Après un entretien au magazine « Society », c’est dans l’émission de Canal + « Le Supplément » que François Hollande a choisi de s’exprimer. Une occasion manquée, selon Isabelle Veyrat-Masson qui dirige le laboratoire Communication et Politique du CNRS.
Dimanche, le président de la République a lancé une double offensive sur les jeunes. D’abord en choisissant de s’exprimer sur l’émission de Canal + Le Supplément, dont le coeur de cible sont les 18-35 ans. Et en débattant liberté d’expression avec des lycéens invités sur le plateau. Un succès pour l’émission, qui réalise son record d’audience, rassemblant en moyenne 1.789.000 téléspectateurs (11,9% de part d’audience). Opération séduction réussie pour François Hollande ? Réponse avec la sociologue des médias et directrice du laboratoire Communication et Politique (CNRS) Isabelle Veyrat-Masson.
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Society, Desport, Charles et maintenant Le Supplément. Comment expliquez-vous ce choix d’émission dont le coeur de cible est un public assez jeune ?
Isabelle Veyrat-Masson – Ce n’est pas le choix seulement d’un public, c’est aussi le choix d’une émission qui au final se situe davantage dans le divertissement que dans le pur talk-show politique. C’est toujours délicat pour les hommes politiques d’y participer. Jospin par exemple avait refusé d’apparaître dans une émission de Canal Plus. On peut y voir une légère transgression de la part de François Hollande. L’autre idée est de s’adresser à un public précis. Plus jeune, plus parisien, voire plus branché. Ces émissions mêlant le divertissement et le politique touchent un public qui n’est pas vraiment politisé, donc plus « malléable ».
Est-ce que l’entourage qui conseille de François Hollande, ceux qui ont été surnommés “la jeune garde du président” ont pu avoir une influence sur ce choix de médias ?
François Hollande a l’air d’avoir succombé aux charmes de la communication mais est, en réalité, un faux converti. Il ne fait que suivre le plan média. Mais derrière cette stratégie, il reste inéluctablement le même. Il ne croit pas vraiment aux pouvoirs de la communication. Tout ce qui lui importe est d’essayer de ne pas faire de faux-pas. Après, il me semble normal que les conseillers insistent sur un public qui leur ressemble, donc assez jeune.
Est-ce un risque pour un président de participer à ce type d’émission ?
Je pense qu’il est suffisamment aguerri et capable de déjouer les pièges. Il ne prend aucun risque. Le seul moment où j’ai trouvé qu’il n’a pas été “bon” est face aux lycéens. Ca avait déjà été le problème de Chirac qui avait fini par dire aux jeunes qu’ils ne les comprenaient pas. Là encore, on sent un décalage, une incompréhension totale entre ces deux mondes. Il ne comprend pas que ces jeunes puissent rire aux blagues de Dieudonné. Pour lui c’est impossible. Sur cette question de l’humour, on sent qu’il y a deux générations qui ne se comprennent absolument pas, et qui ne peuvent pas discuter. D’ailleurs il n’essaie même pas.
Barack Obama a récemment donné une interview au site Vice News. Est-ce selon vous possible, quand on est un responsable politique, d’avoir cette double image, à la fois “cool” et sérieuse ?
Il y a deux écoles. Celle qui consiste à dire que la parole politique est sacrée et qu’elle ne doit pas se faire sur tous les terrains. Et celle qui dit « peu importe l’arène ou le terrain, le but est d’atteindre les gens où ils sont, même s’ils ne sont pas intéressés par la politique »… Aux Etats-Unis, ce n’est pas du tout ce débat. On s’adresse à tout le monde et sur toutes les émissions, sans manquer de blaguer ou de faire le show, comme le font les Obama. Hollande qui, on sait, a ce goût des plaisanteries, ne s’aventure pas trop longtemps dans ce registre, on sent qu’il craint que cela ne se retourne contre lui. Il n’arrive pas à franchir le pas et à se montrer plus décontracté. Il a peur de rire devant les caméras, et que le lendemain on ressorte les images alors que des centaines d’immigrés meurent dans un naufrage. Il est constamment dans la retenue.
Peut-on dire que cette opération de communication est une réussite ?
Le problème est qu’il y a eu un trop grand décalage entre l’attente et le résultat. On a beaucoup parlé de cette émission. On était censé découvrir un autre François Hollande, il devait fendre l’armure. Mais en fait, on a rien vu de nouveau. Il avait le même ton que d’habitude, la même façon de s’habiller par exemple. C’était encore et toujours le même François Hollande.
Donc ce n’était ni un échec, ni une réussite…
Je pense plutôt que c’était un coup pour rien. L’émission n’apporte rien du tout. Il a parlé de politique de manière très traditionnelle. On attendait l’autre personnage. On peut regretter que sur deux heures, il n’ait pas montré ce François Hollande que ses proches décrivent comme sympathique et taquin. Mais quand je l’ai vû dans son costume bleu et sa chemise blanche, bouche serrée…. Dès les premières images, on comprend qu’il n’est pas dans cette optique là. Il aurait pu se présenter en tenue de dimanche, et non pas « endimanché », ou enlever sa cravate, personne n’en serait mort…
Propos recueillis par Benjamin Derveaux
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