Les débats autour du mariage pour tous ont réveillé les vieux démons du Front National : les cathos traditionnels s’en sont violemment pris au “lobby gay”, la garde rapprochée de Marine Le Pen. Des tiraillements qui révèlent l’ambiguïté du Front : parti banalisé ou parti anti-système?
Elle avait pourtant défendu la “différence anthropologique” entre les hommes et les femmes. Elle s’était enflammée pour que les jeunes Français déjà au chômage, sans logement, en crise identitaire… aient “au moins droit à avoir un père et une mère”. Malgré toute la passion qu’elle a mis dans le débat à l’Assemblée nationale sur le mariage pour tous, Marion Maréchal-Le Pen ne votera pas. Le vote, c’est du “symbolique” : le mariage homo sera de toute façon adopté – qu’elle y mette son grain de sel ou pas. La députée du Vaucluse préfère manifester, une “attitude beaucoup plus utile pour contrer l’entreprise du gouvernement”.
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Ce relent poujadiste, on ne pensait pas l’entendre de la bouche d’une députée bleu marine. Ce discours anti-système va en effet à l’encontre de la dernière stratégie du Front national, basée sur la dédiabolisation du parti. Le FN, un parti comme un autre – c’est du moins sous ce jour que Marine Le Pen veut présenter son appareil politique. Lors des législatives de 2012, la patronne a bien râlé contre la démocratie parlementaire, ce “système incompétent”, mais lorsque sa nièce et l’avocat Gilbert Collard ont été élus députés, tout le Front a applaudi.
Pourtant aujourd’hui, les deux députés du Rassemblement bleu marine adoptent la démarche abstentionniste, et avec eux, un autre affilié FN, Jacques Bompard, député de la Ligue du sud. “Elle n’a pas tort, commente Gaëtan Dussausaye, secrétaire départemental du FN Jeunesse parisien. L’assemblée nationale ne représente en rien la population française, sinon comment expliquer que le FN ne compte que deux députés alors qu’il a engrangé ⅕ ème des votes à la présidentielle? Il y a plus de légitimité dans la rue : il y a eu beaucoup plus de manifestants contre le mariage pour tous que pour le mariage homo”.
L’ambiguïté du Front national : prôner l’anti-système au Parlement
Mais même si le duo Maréchal-Collard prône la rue plus que l’urne, il a pourtant co-signé une série d’amendements contre le mariage homo, et notamment avec des députés UMP. Ils ont même pu parapher quatre amendements issus de la Droite populaire, aux côtés de Laurent Wauquiez et Thierry Mariani, réussissant ainsi à “dépasser les clivages traditionnels”. Un rapprochement, lui, très pro-système.
“Il y a une ambiguïté au sein du FN, note l’essayiste Caroline Fourest, qui a consacré un livre à Marine Le Pen, et qui a été agressée lors d’une manifestation contre le mariage homo. Le Front veut se banaliser au Parlement, tout en étant un parti anti-système éloigné de l’UMP”. Résultat : ça tiraille dans tous les sens, surtout sur la question gay.
Début janvier déjà, les premières tensions se font sentir : Marine Le Pen n’appelle pas à manifester. Plus tôt dans l’année, elle avait préféré parler d’un référendum, ne s’opposant pas frontalement au mariage pour tous. Pour l’hebdomadaire d’extrême-droite Minute, la cheffe du parti a été influencée par le “lobby gay” qui contrôlerait le FN. Aucun nom n’est publié, mais les membres du parti savent précisément de qui Minute fait le portrait. Et personne ne le relève publiquement, puisqu’on ne peut pas légalement commenter la sexualité des uns et des autres en public.
Une position « illisible », minée par les guerres en coulisse
Le Pen est gênée. Mais pas Bruno Gollnish. L’arrière-garde du Front National, « catho-tradi » et mouvance identitaire, arrache au bureau politique un communiqué appelant à manifester le 13 janvier. Camouflet pour la patronne. Et les divisions continuent au sein même des cortèges, dépourvus de la figure de proue Marine. Les lieutenants de la nouvelle garde ont majoritairement défilé derrière Frigide Barjot, mais certains ont préféré étoffer les rangs de Civitas, à l’instar de Bruno Gollnish et, plus surprenant, de Marie-Christine Arnautu, une des plus proches collaboratrices de Marine Le Pen.
Un grand écart qui en dit long sur les dissensions internes. “La position du FN est assez illisible si on ne connaît pas les tractations et les guéguerres en coulisses entre la ligne des tradis et les marinistes, commente Caroline Fourest. C’est ce qui pousse Marine Le Pen à ne pas manifester : elle doit continuer sa stratégie de dédiabolisation tout en ménageant sa base la plus homophobe qui soit”.
C’est qu’il n’y a rien à gagner pour le FN en s’engageant violemment contre le mariage gay. Selon un sondage Ipsos pour Atlantico, 52% des sympathisants du Front national sont pour le mariage homo, contre 41% à l’UMP. Une raison qui pousse Marine Le Pen à balayer rapidement le sujet en interview. “Le Pen donne tous les messages en même temps pour accumuler les différents électorats, analyse Caroline Fourest. Comme son père avant elle, elle fait cohabiter plein de courants inconciliables. Mais peut-être que cette fois le FN sortira très affaibli de cette synthèse incohérente”.
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