Soixante pour cent des Français jugent que leurs élus et dirigeants sont corrompus. Analyse en trois points d’une gangrène qui affaiblit la démocratie.
Bérézina politique en Angleterre, ministres et députés tombent comme des mouches après les révélations par le Daily Telegraph sur les notes de frais abusives. La liste des excès est vertigineuse jusqu’à l’absurde : cuvette de WC, 80 000 livres de défraiements pour un appartement, une tondeuse à gazon, la location de films pornographiques… Cette dépense hédoniste attribuée au mari de la ministre de l’Intérieur, Jacqui Smith, a poussé celle-ci à démissionner. Trois autres ministres, treize parlementaires et le speaker de la Chambre des communes feront de même.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
1. L’OPACITÉ DANS LES DÉPENSES DES ÉLUS ET DES MINISTÈRES
L’ampleur du scandale a mis en lumière les interrogations sur les dérives françaises. Le Canard Enchaîné du 3 juin a révélé que François Fillon avait notamment maquillé des dépenses de Matignon en faisant payer ses collaborateurs ou ses voyages en avion par d’autres administrations. Scandale ? Démission ? On parie que non.
Dans un récent rapport, le député PS René Dosière a passé au crible les dépenses des ministères qui s’élèvent à environ 50 millions d’euros. Certains abus comme le nombre de voitures, les frais de com sont explicitement pointés. Scandale ? Rien. Quant aux députés, ils disposent d’une enveloppe fixe d’environ 5 000 euros, n’ont pas à fournir de justificatif, ni à rendre de comptes au fisc. “Ce n’est pas parce qu’il y a des règles qu’elles ne sont pas contournées. Ceux qui le dénoncent sont accusés d’antiparlementarisme, or ce sont les abus qui font monter le populisme et les extrêmes, pas leur dénonciation”, critique Séverine Tessier, porte-parole de l’association de lutte contre la corruption Anticor. Selon le Cevipof, le Centre de recherches politiques de Sciences Po (enquête corruption et démocratie, 2003- 2006), 60 % des Français jugent que les élus et dirigeants politiques sont plutôt corrompus. La corruption serait un des premiers motifs de vote extrême ou d’abstention, dans les régions pauvres notamment. Le cumul des mandats – qui concerne environ 80 % des élus – est particulièrement dénoncé car il permet de toucher une double indemnité.
2. LE RÔLE OBSCUR DES LOBBYISTES
Mais c’est l’action des lobbyistes qui inquiète particulièrement associations et partisans de l’éthique. Bernard Accoyer, le président de l’Assemblée nationale, a annoncé que des décisions sur l’encadrement des groupes de pression à l’Assemblée, comme cela se fait à Bruxelles avec registres et badges, seraient prises “à l’été”. “On ne règle pas les problèmes de trafic d’influence et de corruption sous couvert de transparence organisationnelle. Ce n’est pas parce qu’il y a un crime qu’il faut le légaliser. Le lobbying, c’est la loi du plus fort. Les PME sont distancées par les grosses entreprises et leurs moyens”, oppose Séverine Tessier dont l’association a lancé une campagne pour encourager les parlementaires à refuser les cadeaux issus des groupes de pression. “Le débat doit porter sur la transparence des décisions prises par les élus, que chaque citoyen puisse savoir quels lobbyistes ils ont écoutés avant de voter une loi”, prolonge Julien Coll, le délégué général de Transparency International France. Myriam Tonelotto, journaliste indépendante, a constaté dans son documentaire Lobbying, au-delà de l’enveloppe (2003, disponible sur www.voiretagir.org) que la régulation de la présence des lobbyistes à Bruxelles avait renforcé leur poids, entraînant concurrence et surenchère. “On a du mal à construire l’Europe politique parce que c’est l’Europe des lobbies qui se fait”, conclut Séverine Tessier. Et avec elle, l’Europe de la dérégulation néolibérale, de la loi du plus fort.
3. LA LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE FINANCIÈRE EN BERNE
Dans un bilan de l’action du président français en matière de lutte contre la corruption, Transparency s’inquiète de la suppression annoncée du juge d’instruction, point d’orgue d’une série de réformettes qui ont démantelé les corps spécialisés en matière de délinquance financière. “Nous tirons la sonnette d’alarme sur les moyens d’action de la justice pour ouvrir et conduire des enquêtes en toute indépendance. Les magistrats nous expliquent que les grosses affaires concernant les politiques ne sortent plus”, insiste Julien Coll dont l’ONG demande la création d’un “procureur général de la République” nommé par le Parlement.
Elle critique aussi la volonté de Sarkozy d’étendre le secret défense à la présidence, aux ministères, services secrets ou sièges de grandes sociétés. Séverine Tessier : “Il est incroyable de dire que l’on veut améliorer la justice et supprimer la fonction de juge d’instruction, dire que l’on veut moraliser le capitalisme et dépénaliser les affaires financières.” Point positif, pour Transparency : la proactivité de la France sur les paradis fiscaux. Séverine Tessier est moins optimiste : “Les déclarations des grands décideurs ne sont pas suivies de faits. La liste des paradis fiscaux ne pointe pas les gros qui pourraient déranger les pays du G20.” Pour elle, la véritable avancée vient des Etats-Unis qui ont signé un accord avec le Luxembourg et la Suisse pour avoir accès à l’identité de leurs ressortissants titulaires de comptes douteux. Tandis qu’en France, le parquet tente de bloquer une enquête sur les biens français de chefs d’Etats africains, ouverte après une plainte de Transparency.
La France ne sera jamais un pays scandinave où chaque dépense est publique et justifiée. Mais dans un pays où Elysée et ministères demandent aux Français de se serrer la ceinture sans diminuer leurs dépenses, les nouveaux partis comme le Modem ou Europe-Ecologie et son anti-Dati Eva Joly, vierges d’affaires, avancent sous le sceau d’une apparente pureté politique.
{"type":"Banniere-Basse"}