchir », s’enthousiasme Christophe Chevalier, délégué CGT de la société, vêtu d’un t-shirt « Ecopla scop vivra » devant la porte du ministère de l’Economie et des Finances. « L’alu, ça bipe ou pas ? », fait mine de s’inquiéter un de ses camarades au moment de passer le portique de sécurité – où les journalistes sont refoulés.
D’Alstom à Ecopla, le désengagement de l’Etat
Alors que l’annonce de l’arrêt de la production du site historique d’Alstom à Belfort fait couler beaucoup d’encre, l’histoire d’Ecopla témoigne une nouvelle fois de la désindustrialisation de la France, et du peu d’implication de l’Etat pour l’enrayer.
« Les élites françaises se sont mises à penser que nous n’avions plus besoin d’industrie en France », regrette François Ruffin. Il en veut pour preuve une déclaration certes fracassante d’Emmanuel Macron, en décembre 2014 à la conférence Le Web :
« Ce serait une grossière erreur de protéger les entreprises et les jobs existants. […] Mon job n’est pas d’aider les entreprises établies mais de travailler pour les outsiders, les innovateurs. »
François Ruffin et les salariés d’Ecopla ont d’ailleurs chahuté Emmanuel Macron lors d’une rencontre qu’il organisait avec Les Jeunes avec Macron.
L’action politique aura-t-elle le dernier mot dans le dossier Ecopla ? A la Fête de l’Huma, où il intervenait à l’Agora avec les salariés d’Ecopla le 10 septembre, le réalisateur de Merci Patron! concluait : « Comme on dit à Fakir : ‘A la fin, c’est nous qu’on va gagner’, mais à condition quand même qu’on se bouge le cul. »
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