Depuis maintenant six ans, Joe Pickett et Nick Prueher animent le Found Footage Festival. Une foire aux curiosités vidéo oubliées, entre fibre nostalgique et découvertes hallucinées, de passage à Paris le 13 juillet.
Les captations vidéos ne sauraient mentir : à leurs débuts, Joe et Nick ne déplacent pas vraiment les foules. Devant des salles à moitié pleines, les deux complices rôdent leur numéro et affûtent leurs punchlines. Ils ne sont pas encore totalement décontractés dans leur rôle de MCs, mais ça ne saurait tarder. Ils ont foi en leur matériau – une sélection de VHS rarissimes, glanées depuis plus de vingt ans dans les brocantes, les vide-greniers, les cash converters, les stations-services, les décharges publiques. Parmi cette foultitude de reliquats analogiques, des bijoux de décalage involontaire, d’inoubliables représentants de « Cet âge d’or où tout le monde pouvait avoir un caméscope, un magnétoscope, et enregistrer des vidéos sur tout et n’importe quoi », comme l’écrivent Pickett et Prueher dans leur livre VHS : Absurd, Odd, and Ridiculous Relics from the Videotape Era.
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Dans leurs montages, on croise une faune pour le moins bigarrée. Des présentateurs de télé-achat sous cocaïne, un Arnold Schwarzenegger en plein trip crapuleux au carnaval de Rio, un ami virtuel proposé par la lynchienne vidéo Rent a Friend, un moustachu maléfique qui vous explique très sérieusement comment « séduire les femmes par l’hypnose », un joueur de billard aigri, le vendeur de camping-car le plus énervé du monde… Ce dernier, Jack Rebney, deviendra grâce ou à cause du festival une célébrité du web. Au point qu’un documentaire, Winnebago Man (2009), sera consacré à cette personnalité borderline.
Le festival prend chaque année plus d’ampleur. La cinquième édition se joue à guichets fermés, compte un special guest de luxe pour ses sketchs en la personne de Bob Odenkirk (l’avocat Saul Goodman dans Breaking Bad), et reçoit l’approbation de John C. Reilly.
Joe Pickett et Nick Prueher se sont révélés en passeurs de mémoires enfouies, quitte à prolonger le simple partage en partant à la recherche de leurs idoles du moment : un chanteur pour enfant “à la demande“, l’auteur d’un album consacré aux signes du zodiaque… Leur hall of fame de parfaits inconnus ne cesse de s’agrandir, portraits d’une Amérique jusqu’alors invisible. Avant d’aller voir la version parisienne du Found Footage Festival, concoctée par les émérites sbires des assos Panic ! Cinema et Pas de Pitié pour les Navets !, on a chopé Nick Prueher au réveil pour en savoir plus.
Quand avez-vous contracté le virus de la quête de vieilles VHS ?
Nick Prueher : Ça remonte à 1991, j’étais en troisième et je bossais dans un McDonald’s. Je m’ennuyais. Dans la salle de repos, un jour, je repère un comptoir rempli de VHS qui n’avaient jamais été ouvertes, des vidéos de formation pour le ménage. J’en ai pris une, je l’ai regardée, et je n’en suis pas revenu d’à quel point c’était idiot, ridicule. Je l’ai montrée à mon ami Joe Pickett qui en est tombé autant amoureux que moi. On organisait des séances pour nos amis, on y ajoutait nos commentaires ; on s’est dit qu’il nous fallait plus de matériel comme celui-là. On a commencé à faire les vide-greniers, à la base juste pour se distraire.
A l’origine, vous avez monté le Found Footage Festival pour financer un documentaire, « Dirty Country »…
Avec Joe, on était fascinés par Larry Pierce, un vieux chanteur de country très salace dont on avait trouvé une cassette dans une station service. On a essayé de trouver des financements par toutes les voies officielles, en vain. On ne pouvait se tourner vers personne, on n’avait rien à vendre. Tout ce qu’on possédait, c’était notre collection de VHS. En 2004, après avoir quitté nos jobs pour faire ce film, on a décidé de reproduire ce qu’on faisait dans nos living rooms devant le public d’un bar. Grâce à une annonce dans le New York Times, ça a plutôt bien marché, on avait trouvé le moyen de se faire un peu d’argent.
A la fin de « Dirty Country », vous faites rencontrer son public à Larry Pierce pour la première fois, de façon plutôt émouvante. Vous n’êtes pas du tout cyniques, en fait ?
C’est vrai. A la télé américaine, de plus en plus de chroniqueurs ironisent sur les vidéos d’Internet, mais pour moi, ils sont à côté de la plaque. Bien sûr, il nous arrive de rire de vieilles vidéos, d’à quel point elles sont datées, ou simplement ridicules. Mais ce sont des VHS qu’on sort de nulle part, et on acquiert une vraie affection pour leurs auteurs.
Qu’en est-il de votre public ?
Je pense que si c’était mal intentionné, le public ne s’amuserait pas autant. Il ne rirait pas, se sentirait coupable. Et c’est pour ça que les spectateurs reviennent souvent avec leurs amis, c’est plus une célébration qu’une moquerie.
Votre premier objectif était la réalisation, et finalement le Found Footage Festival vous prend presque tout votre temps. Vous le regrettez ?
Pas vraiment. Bien sûr, on n’aurait jamais imaginé en faire notre métier, c’était notre hobby. On ne s’attendait pas à ce que des gens en dehors de notre cercle d’amis puissent trouver ça aussi drôle que nous.
Dans son livre « Rétromania », Simon Reynolds dit plus ou moins que la pop culture contemporaine dans son immense majorité est condamnée au recyclage de son passé, à être efficace à défaut d’originale…
Je ne suis pas tout à fait d’accord. Toute la base de l’art vivant est la reproduction d’une vieille idée pour en faire quelque chose de nouveau. Duchamp a pris un urinoir, l’a mis sur un piédestal et a dit que c’était de l’art… On se sert de vidéos qu’on détourne de leur visée originelle, on les met à jour dans un contexte contemporain. On leur donne vie sur grand écran dans des bars ou des cinémas, alors qu’elles ne devaient jamais être montrées ; pour moi, c’est quelque chose de nouveau à partir du moment où on le détourne de son objectif premier.
L’artiste contemporain Pierre Pinoncelli a pissé dans l’urinoir de Duchamp et lui a donné des coups de marteau en se réclamant d’un art en mouvement, il a été arrêté et condamné…
Arrêté et condamné ? (rires) Intéressant. En fait, on n’a pas le même problème, vu que les vidéos qu’on trouve sont considérées bonnes à jeter. Quand j’essaie d’expliquer à mes grands-parents ce que je fais pour gagner ma vie, ils ne comprennent rien. Ils pourraient me faire arrêter, je crois.
Quelle est la part de nostalgie dans ce que vous faites ?
Ça aide les gens à rire, et pour nous, c’est la valeur ajoutée de la VHS, puisqu’on a grandi avec. On aime les couleurs, les maladresses, le fait de rembobiner avec un crayon, ce côté analogique. C’est facile pour les gens de se moquer des coupes de cheveux, des looks, de la façon de regarder la technologie ; la vidéo était un nouveau format et les gens expérimentaient. Les VHS étaient faciles à produire, elles étaient partout, tout le monde avait un magnétoscope. Quand un format se démocratise, il voit apparaître des choses étranges, ésotériques. Aujourd’hui, un très mauvais chanteur d’opéra peut désormais faire son disque en appuyant sur les cent bons boutons.
Found Footage Festival, le 13 juillet à 21h, au Cantada II (Paris 11e)
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