La food porn, à la fois sexualisation de la nourriture et glorification de la calorie, explose sur internet et dans la pub. Ou comment des desserts décadents sont devenus un nouveau trend de la pop culture. Il ne sera pas ici question d’une digression sur la teneur pornographique de la quenelle. Laissons cette pauvre spécialité […]
La food porn, à la fois sexualisation de la nourriture et glorification de la calorie, explose sur internet et dans la pub. Ou comment des desserts décadents sont devenus un nouveau trend de la pop culture.
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Il ne sera pas ici question d’une digression sur la teneur pornographique de la quenelle. Laissons cette pauvre spécialité lyonnaise un peu tranquille. Car, outre lesdites quenelles, une autre tendance fleurit sur le net ou à la télé : la food porn. Du porno avec concombres et courgettes ? Rien de tout cela. D’une part, il s’agit de charger le domaine culinaire de sexualité. Pour ses 18 ans, le Guide Restos Voir 2014, équivalent du guide Michelin au Canada, a voulu se payer un coup de jeune en s’offrant une promo food porn. Huitre-pubis plus vraie que nature, miches de pain : rien que du très cliché. La chaine américaine de hamburger Carl’s Jr en a elle fait une marque de fabrique accouplant bimbos comme Kim Kardashian ou Paris Hilton et burgers dégoulinants. La marque propose aussi des produits dérivés de goût comme des caleçons « eat like you mean it » (« mange la comme tu veux »).
A la télé, le genre culinaire a sa foodpornstar : l’anglaise Nigella Lawson (à la Une des tabloïds ces derniers mois pour cause de divorce mondain et de cocaïne). La présentatrice surjoue les postures ostensiblement sexy : lèvres ourlées de caramel au beurre salé (son péché mignon) et poitrine généreuse serrée dans une robe ultramoulante ou un tee-shirt “English Muffin”. L’incarnation ultime de la Milf.
Le chef anglais Jamie Oliver a recoolisé la cuisine en Angleterre. Sa recette ? Faire l’amour à la cuisine. Jamie utilise le mot sexy à tout bout de champ dans ses émissions et abuse des métaphores sexuelles. Les hommes s’identifient, les femmes adorent.
http://youtu.be/MDUtadFk2tc
D’autre part, la food porn consiste à poster fièrement sur le net des millions de photos de plats dont la teneur en gras ou en sucre mène droit au double pontage mais qui, chargées d’interdit et de transgression, provoquent une forte excitation. Tumblr, twitter, blogs, facebook, le foodporn est partout et a ses fanatiques. Selon les statistiques de Statigram, plus de 20 millions de photos Instagram portent ce nom. La star 2013 de ce genre culinaire ? Un dessert décadent : le cronut, mélange de donut et de croissant, création de Dominique Ansel, chef pâtissier français installé à New York.
Le terme food porn se popularise à la fin des années 90 aux États-Unis. Après l’opulence des années 80, c’est la crise : un Américain sur quatre est obèse. Les autorités sanitaires lancent la guerre à la graisse. Les grandes firmes de la junk food sont mises en cause. En 1998, une ONG oppose dans sa newsletter « Right stuff vs. Food Porn ». S’ouvre alors l’air d’un nouvel évangile : régime, bio et aliments low fat. Les mauvaises habitudes de la culture populaire sont montrées du doigt. Parallèlement, la résistance dénonce une bien-pensance culpabilisatrice pendant que l’industrie lance l’opération « recooliser la calorie ». Et quoi de plus cool et plus vendeur que le sexe ?
La preuve ? Même les vegans s’y sont mis. L’association de défense des animaux Peta fait appel depuis des années à des ambassadrices charnelles et sulfureuses. Sur une affiche, Pamela Anderson apparaît en bikini, le corps divisé en parties avec le slogan « Tous les animaux ont les mêmes morceaux ». Peta enfonce le clou à coup de spot ultra sexy, limite porno, où des pin-up jouent avec des légumes. Ces spots, régulièrement censurés à la télé, buzzent sur le net. Pour répandre le végétarisme, il fallait le rendre attractif, et non plus uniquement punitif, chaste ou castrateur.
Les comptes Instagram d’Eva Longoria, Heidi Klum et Kim Kardashian regorgent eux aussi de plats foodporn. Ces stars mettent leur notoriété, leur bouche et leurs formes au service du food business. Klum et Kardashian prêtent leur image à Carl’s Jr dans plusieurs pubs. Heidi Klum était égérie McDo en Allemagne. Et il y a celles qui sont leur propre entreprise. Eva Longoria, l’ex Desperate Housewife, a signé en 2011 un livre de cuisine intitulé Eva’s Kitchen : Cooking with love for family and friends. Au programme : confort food, recettes généreuses et latinos. De l’autre côté de la chaîne alimentaire du food business, on trouve la terne Gwyneth Paltrow sur le créneau bien-être antigras.
La boss du bon goût américain, Martha Stewart, twitte des photos de plats à l’esthétique répugnante ? Scandale, stupéfaction. Les fans sont déconcertés, d’autres s’interrogent sur un possible repositionnement naturalo-foodporn. Constat : quand les stylistes de la mère du lifestyle business ne sont pas là pour shooter les plats, on passe d’une prod bien huilée et sensuelle à un porno amateur tourné dans un pavillon de banlieue.
Orgies romaines, aliments aphrodisiaques, le lien entre sexe et nourriture est ancestrale. La nourriture comme métaphore sexuelle est un classique du cinéma. La Grande Bouffe de Marco Ferreri en 1973 ou Un dernier tango à Paris de Bertolucci en 1972. Dans ce dernier film, Marlon Brando plante ses doigts dans une plaquette de beurre et en badigeonne Maria Schneider avant de la sodomiser (pour de vrai parait-il). Le film 9 semaines et demi d’Adrian Lyne, sorti en 1986, ne doit sa célébrité qu’à une unique scène orgiaque au symbolisme léger -peut être l’une des plus ridicule ou des plus drôle du cinéma. Assise devant un frigo ouvert, la blonde et pulpeuse Kim Basinger ouvre ses lèvres charnues à chaque offrande du beau Mickey Rourke. Tout y passe : oeufs, raisins, fraises, confiture de cerise qui coule sur son menton, champagne et sirop pour la toux ( ?!), pâtes, gâteau gélatineux, petits piments apaisé par un torrent de lait. Elle finit recouverte de miel. Il la lèche.
http://youtu.be/3vLBMEWexoI
Mais que penser du plaisir pris à faire rivaliser sur le net photos de burgers dégoulinants et de desserts décadents accompagnés de comment vantard tel que “Hey guy’s have a look on the big banana split I gonna eat” ? Ou de ces vidéos youtube carrément weirdo et écœurantes où des jeunes coréens se remplissent pendant des heures ? Grâce à Afreeca TV, une plateforme de vidéo en live-streaming, l’internaute voyeur paye pour entrer dans l’intimité de boulimiques de circonstance. Jeune et jolie, The Diva mange sans discontinuer, mastiquent jusqu’à la nausée : riz, bols de nouilles géants, pizzas, une trentaine d’oeufs frits, poulet… . Elle aurait déjà pris une dizaine de kilos. Un foodporneater peut se faire jusqu’à 1000 euros par vidéo explique le Los Angeles Times. Ces orgies foodhardporn répondent, des siècles plus tard, aux orgies romaines. Différences de taille : aujourd’hui la scène est individuelle et métaphorique.
Avec le temps notre rapport à la nourriture est devenu plus mental, plus profond. La doxa actuelle veut que l’on est ce que l’on mange. Au delà de l’aspect pseudo-transgressif, la métaphore food porn –« je suis une vraie cochonne » ou « un gros dégueulasse »– joue avec la codes de la sexualité sans trop se mouiller. Dans You aren’t what your eat, le journaliste anglais Steven Pool estime que “notre obsession moderne a érotiser la nourriture (…) ressemble de plus en plus une tentative désespérée de surcompensation du super sexe qu’on est pas en train d’avoir, voir à une sublimation du désir indiscipliné dans un désir plus fiable, plus prévisible, plus docile”. Pour résumer : après le repas, plus personne ne passe à la casserole. La food porn, métaphore d’un onanisme abstinent ?
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