Depuis la sortie de son mode “Battle Royale” gratuit et très largement inspiré de “PlayerUnknown’s Battlegrounds”, les adeptes du jeu en ligne du studio américain Epic, dont la version définitive est attendue cette année, se comptent par dizaines de millions. Il y a pourtant à peu près autant de raisons de s’enthousiasmer devant “Fortnite” et de le rejeter. Pour le meilleur et pour le pire, ce jeu est un symptôme.
Un Fortnite peut en cacher un autre – et un jeu de “battle royale” aussi. Si le titre d’Epic Games affole les compteur (au point d’avoir convaincu l’éditeur de Gears of War d’abandonner son autre gros jeu en ligne, Paragon, pour se concentrer sur celui-là) avec désormais plus de 45 millions de joueurs recensés, ce n’est pas exactement le jeu disponible en “accès anticipé” depuis l’été dernier et dont le développement a débuté en 2011 qui mobilise ainsi les foules, mais son mode dérivé (et gratuit, tant que l’on évite l’onglet “boutique” de son menu) Fortnite Battle Royale, produit de manière beaucoup plus rapide et opportuniste.
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Il n’en restera qu’un
Cent joueurs armés d’une simple pioche sont parachutés sur une île vidée de ses habitants. A la fin de la partie, il n’en restera qu’un, et toutes les tactiques sont valables pour survivre aussi longtemps que possible à l’hécatombe annoncée : soigner son armement – flingues et munitions se ramassent pour l’essentiel dans les bâtiments – pour partir en chasse de nos 99 rivaux, se planquer en attendant que les autres s’entre-tuent pour surgir au dernier moment ou toutes les variantes et façons de faire intermédiaires entre la brute quasi kamikaze et le planqué qui préfère méditer sur le sens de la vie au fond d’une salle de bain – un lieu parfait, avec sa porte unique facile à surveiller, pour laisser le temps tranquillement s’écouler.
Vous avez dit PlayerUnknown’s Battlegrounds, ou plus probablement PUBG, son petit nom plus facile à retenir ? Effectivement : Fortnite Battle Royale est un décalque même pas déguisé du jeu PC phénomène de 2017 ayant pour particularité notable de compter plus d’adeptes que l’original qui, lui, est payant – ceci explique sans doute cela. Côté Battle Royale comme, bien qu’à un degré moindre, Save the World, Fortnite est une expérience souvent palpitante. C’est aussi un symptôme frappant des mutations actuelles du jeu vidéo.
Battle royal acidulé
Sous le nom Save the World se cache ce qui était à l’origine le vrai Fortnite, soit une tentative assez improbable de jeu en ligne hybride qui réunirait des éléments de shooter, de RPG, de jeu de construction à la Minecraft et même de tower defense, cette variante de la stratégie dans laquelle le joueur doit protéger une base sur laquelle déferlent des vagues d’ennemis. Lesquels, ici, sont des zombies arborant, derrière leur propre tête et en guise de capuche, ce qui reste de celle de l’humain à qui leur corps appartenait avant. Une image hyper gore qui ne manquera pas de nous donner des cauchemars. Sauf que non : même dans l’horreur, Fortnite se révèle outrageusement pop et coloré, loin du réalisme glaçant de PUBG et beaucoup plus dans l’esprit d’un autre tube en ligne récent : Overwatch.
Avec toutes ces influences dont on ne sait pas si elles viennent davantage d’une vision des développeurs ou d’une liste fournie par le service marketing de trucs qui marchent à inclure absolument dans le jeu, Fortnite pourrait sembler bancal et indigeste. Il l’est un peu, mais son côté jeu en chantier, qui tente des choses et se cherche – c’est souvent la règle de l’accès anticipé –, est finalement moins pénible qu’excitant. Alors que les règles s’inventent presque en direct, nous voilà aux premières loges, et c’est plutôt bien.
D’autant que l’abondance de “jouets” de Fortnite (armes, personnages, murs et plafonds pour édifier des bâtiments et pièges pour en ralentir la conquête) le transforme en un fantasme de jeu d’enfant jamais devenu complètement grand. C’est à la fois (ou successivement) une partie de cache-cache, une aventure exploratoire à travers le quartier et un festival de destructions pour rire (voitures, arbres, pierres ou maisons y passent : on a un besoin pressant de matières premières). Et, bientôt, on construit un fort. Youhou.
Nouvelle industrie
Mais Fortnite est aussi autre chose : un centre commercial. Dans son mode Battle Royale disponible en free-to-play, donc, mais aussi pour Save the World qui, toujours payant actuellement, doit devenir lui aussi gratuit dans le courant de l’année.“Mise à niveau de spécial à limité” : 89,99€. “10 000 V-bucks + 3500 bonus” : 99,99 €. On en est là : sur le modèle de Candy Crush, de Clash Royale ou, snif, de la version mobile d’Animal Crossing, Fortnite a pour objectif non dissimulé de tirer le maximum d’argent de ses utilisateurs. Le temps est au jeu comme “service” (plutôt que comme produit acheté une bonne fois pour toutes) et aux “loot boxes” au contenu aléatoire – celles-là même, ou presque, qui ont été tant reprochées à Electronic Arts pour Star Wars Battlefront II.
Certains diront que l’on n’est pas obligé de payer, que l’on peut même faire de l’esquive des appels à passer à la caisse un objectif en soi. Certes, mais l’expérience de jeu s’en trouve quand même entachée, salie. C’est la fin de l’innocence, du jeu sans arrière-pensées. On se croyait lâché dans un immense terrain vague avec, comme principale alliée, notre imagination sans âge fixe, et l’on se retrouve à feuilleter un vulgaire catalogue de vente par correspondance. Coup de vieux. Coup de blues.
Et pourtant, une fois sur le terrain de Fortnite Battle Royale, le plaisir que l’on prend est incontestable. Parfois, ce qui se passe est même drôle. Par exemple, après avoir pénétré dans une maison et pris soin de bien refermer la porte pour que personne ne sache que l’on y avait trouvé refuge, on réalise soudain que quelqu’un d’autre y a pensé avant – tel est pris qui croyait prendre.
Fortnite se révèle d’ailleurs beaucoup plus ironique et léger que PUBG, lequel est plus radical, sombre et (potentiellement) désespéré. Les jeux diffèrent quand même donc un peu et, dans le cas de Fortnite Battle Royale, l’ajout de la possibilité de fabriquer murs, plafonds et escaliers, issue de Save the World, ajoute vraiment un plus – de nouvelles possibilités de progresser ou de se mettre à l’abri, mais aussi un risque de se faire repérer car, pour les autres joueurs, ces constructions “humaines” sont très reconnaissables. A l’intérieur même du joueur, la lutte est féroce entre l’élan joyeux et la conscience d’évoluer dans un système cynique. Bienvenue dans la nouvelle industrie vidéoludique.
Fortnite (Epic Games), sur PC, PS4 et Xbox One, de 40 à 150€ environ (mode Save the World) ou gratuit (Battle Royale)
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