Alors que Manuel Valls réfléchit aux moyens d’interdire les spectacles de Dieudonné, le vice-président du FN Florian Philippot s’est empressé de le défendre. Une position qui s’explique par les relations nouées entre l’humoriste et le mouvement d’extrême droite.
Jean Roucas a beau multiplier les gestes de soutien à l’égard du FN, Dieudonné reste l’humoriste préféré du mouvement. Alors que le ministre de l’Intérieur Manuel Valls a annoncé qu’il étudiait « toutes les voies juridiques » pour interdire les « réunions publiques » de Dieudonné, le vice-président du FN Florian Philippot s’est empressé de le défendre sur l’antenne de RMC :
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
« Si Manuel Valls parle (d’interdire) ses spectacles, je trouve ça très dangereux. Interdire des spectacles d’un humoriste, là on tombe dans une dérive extrêmement préoccupante pour la liberté d’expression en France. »
Cette défense d’un humoriste fréquemment accusé d’antisémitisme, par le stratège frontiste de la « dédiabolisation » est étonnante, même si l’idylle entre le FN et Dieudonné est ancienne.
Dieudonné, l’anti-lepéniste
Il faut remonter à 1997. Dieudonné réalise ses premiers pas en politique pour lutter contre Jean-Marie Le Pen. Il est candidat lors des élections législatives de Dreux contre Marie-France Stirbois où il récolte 7,74% des voix. « Il y avait alors une très forte violence verbale entre le Front et Dieudonné », témoigne un cadre du mouvement. Durant la campagne, Dieudonné qualifie Le Pen de « grand marabout borgne » tandis que le président du FN le traite d’humoriste « inculte et désormais pas drôle ».
A lire aussi, La quenelle : le bras armé de Dieudonné
Sur les plateaux de télévision, Dieudonné fait figure de militant antiraciste comme l’illustre cette joute oratoire restée célèbre face à l’écrivain Marc-Edouard Nabe sur le plateau de Tapage sur France 3 en 1999.
http://youtu.be/Vo2EYTmxics
L’antisionisme comme passerelle
A partir du début des années 2000, Dieudonné multiplie ses attaques contre Israël qu’il accuse d’avoir empêché le financement de son film sur l’esclavage, Le Code noir.
Dans une interview donnée au site Blackmap en octobre 2002, il parle des juifs comme d’un « peuple qui a bradé l’Holocauste, qui a vendu la souffrance et la mort pour monter un pays et gagner de l’argent » et dénonce « le monopole de la souffrance humaine qui ne nous reconnaît (aux Noirs) absolument aucune existence ». Le 1er décembre 2003, il va plus loin en débarquant sur le plateau de l’émission On ne peut pas plaire à tout le monde en tenue d’activiste extrémiste sioniste, portant un chapeau de juif orthodoxe, des papillotes, une cagoule et un treillis militaire. A la fin de son sketch, il lève le bras et crie “IsraHeil !” avant d’appeler les jeunes des banlieues à rejoindre “l’axe du bien, l’axe américano-sioniste, qui vous offrira beaucoup de débouchés !”. Sur le visage de Marc-Olivier Fogiel, le malaise est palpable. « Ce soir-là, Dieudonné s’est créé un nouveau public en se marginalisant et en se victimisant, estime l’animateur. Il a fait tout ça de manière très consciente et réfléchie. »
Un an plus tard, toujours sous couvert d’antisionisme, Dieudonné figure temporairement sur la liste Europalestine lors des élections européennes de 2004 aux cotés d’Alain Soral. Cet idéologue passé du communisme au comité central du FN, sert d’intermédiaire entre l’humoriste et Le Pen. « L’antisionisme a évidemment servi de passerelle idéologique entre eux », confirme un membre du bureau politique du FN.
« Le Pen, candidat des Afro-Européens »
Le Rubicon frontiste est définitivement franchi en avril 2006. Dans une interview à la revue Le Choc du Mois, Dieudonné déclare au sujet de Le Pen: « Il est la vraie droite, je suis la vraie gauche, le Nouvel Empire n’aime ni l’un ni l’autre ».
Six mois plus tard, « Dieudo » débarque en grande pompe à la fête frontiste des Bleu-Blanc-Rouge. Le comique est flanqué des frontistes Jean-Michel Dubois, directeur aux grandes manifestations, et Farid Smahi, membre du bureau politique et secrétaire fédéral de l’Essonne.
« C’est Le Pen qui m’a appelé pour me dire : ‘Dieudonné va arriver, fais attention !’ raconte Dubois. Il y a beaucoup de caméras, c’était une pagaille pas possible, il a été protégé par le DPS [le service de sécurité du FN NDLR] »
Entre-temps, Dieudonné aura eu le temps de croiser Le Pen lui-même, avec qui il échange une chaleureuse poignée de main devant les caméras. Les bons rapports entre le président frontiste et le sulfureux humoriste ne se démentiront plus. Dieudonné reprendra à plusieurs reprises, dans des conférences de presse, une déclaration de Le Pen selon laquelle rien n’a changé en Martinique, qui « appartient encore pratiquement totalement aux békés ».
Le théâtre de Dieudonné transformé en camp de base du FN
Selon l’humoriste, ce jugement fait de Le Pen « le candidat des Afro-Européens » pour la présidentielle de 2007. Quelques mois avant la présidentielle, c’est d’ailleurs à la Main d’Or, le théâtre personnel de Dieudonné, que le FN organisera des séances de formations pour les militants chargés de collecter les signatures d’élus, moyennant une rétribution de 60 000 euros. « Le Pen est ce qu’il est : s’il a des ennemis communs avec quelqu’un, le quelqu’un est presque un ami », soupire Dubois, lui-même proche de Dieudonné.
Dieudo intronisera même Jean-Marie Le Pen dans sa famille en le choisissant comme parrain de sa troisième fille, Plume. « Outre sa position par rapport à Israël, Jean-Marie Le Pen apprécie le coté iconoclaste de Dieudonné et il aime répéter que sa mère est bretonne, confie un cadre du mouvement« .
En 2009, le président du FN et plusieurs proches sont d’ailleurs au Zénith le jour où l’humoriste fait monter sur scène le négationniste Robert Faurisson pour recevoir, d’un régisseur en tenue rayée avec étoile jaune, un « prix de l’infréquentabilité et de l’insolence », sous un tonnerre d’applaudissements.
Marine Le Pen a toujours fui « Dieudo »
Contrairement à son père, Marine Le Pen a toujours soigneusement évité de côtoyer l’humoriste. Lors de sa visite aux BRR en 2006, elle se cache derrière un stand pour éviter de lui serrer la main. Et lorsque quelques mois plus tard, son amie, Marie Chatillon l’invite à un dîner improvisé où Dieudonné est présent, elle annule sa venue pour ne pas avoir à le rencontrer.
« Le conflit israélo-palestinien continue d’être une ligne de fracture au sein du FN, confie un proche de l’actuelle présidente du mouvement. Entre les lepénistes historiques très antisionnistes et Marine Le Pen qui cherche un rapprochement avec Israël, il y a une vraie rupture idéologique ».
Dès sa prise de fonction en tant que présidente du FN, en janvier 2011, Marine Le Pen a tenu à sortir le parti de l’ambiguïté au sujet de la Seconde Guerre mondiale et de l’antisémitisme. Cette position idéologique explique sa prise de distance par rapport à Dieudonné
Que le numéro deux du FN vienne aujourd’hui à la rescousse d’un humoriste – ami du négationniste Robert Faurisson – ressemble donc sérieusement à un écart dans la stratégie de dédiabolisation entreprise par Marine Le Pen et un retour aux fondamentaux du parti…
Mise à jour le 28 décembre à 12h56
Suite à la publication de l’article, le vice-président du FN Louis Aliot a réagi sur Twitter en affirmant que le FN ne défendait pas l’homme mais la liberté d’expression.
{"type":"Banniere-Basse"}