Dans un court essai en forme d’adresse aux Jeunes pour le climat, le député insoumis plaide pour lier luttes sociales et écologie. C’est simple, efficace, et ça rend plutôt optimiste.
Et si quelque chose était en train de se passer, politiquement, autour de la question écologique ? Et si l’urgence d’agir pour changer radicalement notre mode de vie, notre système de production et de consommation, afin de préserver la possibilité de l’existence humaine sur la planète, donnait un véritable élan à une force de transformation écologique et sociale, soutenue par un vaste mouvement populaire ?
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C’est le rêve que fait François Ruffin dans son nouveau livre, un essai d’intervention au titre tendu vers des lendemains qui chantent : Il est où, le bonheur (Les Liens qui libèrent, sortie le 6 novembre). “J’ai fait un rêve que je vous livre : celui d’un Front populaire écologique”, écrit-il, citant Ambroise Croizat, le fondateur de la Sécurité sociale : “S’unir, plus que jamais s’unir, pour donner à la France d’autres espoirs”. La citation date de 1934, à la veille du Front populaire, qui eut lieu parce que les militants communistes et socialistes avaient lancé le mot d’ordre d’“unité !” dans la rue.
“Des luttes pour des lois, et encore des luttes pour faire appliquer les lois”
Ce n’est pas anodin. Dans ces 192 pages où il s’adresse aux militants de Youth for climate qu’il a rencontrés, et à travers eux à tous leurs camarades (et tant qu’on y est à leurs parents), François Ruffin rappelle une leçon élémentaire de l’histoire des luttes sociales : il n’y a pas d’acquis, que des conquis ; pas de consensus possible, que des conflits. Non, le clivage entre capital et travail n’a pas disparu. Le croire relèverait de la naïveté. Et l’écologie n’échappe pas à cette règle. “L’environnement exige les mêmes moyens [que la lutte pour obtenir les congés payés, ndlr], le même chemin : des luttes pour des lois, et encore des luttes pour faire appliquer les lois”, affirme-t-il.
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“Troublé” par le manque de subversion de cette jeunesse qui réclame encore assez poliment plus d’action pour le climat aux pouvoirs publics, mais qui rechigne à s’attaquer au CETA lorsqu’elle est invitée le jour même du vote de ce traité de libre-échange à l’Assemblée nationale (le 23 juillet 2018), il affirme sans détour qu’il faut se faire violence : “Contre leur ordre, on ne sème pas le trouble sans un trouble en soi.”
“Une révolution de l’imaginaire”
Cela fait un moment, dans le camp de ce que Pierre Bourdieu appelait, dans un point de vue au Monde en 1998, la “gauche de gauche”, qu’on essaye de marier le rouge et le vert. Alors qu’aux Etats-Unis la députée de New York Alexandria Ocasio-Cortez donne à l’idée de “Green New Deal” – un projet de société écologiste à l’arrière-plan ouvertement socialiste – une envergure jusque-là inespérée, que le Parti travailliste adossé à une ligne bien à gauche y réfléchit également, et que l’urgence climatique tend à devenir une priorité pour une majorité de la population, l’occasion de concrétiser ce rêve n’a peut-être jamais été aussi proche.
Mais cela n’arrivera qu’à condition de rompre avec « la fin de l’histoire », et avec l’idée ancrée par des années de matraquage idéologique qu’il n’y a pas d’alternative : “L’écologie réclame, avant tout, une révolution de l’imaginaire, de l’imaginaire politique, de l’imaginaire social, mais aussi de l’imaginaire personnel, intime”, écrit François Ruffin.
Il rejoint en cela l’essayiste canadienne Naomi Klein, qui publie un recueil de textes autour du “Green New Deal” le même jour que lui : “Ils [les jeunes gens qui ont milité avec les Indignados ou le mouvement Occupy Wall Street, ndlr] ont compris que le défi suprême était de lutter contre la manière dont le néolibéralisme s’employait à dynamiter notre imaginaire collectif, notre capacité à croire à quelque chose qui sorte de cet horizon sordide”, déclarait-elle en 2017 au congrès du Parti travailliste.
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“Consommer moins, répartir mieux”
François Ruffin s’emploie à relever ce défi, en prônant la sobriété contre le consumérisme, la décroissance contre la compétition pour gagner des marchés, et en lançant le mot d’ordre “consommer moins, répartir mieux”, avec en ligne de mire une victoire électorale articulée à une forte mobilisation sociale (car “le pouvoir isole”) en 2022. Comme il le répète depuis des années, cette victoire passera nécessairement par une alliance des classes populaires avec les classes moyennes, ces “deux cœurs qui s’ignorent. Qui se tournent le dos. Qui ont divorcé”. L’écologie doit être le vecteur de cette rencontre. Et de citer Roosevelt (le père du New Deal, ces mesures sociales qui avaient sorti les Etats-Unis de la Grande Dépression) : “Le peuple ne nous en voudra pas d’avoir échoué, mais il nous en voudra de ne pas avoir essayé”.
Il est où, le bonheur, de François Ruffin, éd. LLL, 192 p., 14 €
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