Sur France Culture, Christine Lecerf explore la vie et l’œuvre de Simone de Beauvoir dans ses moindres détails. Elle remet ainsi en lumière une figure qui aura marqué son siècle et dont l’immense influence perdure.
Inventer sa vie, devenir ce que l’on est. Combien de deuils, de renoncements, de choix opportuns, de rencontres fécondes, de décisions irréfragables président à cet étrange projet intime ? Quelle est la part de la volonté, des expériences, des influences dont on se défait, de la famille qu’on se recrée, dans cet exaltant chemin vers soi ? Quel rôle assigner à l’écriture ? Une fois délesté de l’héritage familial, de l’éducation, des codes sociaux, comment s’affranchit-on de ce que les siens avaient placé en soi ? Comment se déprend-on de l’image factice que l’on renvoie, jeune fille rangée, intello rigide ou folle dévergondée ? Bref, comment devient-on Simone de Beauvoir ?
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L’héritage précieux d’une liberté
C’est le parcours riche d’une insoumise qu’égrène cette dense série d’émissions concoctée par Christine Lecerf et Christine Diger. Pas moins de neuf heures en tout pour traverser cette vie d’amoureuse et d’intellectuelle rigoureuse qui embrassa le siècle et laissa aux femmes l’héritage précieux d’une liberté à conquérir encore et toujours.
Si, en France, le rôle qu’a joué son essai Le Deuxième Sexe dans la construction de la pensée féministe est certes reconnu mais parfois minoré, voire contesté, aux Etats-Unis Beauvoir est considérée comme une intellectuelle de premier plan, une icône même – et pas seulement à cause de sa liaison solaire et exaltée avec l’écrivain américain Nelson Algren.
La quête d’absolu
Aussi, outre des entretiens (avec Irène Frain, Annie Ernaux, Elisabeth Badinter, Sylvie Le Bon de Beauvoir, Claude Lanzmann, etc.) entremêlés d’extraits de ses écrits et d’archives sonores donnant à entendre sa voix flûtée et vive, l’émission se penche volontiers sur le retentissement que son œuvre aura outre-Atlantique, et nous fait découvrir une Beauvoir moins connue, plus secrète, celle qui, dès 1947, partait sans son cher Sartre découvrir New York, ses quartiers interlopes du Bowery ou de Harlem, et Chicago, où elle partagera une vie de bohème joyeuse avec son amant Algren.
Lorsqu’on tente d’assembler les pièces du puzzle, une ligne semble orienter son existence : la quête d’absolu – mot étrange dans la bouche d’une athée certes élevée dans une institution catholique mais qui disait avoir perdu la foi à 13 ans. Nulle transcendance – et comment pourrait-il en être autrement venant d’une des figures de l’existentialisme ? – mais un désir ardent de lier conjointement la vie et l’écriture.
Une soif éperdue de liberté, de découverte, d’amour, et de devenir “un quelqu’un” – célèbre pourquoi pas, mais surtout qui ne sera pas passé à côté de sa vie. Alors elle ne cessera de noircir ses carnets, consignant les heurts et bouleversements qui se lèvent en elle.
Comme un acte d’autofécondation
L’écriture chez Beauvoir ne sera jamais aussi ample que lorsqu’elle s’emploiera à sonder sa propre vie. Des carnets de jeunesse, qui posent l’écriture comme un acte d’autofécondation, jusqu’à La Cérémonie des adieux, décrivant d’une plume clinique les dernières années d’un Sartre déclinant et malade, elle n’aura de cesse d’écrire sa vie pour témoigner de son époque : l’enfance dans une famille bourgeoise déclassée, l’étudiante brillante de Normale Sup surnommée Castor (pour son esprit constructeur) par celui qui sera tout autant son geôlier et son libérateur : Sartre…
Et puis Saint-Germain-des-Prés, les amours multiples et contingentes, l’Amérique et la découverte du plaisir, et enfin l’engagement à gauche, la défense des opprimés, la cause du peuple et surtout celle des femmes… Bref, une vie, sa vie, tout entière infusée dans ses livres…
Anaïs Leehmann
Simone de Beauvoir absolument, série d’émissions de Christine Lecerf réalisée par Christine Diger, du lundi 17 au vendredi 21, 9 h 10 (multidiffusion à 22 h 10), France Culture
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