Dominique Besnehard dresse le portrait passionnant, bien que lacunaire, d’un monstre sacré du cinéma français et d’une actrice libre : Françoise Fabian.
Un des principaux attraits du documentaire de Dominique Besnehard consacré à Françoise Fabian tient à la profusion de ses archives. Plus encore que les extraits de films ou les captations théâtrales, ce sont les interviews télévisées qui fascinent. Elles racontent tous les états biologiques d’une personne, jeune, mûre, entre les deux, et on peut vérifier que Françoise Fabian a été d’une beauté renversante à tous les âges de sa vie, et qu’à plus de 80 ans elle l’est encore aujourd’hui.
Mais elles racontent aussi tous les états techniques d’un médium : ici un petit sketch à la fois drôle et désuet d’une émission de divertissement sixties où l’actrice fait semblant d’être surprise chez elle, toute décoiffée, en train de faire une inhalation ; là une interview en mode pionnier du genre par Pierre Tchernia à la fin des années 1950 ; ici un Bouillon de culture nineties où l’actrice rit à gorge déployée avec Bernard Pivot.
Précise mais distante, toujours sur la retenue
L’actrice et la télévision prennent conjointement de l’assurance. Dans la télé lo-fi des années 1960, l’actrice est une jeune femme toujours un peu empruntée en interview, précise mais distante, toujours sur la retenue. Dans les émissions plus proches de nous, elle respire au contraire l’aisance, répond à toutes les questions très frontalement, puise dans les émotions de toute une vie, de façon fluide et habitée. La partie où elle raconte ses quatre années de bonheur auprès de Jacques Becker, puis son veuvage prématuré à l’âge de 27 ans, est particulièrement émouvante.
Tout comme le récit de sa longue relation amoureuse avec le comédien Marcel Bozzuffi (également interrompue par le décès du comédien). Et l’examen introspectif se clôt par une profession de foi vibrante : “Je n’ai pas peur d’évoluer, je n’ai pas peur de jouer de vieilles dames, je n’ai pas peur de prendre des risques… Je n’ai peur de rien.”
Relation amicale privilégiée avec Dominique Besnehard
Probablement que cette liberté de l’actrice à parler aussi facilement de sa vie, professionnelle et intime, s’enracine dans sa relation amicale privilégiée avec Dominique Besnehard, qui lui a également confié un beau rôle (de rivalité avec Line Renaud) dans l’épisode de plus réjouissant de la série qu’il a récemment produite, Dix pour cent. On demeure néanmoins un peu insatisfait sur un point : les choix opérés par le documentaire dans la carrière de la comédienne.
Sur une œuvre aussi vaste, couvrant sept décennies, il est inévitable de ne privilégier que quelques temps forts. On s’étonne que des films aussi forts que Out 1 de Jacques Rivette (avec qui la comédienne a tourné deux fois), La Lettre de Manoel de Oliveira n’y figurent pas, que Faubourg Saint-Martin de Jean-Claude Guiguet soit cité mais sans extrait – tandis que des films très anecdotiques sont eux pris en compte en majesté.
Allers-retours entre la marge et le centre
L’originalité du parcours de Fabian est d’avoir accompagné à la fois des aventures de cinéma d’une radicalité puissante, sans jamais cesser d’habiter aussi le cinéma le plus populaire – et ce jusqu’à ces dernières années avec LOL, Le Prénom ou Guillaume et les garçons, à table ! Avec comme point culminant à ces allers-retours entre la marge et le centre, un des plus beaux films du monde, dont le documentaire livre pour le coup un extrait superbe : Ma nuit chez Maud d’Eric Rohmer, où “la Fabian” est sublime pour l’éternité.
La Fabian documentaire de Dominique Besnehard, Ciné+ Classic. Nuit Fabian le jeudi 21 janvier