Le 4 février, dans les travées du Centre de congrès de Lyon, où Marine Le Pen lance sa campagne pour la présidentielle, personne ne sait encore qui est Franck de Lapersonne. Quand le comédien se hisse à la tribune d’une démarche un peu gauche, tiré à quatre épingles, son texte à la main, les militants […]
Franck de Lapersonne a rejoint les rangs du Front national. Il occupe le devant de la scène des meetings et conseille le parti sur les questions culturelles. Comment est-il passé de Valérie Lemercier à Marine Le Pen ?
Le 4 février, dans les travées du Centre de congrès de Lyon, où Marine Le Pen lance sa campagne pour la présidentielle, personne ne sait encore qui est Franck de Lapersonne. Quand le comédien se hisse à la tribune d’une démarche un peu gauche, tiré à quatre épingles, son texte à la main, les militants se jettent des regards interloqués. Les plus jeunes, comme Marion Maréchal-Le Pen, reconnaissent le protagoniste d’une pub pour la Maaf.
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Les plus de 40 ans, eux, se souviennent de l’animateur de Sexy Zap, l’émission érotico-comique diffusée sur M6 de 1995 à 1998 – “Un programme d’avant-garde !”, défend-il encore aujourd’hui. Pour les caciques du parti, qui espéraient que “l’invité mystère” serait un député Les Républicains rallié à leur cause, la déconvenue est de taille. D’autant plus que, comme prise de guerre dans le monde des arts et de la culture, on peut faire mieux.
“On lui a toujours fait jouer des rôles de conservateur”
Abonné aux seconds rôles, ce rouquin bedonnant au teint pâle et à la calvitie prononcée s’est fait connaître dans la série télévisée Palace, réalisée par Jean-Michel Ribes dans les années 1980. Depuis, on l’a vu en directeur financier cynique dans la série Les Vivants et les Morts de Gérard Mordillat (2009), en conseiller de dictateur nostalgique du colonialisme dans Le Crocodile du Botswanga de Fabrice Eboué et Lionel Steketee (2012), en curé raciste dans Case départ d’Eboué, Steketee et Thomas Ngijol (2010), ou encore en ministre de la Santé dans Palais-Royal ! de Valérie Lemercier (2005). “On lui a toujours fait jouer des rôles de conservateur. D’une certaine manière, la personne a rejoint le personnage”, philosophe amèrement Jean-Michel Ribes, qui l’a longtemps compté parmi ses proches.
Mais ce samedi-là, à la grand-messe frontiste, l’acteur ne joue plus. Derrière son pupitre estampillé d’une rose bleue, face à une multitude de pin’s lumineux “Marine présidente”, il tonne contre “les liquidateurs de la culture française”, fustige Emmanuel Macron, ce “fringant poulain du parti de l’étranger”, et tacle Najat Vallaud-Belkacem : “Victor Hugo n’a pas appris l’arabe à l’école, et cela me fait plaisir de le savoir.”
Puis vient l’instant introspectif : “Ah oui, j’étais un mélenchoniste ! Plus exactement, j’étais dorloté dans le lit des amitiés professionnelles qui roulaient pour Jean-Luc Mélenchon. (…) Si vous saviez comme je me sens mieux aujourd’hui !” Salve d’applaudissements.
“Je ne l’avais jamais vu exprimer cette hargne”
Dans l’entourage de Gérard Mordillat, qui l’a fait jouer dans quatre de ses films, on tombe à la renverse en découvrant ces images. Son directeur de la photographie, François Catonné, est “estomaqué par ses propos et son style” : “Avec Gérard, il a joué dans le registre dramatique, mais je ne l’avais jamais vu exprimer cette hargne.”
Le coming-out frontiste de Franck de Lapersonne a logiquement choqué une partie du cinéma français, qui s’est brusquement désolidarisé de lui. Contactés pour ce portrait, de nombreux acteurs ont refusé de s’exprimer sur celui qu’ils ont désormais rebaptisé “Mister Nobody”.
Quelques mois plus tôt, Gérard Mordillat l’avait sollicité pour jouer le rôle d’un patron dans sa nouvelle fiction, Mélancolie ouvrière, adaptée d’un essai de Michelle Perrot sur la première femme syndicaliste. Commande annulée. Il devait aussi interpréter l’ensemble des ministres d’une présidente d’extrême droite fraîchement élue, dans une farce intitulée Moi, présidente.
Une première représentation était même programmée au Théâtre du Rond-Point, le 10 février. Elle n’a pas eu lieu. “Comme son rôle attaquait implicitement le FN, il a préféré l’autre production”, soupire Jean-Michel Ribes, le directeur du lieu, le regard désespéré derrière ses petites lunettes rondes.
Une rencontre déterminante avec Florian Philippot
Pour le nouveau chauffeur de salle de Marine Le Pen – une mission qu’elle lui a expressément confiée pour ses meetings à Nantes et à Lille –, Moi, présidente constitue un point de rupture. Peut-être même l’origine de son virage à 180 degrés : “Je ne vous cache pas que la lecture de ce texte a été un premier déclic. Je l’ai trouvé d’une grande indigence, et volontairement vulgaire vis-à-vis de ‘la présidente’.” Sa rencontre avec Florian Philippot, en janvier, dans un café de la rue d’Assas où ils habitent tous les deux, achève de le convertir.
https://youtu.be/tiUfHX7dMpM
Depuis, ils sont quasiment inséparables. Le 23 février, ils “trinquent” (avec des tasses de café) “à la cafète de Marine Le Pen”, dans une vidéo de la chaîne YouTube du vice-président du FN devenue culte en raison de la gêne qu’elle a suscitée.
Le 31 mars, ils badinent à la Foire du Trône, entre un stand de crêpes et une attraction. A tel point que le bras droit de Marine Le Pen annonce spontanément, le 1er avril dans On n’est pas couché, que cet acteur “à la puissance comique énorme” pourrait venir chanter à Hénin-Beaumont en cas de victoire du FN à la présidentielle. C’est dire s’il fait désormais partie de la famille.
“Quand on a parlé des problèmes culturels, on était en phase”
C’est par l’intermédiaire de l’énarque frontiste que Franck de Lapersonne a fait la connaissance de Marine Le Pen. Une semaine avant les assises du FN à Lyon, ils avaient rendez-vous au QG de la candidate, situé au 262, rue du Faubourg-Saint-Honoré (la même rue que l’Elysée), dans le VIIIe arrondissement de Paris – toujours en présence de “Florian”.
“La sympathie est passée tout de suite. Quand on a parlé des problèmes culturels, on était en phase. Je n’ai pas la carte au FN, mais j’ai fait le choix d’une personne, ou plutôt de deux : Marine et Florian”, confie le comédien. Le courant est si bien passé que Marine Le Pen l’a nommé “délégué aux questions culturelles”. Pendant un mois, il a bûché pour lui remettre ses “70 propositions” dans le domaine, dont il n’est pas peu fier. A croire qu’il se voit déjà ministre de la Culture – il cite d’ailleurs abondamment Malraux.
“Sa démarche est une forme de suicide” Gérard Mordillat
Dans son salon décoré d’un portrait de Lénine et d’une photo d’Antonin Artaud, Gérard Mordillat est encore sonné par cette improbable idylle. “Je me rends compte que Franck était un acteur désespéré, car sa démarche est une forme de suicide : comment peut-on se tourner vers l’opposé de ce qu’on incarne ?”, s’interroge-t-il.
Pour l’auteur de Vive la sociale !, qui a reçu un mail “délirant d’amertume” de Franck de Lapersonne en janvier, s’en prenant à la “gauche bien-pensante” et à la “fausse générosité” de ses amis du milieu artistique, ce basculement tient beaucoup à un sentiment d’abandon : “Il a très peu travaillé en 2016, il était déprimé. Il a finalement trouvé le moyen d’avoir un public et des projecteurs braqués sur lui. C’est de nouveau un acteur, il joue in vivo ce qu’il devait interpréter au théâtre.”
“Il y a encore en lui quelqu’un qui est en train de jouer la comédie”
Jean-Michel Ribes, qui appréciait chez lui “son insolence, son bagou, son côté wildien et son humour aristo”, est du même avis : “Il y a encore en lui quelqu’un qui est en train de jouer la comédie, avec un nouveau territoire de jeu et de reconnaissance. Si la politique est la société du spectacle, alors il y jouera un rôle charismatique.”
De Lapersonne vient d’être bombardé candidat aux élections législatives pour le FN, dans la première circonscription de la Somme, face à François Ruffin. Il a pourtant grandi à Paris, et si ses origines familiales plongent dans la Picardie du côté de son père, il reconnaît lui-même que “c’est un hasard absolu”.
Les courtisans de Marine Le Pen ne s’en émeuvent pas, mais chez les élus locaux du FN, cette trajectoire météorique fait grincer des dents. Suite à cette investiture-éclair, la conseillère départementale de la Somme Patricia Wybo a démissionné du parti.
“Je ne pense pas que Franck de Lapersonne soit venu pour travailler sur le terrain” Patricia Wybo, conseillère départementale FN
“Je vois bien l’intérêt de Marine Le Pen à recruter des personnalités médiatiques, mais je ne pense pas que Franck de Lapersonne soit venu pour travailler sur le terrain et défendre les intérêts des Samariens. Il n’a jamais distribué le moindre tract de sa vie !”, argumente-t-elle, pointant le manque de méritocratie en interne. La réplique – très sérieuse – de l’intéressé à ses éventuels contempteurs est osée : “J’assume pleinement le fait d’être un parachuté en terre de Somme car vous savez, les Normands étaient bien contents de voir arriver les parachutistes en Normandie à la Libération.”
Il se prend ainsi à faire l’éloge du réalisateur de Merci patron !
En attendant le débarquement, Franck de Lapersonne navigue à vue dans un parti qu’il pense “en gestation”, et dont la “sève vitale” est à ses yeux composée d’anciens chevènementistes, garants d’une “gauche patriotique” qu’il souhaite voir renaître.
Au cours d’un entretien qui vire parfois au soliloque, il se prend ainsi à faire l’éloge du réalisateur de Merci patron !, pourtant son adversaire aux législatives : “J’ai voté pour son documentaire en tant que membre de l’Académie des César ! J’adore ce mec, je trouve qu’il est formidable, il a des idées assez incroyables.” Et qualifie Jean-Luc Mélenchon de “visionnaire”, même s’il est trop “européiste” à son goût.
Pas sûr que la blague fasse beaucoup rire au FN, qui peine toujours à recruter des artistes. La visibilité acquise par Franck de Lapersonne dans la garde rapprochée de Marine Le Pen est doucement moquée par certains cadres du parti. “On est loin d’Alain Delon”, soufflent-ils, rappelant que l’acteur culte revendiquait son amitié avec Jean-Marie Le Pen. Et si le passage au FN de Franck de Lapersonne n’était qu’une mauvaise comédie à ajouter à sa filmographie ?
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