Le président des Etats-Unis n’a, malgré ses attaques répétées, pas que des ennemis dans le monde médiatique. La très réactionnaire Fox News s’est ainsi transformée en véritable canal de propagande d’Etat.
Trump est en guerre ouverte contre les médias. En meeting, il les livre en pâture à la foule. Dernièrement, CNN, le New York Times, la BBC ont été virés du point presse de la Maison Blanche ; il est par ailleurs question de couper les vivres à la radio publique.
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Trump range les médias dans le même sac, les qualifie même d’“ennemis du peuple”. L’expression a connu son pic avec les purges de Staline. Sa remise au goût du jour confond les historiens américains : si l’insulte a un lourd bagage en Europe (inventée par Robespierre, reprise par les bolcheviks), elle sonne creux aux Etats-Unis.
The FAKE NEWS media (failing @nytimes, @NBCNews, @ABC, @CBS, @CNN) is not my enemy, it is the enemy of the American People!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 17 février 2017
“L’expression est totalement étrangère à la culture américaine”, s’étonne Philip Short, spécialiste du langage des dictatures au New York Times. Il est possible que Trump l’ait entendu de la bouche de Steve Bannon, qui se compare souvent à Lénine. En attendant, Trump s’aligne volontairement sur une belle brochette de dictateurs. Tout président autoritaire a son canal officiel : pour Trump, c’est Fox News.
https://youtu.be/9VZ3ZjtV6S8
Fox se nourrit de Trump et Trump se nourrit d’elle
Le pendant de cette dérive rapide, c’est le nouveau rôle de Fox dans le paysage audiovisuel. La chaîne est devenue la voix officielle du régime. Fox se nourrit de Trump et Trump se nourrit d’elle. La chaîne développe des capacités divinatoires : ce qu’on lit sur le fil Twitter du Président a souvent été prononcé sur Fox dans les heures précédentes.
La connaissance de Trump des enjeux mondiaux paraît calquée sur ce qu’il a regardé la veille, seul dans son lit en peignoir, ou dans la salle à manger présidentielle, où il a fait installer un écran plasma pour regarder la télé à l’heure du déjeuner.
“Fox, c’est la couverture la plus honnête »
Pour sa toute première interview de Président accordée à ABC, Trump défend son discours inaugural en citant Fox. “Ce discours était un carton plein. Regardez ce que Fox a dit… Ils ont dit que c’était un grand discours de Président… (…) C’était la couverture la plus honnête ! Vous, ABC, et d’autres chaînes, avez essayé de minimiser mon discours. Et ça, c’est très, très fâcheux, ce que vous avez fait…”
Trump embraie sans logique ni transition sur son discours controversé au siège de la CIA. L’assistance a explosé l’applaudimètre, alors qu’il avait traité la veille les agents de nazis. Y avait-il des chauffeurs de salle ? Trump nie, en mentionnant un présentateur de Fox, Sean Hannity, par son seul prénom.
“Il y avait tous ces gens qui applaudissaient, tous de la CIA… Quelqu’un a demandé à Sean : ‘C’était des gens envoyés par Trump, ceux qui applaudissaient ? ’ Non, il n’y a pas de gens envoyés par Trump… C’était des gens de la CIA.”
“Bravo à Fox News, numéro un des audiences”
Trump ne s’informe pas que sur Fox. On comprend via ses tweets qu’il regarde aussi les autres chaînes – pour surveiller le mal qu’elles disent de lui. Mais c’est probablement sa source principale. Et c’est Fox qu’il conseille aux Américains de regarder, comme dans ce tweet du 24 janvier : “Bravo à Fox News, numéro un des audiences. Bien meilleures que FAKE NEWS CNN. Le public est intelligent !”
La chaîne s’approche au fil des semaines du modèle de Rossiya 1 en Russie : mielleuse avec le chef de l’Etat, elle passe sous silence ses mensonges. La différence, c’est qu’elle distribue des éléments de langage à Trump – alors qu’il est peu probable que Poutine tire ses arguments d’émissions de télé.
Par exemple, l’idée fixe d’“envoyer les fédéraux à Chicago” pour mettre fin à la guerre des gangs vient directement de la bouche de Bill O’Reilly, polémiste de la chaîne qui a sa quotidienne en access prime time. Le 25 janvier, O’Reilly s’exclame : “Quarante-deux homicides à Chicago le mois dernier ! Vous savez quoi ? Si j’étais Président, j’enverrais les fédéraux… – Eh oui !.. C’est un carnage”, confirme son invité.
Même jour, une heure plus tard, Trump suggère cette idée sur Twitter : “Si Chicago ne met pas fin au carnage actuel, j’envoie les fédéraux !” Dans les Etats-Unis de 2017, une intervention partisane sur Fox pèse aussi lourd qu’un rapport de la NSA.
Une narration simple, digeste, clôturée d’un monde trop compliqué
Trump ne se casse pas la tête, cite verbatim. Prend pour argent comptant des reportages qui ont assis la réputation de guignol de Fox à l’international (on se souvient, en France, des fameuses no go zones parisiennes où la police n’oserait plus aller…). Une réalité parallèle réunit le Président, la chaîne et les téléspectateurs en circuit fermé. Une narration simple, digeste, clôturée d’un monde trop compliqué.
Dernière victime en date, la Suède. Son modèle d’accueil des réfugiés classe le pays tête de turc numéro un de Fox, et donc du Président. Quand Trump hurle le 18 février dans un meeting en Floride : “Regardez ce qu’il se passe en Suède… EN SUÈDE !”, les Suédois se demandent de quoi Trump peut bien parler. Il fallait regarder Fox News la veille : un documentariste d’extrême droite rapporte une explosion de violence en Suède à un intervieweur complaisant qui, en retour, peste contre le “masochisme occidental”.
https://youtu.be/a0QcrR5dTOo
De la même manière, qui est Nils Bildt ? Fox donne une tribune à ce “conseiller défense et sécurité nationale du gouvernement suédois” le 19 février. Bildt prévient les téléspectateurs des activités “criminelles” et “déviantes” des migrants en Suède. “Des faits limpides, indiscutables…”, reprend le présentateur Bill O’Reilly.
On saura plus tard que l’intitulé du poste n’existe pas dans l’armée suédoise. Aucun officier ne le connaît. Même le nom “Nils Bildt” n’existe pas : sous ce pseudo se cache un homme né Nils Tolling, repris de justice, installé dans le Montana. Mais peu importe. Car depuis, Donald Trump a déclaré que tout média suggérant que les migrants ne posent pas de problème en Suède serait rangé dans la catégorie “fake news”.
“Fox est devenue une télévision d’Etat”
“Le soutien public et officiel de Trump à Fox News contre les autres chaînes d’info est quelque chose de jamais vu. Fox est devenue une télévision d’Etat”, s’inquiète Gabriel Sherman, journaliste au New York Magazine et biographe du créateur de Fox, Roger Ailes. Le livre, The Loudest Voice in the Room, rappelle qu’Ailes a d’abord travaillé pour Nixon, et que dès les années 1970 germe en lui l’idée d’une chaîne d’info partisane, qui pourrait disséminer des “éléments de langage” au quotidien, pour un effet maximum sur l’opinion.
Beaucoup pensent que Fox n’était au départ pas ravie que Trump s’impose sur ses concurrents républicains classiques. Gabriel Sherman soutient le contraire : “Roger Ailes a toujours utilisé Fox comme un mégaphone personnel” et serait fondamentalement raciste et nationaliste. “Le pouvoir de Fox News a peu à peu tordu le parti républicain vers son incarnation actuelle : populiste, nationaliste, partisane du nativisme blanc.”
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