La vie sulfureuse de François Duprat, stratège du FN assassiné en 1978. Un retour aux sources de l’idéologie de l’extrême droite, pour mieux comprendre les dérives actuelles.
« Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop. » Les talents comptables de Jean-Marie Le Pen sont sans doute à nuancer, mais il n’a pas tort sur un point : la France est depuis plusieurs décennies la proie d’une invasion. Celle des idées d’extrême droite, jouant de la porosité des frontières de la décence pour infiltrer le paysage politique – et le recomposer. Comment certains discours sont passés de la marge au centre des débats, par quels glissements sémantiques en vient-on à intégrer l’intolérable dans sa façon de penser, c’est au fond ce qu’illustre François Duprat, une histoire de l’extrême droite.
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Un webdoc à la croisée de l’investigation, de l’historique et de la réflexion politique, le premier du genre. Pour ses auteurs, le réalisateur Joseph Beauregard et l’historien Nicolas Lebourg, François Duprat cristallise presque à lui seul la capacité de l’extrême droite, laminée après la Seconde Guerre mondiale, à renaître de ses cendres et se doter d’une modernité telle qu’elle puisse frapper les esprits. Pour les hommes de son bord, l’ancien stratège et bras droit de Le Pen est un martyr de la cause, assassiné en mars 1978 dans l’explosion de sa voiture piégée.
Pour les autres, Duprat se révèle un personnage romanesque à l’épaisseur certaine, autant par les passages secrets qui traversent une vie labyrinthique que ses coups d’éclat tactiques. A la fois petit prof provincial, barbouze, indic des RG, fasciné par l’extrême gauche, idéologue influent en Europe, François Duprat est celui qui fait bouger les lignes. Lignes de fracture de la société française qu’il pressent, lignes de force du FN qu’il redéfinit, avec un sens aiguisé du storytelling.
« Il savait qu’il fallait prendre chez l’adversaire ce qu’il avait de meilleur, comme les valeurs sociales à gauche, commente Joseph Beauregard. Il a aussi compris que le PC ne tiendrait pas sur la longueur et que son électorat se répercuterait chez les frontistes. »
Néofasciste et négationniste revendiqué, antisémite compulsif, c’est lui qui inocule la thématique de l’immigration dans les obsessions du FN. Le venin agit toujours et coule dans d’autres veines. Sans affects et porté par une précision clinique, le webdoc produit par lemonde.fr et l’INA dépasse son objet d’enquête biographique pour travailler au corps l’histoire tourmentée de la Ve République.
Beauregard et Lebourg ont choisi une forme simple et sans esbroufe, assez télévisuelle dans son tissage d’entretiens et d’archives. S’il ne révolutionne pas le genre, le webdoc s’attache surtout à se mettre au service des propos qu’il développe. Et c’est là l’essentiel : être assez didactique pour rappeler à Marine Le Pen le substrat idéologique dont elle est issue, au moment où elle veut cacher la face sulfureuse de son héritage.
Pascal Mouneyres
François Duprat, une histoire de l’extrême droite et sur www.ina.fr/medias/webdocs/duprat/index.html
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