Pour Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation Abbé Pierre, la somme récoltée pour la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame ne doit pas occulter la baisse générale des donations aux associations et œuvres caritatives.
Après le catastrophique incendie qui a ravagé la cathédrale Notre-Dame-de-Paris, lundi 15 avril, les dons ont afflué en nombre pour sa reconstruction. Aujourd’hui, on parle d’une somme d’un milliard d’euros récoltés. Un élan de générosité qui a interpellé la Fondation Abbé Pierre qui a tweeté, le lendemain : « 400 millions pour #NotreDame, merci @KeringGroup @TotalPress @LVMH pour votre générosité : nous sommes très attachés au lieu des funérailles de l’abbé Pierre. Mais nous sommes également très attachés à son combat. Si vous pouviez abonder 1 % pour les démunis, nous serions comblés. » Car pour Manuel Domergue, directeur des études à la Fondation, cette générosité soudaine ne doit pas détourner du regard les nombreux autres combats qu’il reste à mener, en particulier concernant le mal-logement.
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400 millions pour #NotreDame, merci @KeringGroup @TotalPress @LVMH pour votre générosité : nous sommes très attachés au lieu des funérailles de l'abbé Pierre. Mais nous sommes également très attachés à son combat. Si vous pouviez abonder 1% pour les démunis, nous serions comblés.
— FondationAbbéPierre (@Abbe_Pierre) April 16, 2019
La fondation Abbé Pierre a réagi par un tweet à l’afflux de dons pour reconstruire la cathédrale Notre-Dame-de-Paris. Quel en est le sens ?
Manuel Domergue – Nous avons tous été choqués par cet incendie de la cathédrale Notre-Dame et nous sommes très heureux de voir qu’un énorme élan de solidarité s’est mis en place pour participer à sa reconstruction. Après, quand on regarde la baisse des dons pour le monde associatif qui vient en aide aux personnes défavorisées, aux personnes mal-logées, aux miséreux depuis plusieurs mois, ça interroge… On se demande si cet élan de générosité ne pourrait pas aussi profiter à toutes ces œuvres et associations.
On espère donc que la solidarité s’additionnera et que cela amènera les gens à s’interroger sur d’autres urgences qui sont toutes aussi importantes. Maintenant qu’on a récolté un milliard d’euros pour cette cathédrale, peut-être que les personnes qui ont eu envie de faire un geste pourront en faire un pour les personnes qui sont mal-logées. L’abbé Pierre disait : « Une belle ville est belle pas seulement quand il y a une belle cathédrale mais aussi quand il n’y a pas de taudis et de gens qui dorment dans la rue ».
Cette baisse des dons représente quoi pour une fondation comme la fondation Abbé Pierre ?
Nous n’avons pas été les plus touchés par la baisse récente des dons qui est essentiellement liée à la réforme de l’ISF. Nous avons 300 000 donateurs dont principalement de petits et moyens donateurs qui donnent en moyenne 90 euros par an. Nos dons stagnent néanmoins depuis plusieurs années mais d’autres associations ont connu des baisses de 20 à 30 %, notamment celles qui étaient très dépendantes des défiscalisations liées à l’ISF. Notre budget est de 40 millions d’euros chaque année soit ; le milliard récolté en deux jours représente donc 25 années de fonctionnement de la fondation.
Quel a été l’impact concret du changement de l’ISF en IFI ?
Il y a trois fois moins d’IFI qu’il n’y avait d’ISF et donc l’incitation à défiscaliser a été divisée par trois, elle touche beaucoup moins de monde. De grands donateurs se sont rétractés de certaines causes. Le gel des pensions de retraite nous a également fait du tort ; on sait que les donateurs sont principalement des personnes âgées. On a reçu beaucoup de lettres de retraités qui nous disaient que c’était plus difficile pour elles et qu’elles mettaient un terme – ou du moins suspendaient – leur aide. L’année n’a pas été facile.
A la fin du mois de mars, vous avez publié un appel pour un plan d’urgence de 100 millions d’euros, en faveur du mal-logement…
Ce plan s’adresse à la puissance publique, aux collectivités locales et à l’État surtout, pour compenser les importantes coupes budgétaires sur les questions du logement. On n’appelle pas à la générosité publique pour avoir un plan de réduction des expulsions locatives et il ne faut pas croire que la solidarité privée pourrait se substituer à une action politique. Le mal-logement est un problème politique qui appelle des réponses politiques, des budgets publics.
La générosité privée peut être utile à un moment pour trouver des solutions et expérimenter des nouvelles pratiques associatives et interpeller l’Etat. Chaque année, l’administration injecte 40 milliards d’euros d’effort public pour le logement. Même s’il y avait une générosité privée importante pour le logement, ce ne serait pas à l’échelle du problème. On ne veut pas faire croire que la générosité privée pourrait suffire et justifier le désengagement de l’Etat. Elle sert à expérimenter des choses, à interpeller l’Etat et aussi à lui faire honte en leur disant : « Regardez, les citoyens sont prêts à donner, à agir. Il faut que la collectivité relaie ».
Parmi les grands donateurs ces derniers jours, y a-t-il des contributeurs à la fondation Abbé Pierre ?
On travaille sur des campagnes d’affichages depuis de nombreuses années avec JC Decaux. Concernant les autres, à ma connaissance, je ne crois pas qu’il y ait des partenariats actuellement… Ce n’est pas surprenant de voir qu’on arrive à dégager des montants très importants pour cette cause-là qui est très médiatique. Les morts de la rue sont moins bankables qu’une cathédrale. C’est le sens de notre appel. Il y a manifestement beaucoup d’argent et nous pensions qu’il est possible de l’utiliser à l’avenir, maintenant que ce chantier de reconstruction est bien financé, de voir qu’il y a d’autres causes et voir s’il y a la même générosité en réserve, pour les associations qui en ont besoin.
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