Au FN, la com plus lisse de la fille, qui vise à apporter respectabilité et modernité, s’est substituée au discours radical du père. Plus qu’une mutation idéologique, c’est une réponse à l’évolution globale des idées et des moeurs.
Le Front national n’est plus ce qu’il était. Il est loin le temps de la franche gaudriole de Jean-Marie Le Pen sur les chambres à gaz « point de détail de la Seconde Guerre mondiale », sur ces « lépreux » de « sidaïques », sur les camions militaires bourrés de sans-papiers…
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Depuis huit ans, sa fille Marine ponce lentement les aspérités du sulfureux parti d’extrême droite. Son but ? Elargir l’audience du FN en le travestissant en un parti de droite populiste plus « respectable ». Marine Le Pen pense que l’avenir de l’extrême droite française se joue dans l’ouverture.
Le patriarche s’est rangé aux côtés de sa fille, après avoir été le défenseur de l’orthodoxie doctrinale du FN. Et c’est le n° 2 actuel, Bruno Gollnisch, qui défend désormais cette ligne. Ce frontiste de la première heure, au FN depuis vingt-sept ans, brigue la succession contre la fille du chef.
Le 15 janvier au congrès de Tours, les militants vont élire le nouveau boss après trente-huit ans de règne du patriarche. Jean-Marie Le Pen souhaite que la dynastie perdure.
Gollnisch et Le Pen fille, deux stratégies aux antipodes
Marine Le Pen et Bruno Gollnisch, c’est deux styles, deux stratégies, deux générations. La jeune divorcée moderne contre le vieux prof de fac. Il aime dire d’eux qu’il est le cerveau et qu’elle est la com. Marine Le Pen dit comprendre les femmes qui avortent, Gollnisch veut fédérer les courants ultras : négationnistes, antisémites, colonialistes, cathos intégristes. C’est un libéral, elle prône le protectionnisme face au « totalitarisme économique et financier ». Il sent la poussière, elle prend la lumière et arpente inlassablement les marchés d’Hénin-Beaumont, la ville sinistrée qu’elle fut à deux doigts d’emporter.
Surtout, elle a la marque, c’est une Le Pen, soit tout l’or du monde dans un parti hiérarchisé à l’extrême et soumis à l’autorité du chef. Pourquoi Marine Le Pen a-t-elle fait le choix de la dédiabolisation ? Parce qu’elle a senti le vent tourner.
Depuis vingt ans, les enquêtes de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) constatent une lente décrue de l’intolérance en France. En 2009, date du dernier rapport, le contexte est loin d’être favorable : crise économique, démantèlement de la « jungle » de Calais, débat sur l’identité nationale, loi contre la burqa, opération israélienne à Gaza.
« Pourtant, les données de l’enquête de la CNCDH ne montrent aucune montée de l’intolérance à l’égard des immigrés, de l’islam ou des Juifs, bien au contraire », rapportent les chercheurs Nonna Mayer, Guy Michelat, Vincent Tiberj. La proportion de personnes qui pensent qu’il y aurait « trop d’immigrés en France » n’a jamais été aussi basse (46 %, contre 73 % en 1995), jamais le taux d’opinions favorables au droit de vote des étrangers résidant en France n’a été aussi élevé (61 % contre 36 % en 2000).
Ce paradoxe se nourrit du renouvellement générationnel, de la hausse du niveau d’études et de la diversité croissante de nos sociétés, expliquent les chercheurs. En 1990, l’indice de tolérance était de 54,4.
En 2009, de 67,4. Selon eux, la politique de Nicolas Sarkozy – durcissement des contrôles, politique d’expulsion, etc. – in-fluence l’opinion vers plus de tolérance. C’est l’effet Stéphane Hessel et ses 600 000 exemplaires d ‘ Indignez-vous ! Marine Le Pen est une femme de son temps.
Le but est de retourner l’argument : « ce sont eux les racistes »
Elle n’a rien à cirer des obsessions de son père sur la Seconde Guerre mondiale ou la guerre d’Algérie. Elle veut mettre le FN au goût du jour et en faire un parti de gouvernement à l’image des partis de la droite populiste européenne : la droite radicale scandinave, la Ligue du Nord italienne, le PVV du Néerlandais Geert Wilders, l’extrême droite suédoise qui vient d’entrer au Parlement.
Selon la spécialiste de l’extrême droite Nonna Mayer, « le discours des droites populistes européennes consiste à dire : les musulmans ne partagent pas nos valeurs, ils sont intolérants envers les homosexuels, les femmes, les Juifs. Elles retournent l’argument : ce sont eux les ‘racistes’. »
Première étape pour Marine : bannir les sorties racistes ostentatoires dont son père était friand. Sa ligne rouge : l’antisémitisme. Jérôme Bourbon, le directeur de Rivarol qui fait campagne contre elle, déclare le 16 octobre : « Marine est une gourgandine sans foi ni loi, sans idéal, sans colonne vertébrale, pur produit des médias et dont l’entourage n’est composé que d’arrivistes forcenés, de Juifs patentés et d’invertis notoires. »
Sa nouvelle cible ? L’islam, qui remplace le thème de l’immigration lancé en 1978 par le FN et récupéré par Sarkozy – ce qui ne lui a d’ailleurs pas trop réussi. Son arme ? La laïcité.
» C’est un argument plus présentable, plus respectable pour délégitimer l’islam », commente Nonna Mayer avant d’ajouter : « Mais sur le fond programmatique, le coeur du discours est le même : la préférence nationale. Seul l’argumentaire change. »
Un créneau porteur. La colonisation a été remplacée par le choc des civilisations et le 11 Septembre parle à tous. L’islamophobie se trouve « justifiée » par l’actualité : l’Iranienne Sakineh, les attentats contre les coptes en Egypte…
Selon la dernière enquête du CNDH, 23 % des Français ont une aversion pour l’islam non basée sur le rejet de l’autre mais sur la défense des valeurs progressistes – laïcité, féminisme, égalité hommes-femmes. Marine Le Pen répondra ceci à l’AFP après sa comparaison polémique entre les prières de rue musulmanes et l’Occupation :
« J’entends de plus en plus de témoignages sur le fait que dans certains quartiers, il ne fait pas bon être femme, ni homosexuel, ni juif, ni même français ou blanc. »
Une stratégie payante ? Selon les derniers sondages, Marine Le Pen recueille entre 27 % et 33 % d’opinions favorables. Reste pour elle à les concrétiser dans les urnes. Les intentions de vote sont estimées entre 12 et 15 %. La fille Le Pen n’a pas encore fait tomber les barrières qui entourent son parti : les trois-quarts des Français le rejettent catégoriquement. Mais avec le FN, on a appris à se méfier.
Anne Laffeter
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