L’ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, Franck Louvrier, a toujours été beaucoup plus qu’un collaborateur pour l’ex-chef de l’État, qui faisait rarement un pas sans lui. Le voilà rendu à la vie “normale”. Toujours aussi discret.
A chaque meeting de Nicolas Sarkozy, il arpentait, iPad sous le bras, les travées de la salle pour vérifier que tout était en place. Dans les usines, il devisait avec les journalistes, tout en suivant le Président de quelques pas. Toujours dans son angle de vue. Jamais assis. Même pendant les allocutions. Faisant tourner sans cesse la molette de son BlackBerry pour répondre aux innombrables SMS, mails, appels. Aujourd’hui, Franck Louvrier, 44 ans, a changé de vie, dit-il. D’ailleurs, il arrive au rendez-vous sans tablette numérique, le teint hâlé, claquant la bise, et laissant son portable dans sa veste. Tout est fait pour souligner qu’il n’est « plus sous la pression de l’info ».
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« Je ne veux plus lire ou suivre l’actualité politique. J’ai d’autres centres d’intérêt », assure-t-il aux Inrocks.
« Une nouvelle vie passionnante commence » à la tête de Publicis Events. Bref, « la page de la politique » serait tournée. La quinzaine d’années aux côtés de Nicolas Sarkozy serait derrière lui. Homme de communication par nature et par formation, Franck Louvrier apparaît tout en ellipses quatre mois après la défaite de son champion à la présidentielle. Encore aujourd’hui, il demeure le double souriant de son ancien patron. Cet « ami » qui n’est plus le PR, abréviation usuelle pour président de la République, mais qui n’est pas davantage « Nicolas ».
Pour en parler, Franck Louvrier emploie le « on » impersonnel : « On ne parle pas de politique. Lui aussi a des choses à faire. Chacun a des projets. » Il insiste : « On ne s’occupe pas de l’actualité politique. » Tous deux font donc mine de tenir la politique à distance, Franck Louvrier sans doute avec plus de sincérité. Mais au détour d’une phrase, on comprend que la passion n’est pas éteinte. On parle du communiqué estival de Nicolas Sarkozy sur la Syrie et l’ancien « dir com » de l’Élysée lâche, avec vivacité : « Oui, le 7 août ». Précis. Comme lorsqu’il était rue du Faubourg-Saint-Honoré. Comme s’il n’avait pas complètement débranché.
D’ailleurs, même en plein été, Franck Louvrier vous rappelle en cinq minutes chrono, comme il avait l’habitude de le faire dans sa vie d’avant. « C’est sa marque de fabrique », sourit Véronique Waché, qui a pris sa relève auprès de Nicolas Sarkozy. Et qui le consulte de temps en temps : « C’est l’une des personnes qui dans l’entourage professionnel connaît le mieux Nicolas Sarkozy. C’est important d’avoir sa perception, son avis. »
Mais c’est la première fois depuis quinze ans que celui qu’on peut désormais aussi appeler « monsieur le président » ne fait pas de rentrée politique. Première fois aussi depuis quinze ans qu’il s’est accordé quatre semaines de vacances. Dont sept jours en bateau. « Ça permet tout de suite de s’évader. » Il en avait besoin après le tourbillon des années Sarkozy. Des hauts, comme la victoire en 2007. Des bas, comme le bannissement imposé par Cécilia ou la défaite en 2012. « Je ne suis pas pour trier le bon grain de l’ivraie », lâche-t-il.
« La vie est comme ça. Il y a des réussites, des échecs, des difficultés, des bonheurs. Il faut rebondir immédiatement et aller de l’avant. »
Telle est sa philosophie. Pas question donc de revenir sur la campagne perdue. « C’est un peu tôt. Je n’ai pas envie de replonger », glisse-t-il le regard soudain lointain.
Pas question non plus de tomber dans la nostalgie. Il vient d’acheter pour sa fille de 8 ans l’intégrale du Monde de Narnia en DVD, ce conte pour enfants sur le passage possible d’un univers à l’autre. Sa fille, qui l’avait appelé un soir pendant la campagne imitant la voix de Nicolas Sarkozy pour lui dire qu’il était viré, attendant elle aussi qu’il tourne la page. « Derrière la nostalgie, il y a le regret ou le remords. Il faut toujours se projeter. »
On enchaîne sur l’influence du conseiller Patrick Buisson, le reproche d’une campagne trop à droite. Même évitement : « On en parlera plus tard. Le temps amènera à une approche plus calme. À plus de justice et à plus de justesse. Et à moins de passion sur ce que l’on peut interpréter. Ce sont des moments complexes. » Il confie au passage avoir lu cet été le premier livre de Laurent Binet, HHhH, mais qu’il n’est pas tenté par le second, sur la campagne de François Hollande. Façon de signifier qu’il n’est pas prêt à revisiter la bataille perdue. Même sur le papier. Il préfère se plonger dans les souvenirs de Marcel Bleustein-Blanchet, le fondateur de Publicis.
On tente une question sur le style de François Hollande, les débuts du socialiste :
« Je ne veux surtout pas porter de jugement. Ce n’est pas de ma responsabilité. Mes nouvelles fonctions m’amènent à être imperméable et hermétique à tout ça. Et puis le faire maintenant, ça n’a pas de sens, je n’ai jamais cru aux cent jours. »
Pas question non plus de se joindre aux « amis de Nicolas Sarkozy ». « Je n’irai à aucune manifestation. » Et si ses élèves de l’Éfap (École des métiers de la communication) auxquels il délivrera un cours de « communication des institutions politiques et administratives » l’interpellent sur Nicolas Sarkozy, il a prévu sa réponse : « Ce n’est pas à l’ordre du jour. »
D’où cette interrogation : l’ordre du jour pourrait-il évoluer… si Nicolas Sarkozy lui envoyait un SMS : « Si tu reviens, j’annule tout » ? La réponse fuse : « Je ne suis pas du tout dans cet état d’esprit. J’ai déjà beaucoup de choses à faire et je ne vois pas du tout ça arriver. » Tout sourire, il ajoute : « Là, j’ai signé pour un CDI. » On croirait entendre le chef de l’État quand il jurait, la main sur le coeur à l’Élysée, qu’après un quinquennat, s’il était battu, c’en serait fini pour lui de la politique. D’ailleurs un de ses amis tempère : « Quand Nicolas Sarkozy te sollicite et te dit j’ai besoin de toi, c’est difficile de lui dire non. » Mais il martèle : « On n’est pas dans cette hypothèse de retour, ni dans ce moment de réflexion. »
Pouvait-on pourtant imaginer duo plus dissemblable que celui formé par Nicolas Sarkozy et Franck Louvrier. L’un, petit, nerveux, volubile, tactile ; l’autre, grand, tout en maîtrise de soi, affable, flegmatique. L’ancien « dir com » de l’Élysée, qui s’est fait remarquer au début des années 1990 au RPR où il travaillait pour Alain Juppé, n’attire d’ailleurs que les louanges. Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de Sarkozy durant la campagne, salue « une forme de sérénité dans un domaine marqué pourtant par les coups de stress et d’accélération ». Éric Ciotti, directeur de campagne de François Fillon, acquiesce : « Il était toujours d’humeur égale et disponible. Et très loyal à Nicolas Sarlozy sans exprimer ni état d’âme ni doute. »
En grattant un peu, on trouve aussi de la roublardise. Franck Louvrier savait enfumer les journalistes. Une mimique, une accélération du débit le trahissant alors. « Il nous filait des billes pour mettre David Martinon dans l’embarras », se souvient un journaliste à propos de la guerre entre le conseiller du président et l’ami de Cécilia. Louvrier se revendique comme un homme de communication :
« Je fais mon métier comme un professionnel de la communication. Pas comme un politique, d’où un rapport professionnel aux journalistes qui pouvait me différencier d’autres responsables de la communication. »
Un cas isolé en politique ? Il rit : « C’est peut-être pour ça que je quitte ce monde-là. » Son mandat de conseiller régional des Pays de La Loire n’était pour lui qu’une respiration. Dès lors, celui qu’on voyait un temps prendre la relève de la droite aux municipales de 2014 à Nantes est clair : « Ils vont m’attendre longtemps, car je n’irai pas à Nantes. En politique, tu ne peux pas faire les choses à moitié. Et il n’est pas question que j’aille dans cette voie-là. » Sauf si…
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