Avec l’été, Marseille se transformera-t-elle en nouveau Brooklyn ? Food, rooftop, gastro, lieux alternatifs, collectifs, la cité phocéenne s’électrise. Dans sa lumière qui enivre, la ville s’agite dans un joli mix de bordel ambiant et de belles volontés. Ici, on se baigne comme on danse : en plein centre-ville.
A l’heure où les terrasses du Port tirent les rideaux, une clientèle attifée comme pour sortir en boîte se précipite au dernier étage du centre commercial. Talons hauts, cheveux longs lissés sur le côté, shorts courts, les pépettes lâchent leur plus beau sourire au portier vérifiant les billets digitick qui donnent accès à la terrasse.
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Tandis que le soleil décline sur l’horizon dégagé du port et du grand large, le toit des Terrasses a déjà poussé le son. “Ouahhhh, c’est comme à Aix mais la mer en plus”, s’émerveillent les aspirantes. Exploit ou début de la fin, le « R2 » attire même la jeunesse aixoise à Marseille, ville longtemps dédaignée de la bourgeoisie provençale. Rosé bas de gamme et mauvais Spritz, burgers, service d’ordre, tout a été prévu pour que la fête tienne sans débordement jusqu’à 2 heures, pas plus.
« Quand on mixe, on voit que les gens ont le sourire, l’ambiance est super et pas une embrouille« , se réjouit Rémi, aka Rain Rainmixtape, le local du binôme techno house disco marseillo-parisien Solarism qui initie Marseille tous les samedis soirs au clubbing new-yorkais old school. “80 % des gens ne savent pas ce que c’est” ajoute-t-il. Mais ça fait danser les filles… C’était comme ça la veille, ce sera comme ça le lendemain.
Le groupe parisien Noctis a investi du lourd pour créer ce lieu emblématique des nouvelles nuits de fin de semaine marseillaises. “Une boîte, je ne l’aurais pas prise« , confie Laurent de Gourcuff, son président. « Mais ce lieu unique en terme de rooftop en Europe, en plein centre-ville… c’était si, évidemment !” Cordialement accueilli par toutes les autorités veillant à la nuit (et aux caisses municipales), Noctis a mis quelque 2,6 millions d’euros sur le toit et à la manière corse, une équipe 100% marseillaise pour gérer la programmation. Par un business modèle d’entrées payantes, d’horaires de quadra et de prog sans rap, le R2 écarte la clientèle des quartiers Nord. Avec ses trois soirées à plusieurs centaines de fêtards chacune, Noctis savoure : “on peut faire du bon business à Marseille.”
Chi chi et tables étoilées
A trois heures de Paris en TGV, le week-end marseillais démarre dès mercredi. Au son des vagues et du rosé, la Buvette D*I*S*C*O !, le spot imaginé par le label Virgo Music et abandonné depuis 2011, ressort du sable. Comme si l’été 2015 était le plus permissif depuis longtemps.
Marseille est surexcitée. Le mouvement se répand sur tous les toits de la ville : On Air à la Friche de la Belle de mai, roof du club d’aviron, Vertige aux cinquième étage des Galeries Lafayette, accès secret au toit du Bouche à Oreille sur le Vieux Port. Au niveau de la mer, sirènes et poulpes jouent au Crepidula fornicota sur les transats du restaurant sur pilotis le Petit Pavillon. La Mama Beach du Mama Shelter propose les soirées “Mamardredis, tout est permis”. Même le très fermé Cercle des nageurs s’est décidé à ouvrir sa vue exclusive aux clubbers.
Portée par le dynamisme d’une génération qui a envie de tout casser, Marseille flambe sous le soleil toutes ses cartouches. Food, nuits, musique s’épanouissent dans un rare éclectisme. Marseille, il y en a pour toutes les oreilles. Juin alternatif avec B-Side, début juillet expérimental avec Mimi, puis Jazz des 5 continents et entre-temps, retour de Rockisland, le festival de musiques mixées, absent en 2014, a lui aussi réinvesti le fort d’Entrecasteaux – spot plus magique dominant tout le port.
Il y en également pour tous les goûts. “L’esprit frites-supions-pizza a évolué », se ravit le chef Arnaud Carton de Grammont qui, non content de détenir l’une des plus belles terrasses du centre, prépare un Cabanon Carton, lieu de happenings culinaires éphémère. “Cette ville contradictoire”, comme la qualifie la native Macha Makeïeff, fait en 2015 déplacer les Parisiens pour les assiettes à la Jackson Pollock de son nouvel étoilé, Alexandre Mazzia. « La ville s’émancipe« , s’amuse celui qui fait manger de la framboise-harissa aux amateurs de chichi. A l’image de chefs nouvelle génération comme Pierre Giannetti ou Emmanuel Perrodin, cette jeune gastronomie marseillaise casse les codes et bouscule génétiquement la cité phocéenne.
« Entre castagne solaire et vent qui rend fou »
Ce nouvel élan agite la ville et son image.
« C’est une ville fascinante qui a l’habitude de recevoir de la haine et des crachats. Elle est attendrie par ce nouveau regard. Paris salit les cheveux, Marseille c’est un laboratoire artistique puissant », psychanalyse Rudy Ricciotti, l’architecte du Mucem, seule réalisation à succès de Marseille capitale européenne de la culture en 2013.
Forte de sa mixité culturelle mais dépourvue de budgets, Marseille invente un modèle de sorties à son image : en lieux alternatifs et motivations de collectifs. Marseille a besoin d’air et s’enivre d’une dynamique post 2013. « Les gens n’ont plus envie d’aller en boîte, alors on trouve de nouveaux lieux« , estime Christian Mellon qui organise tous les dimanche soir un DJ set de quelques heures en pleine mer.
Le fondateur du collectif Borderline, précurseur dans le revival phocéen, invite aussi Husbands & Chassol dans un théâtre à ciel ouvert, Nasser au Stade Vélodrome et beaucoup d’autres pour la rentrée dans sa nouvelle « Border Room », la Boiler Room de la côte bleue. « Il y a beaucoup de changement, ça se bouge, comme une réaction à l’année culturelle la plus lamentable pour Marseille« , balance Lionel Corsini, le plus historique des DJ locaux qui, à défaut de politique, croit au culturel.
« Les villes qui ont le plus de soucis le jour ont les nuits les plus agréables. C’est ce coté défoulement, comme à Beyrouth. »
Apéros-expos dans un ciné d’art et d’essai, mix de DJettes indisciplinées, œuvres culinaires, clandé dans des appartements Pouillon, cocktail dans un arbre, Marseille manipule plus que tout autre le jour et la nuit. Au petit matin, poissonniers du Vieux-Port, ordures sur la Canebière et incivilités automobiles reprennent leurs droits. Les 25 % de pauvreté et les 18 % de chômage, les forces de l’ordre cernant les plages en permanence, la nuit les oublie.
Une ville moitié moitié
« Ici la République n’a pas tout à fait fait son boulot, il faut y aller avec ardeur, combat Macha Makeïeff, directrice du Théâtre de la Criée depuis 2011, il faut inventer la ville.” Chacun y va de ses initiatives dans un joyeux bordel. En plein quartier populaire, de libres enfants du centre-ville jouent à fond le mix social. Il y a trois ans, deux jeunes pionnières ont institué un fonctionnement modèle qui rend les nuits possibles : les soirées des Demoiselles du Cinq commencent tôt en clopant dans la rue taguée et se terminent très tard, en fumant dans le sous-sol voûté.
Dès 22 h 30, Abdou le vigile recruté à côté, fait respecter la consigne : plus personne sur le trottoir. A l’intérieur, confinée dans une moiteur sans clim, une population bon enfant se laisse monter en tension sur le dancefloor bouillant de l’Amateur, le DJ chouchou, aidés par les rhums gingembre à 6 € de mamie Ginger, la voisine, qui presse des litres de jus de racine rien que pour le Cinq.
“Il y a un certain laxisme”, s’avoue nonchalante Sarah Gorog, cofondatrice de ce club désormais référent, mais “grâce à ce bordel, on a encore des libertés”. Idem pour les copines de l’U.percut qui, quelques rues plus loin, ont balancé en 2013 philo et psycho pour créer un « U.Boiler endiablé » où l’on peut tout à la fois, boire, manger et danser. Les filles ont comblé en deux ans le manque de lieux différents. “Aujourd’hui, c’est le carnage”, constate Sara Valimamode, dont le club est désormais cerné par les spots qui bougent.
Marseille vit ainsi ses nuits : en plein centre, « une force de résistance populaire qui permet à la ville d’éviter de tomber dans le politiquement correct », résume Ricciotti. Ce mix d’escarpins et de tongues fait tout le charme de Marseille. On écoute de l’electro le soir, et le midi on mange des couilles d’agneau. Sur le Port, à quelques mètres de la mairie, Madie la Galinette sert depuis vingt ans ses fameux aliboffis aux politiques comme aux Japonais. « Tu feras des couilles« , avait prévenu son père chevillard… Loin de tout folklore Mickey, cet ultime établissement de pieds paquets sur le Vieux-Port reste l’expression parfaite d’une ville qui est comme sa pizza : moit-moit. Moitié tradi, moitié folie.
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