Il est aujourd’hui de bon ton de vanter les mérites du régime semi-végétarien, présenté comme un élégant ajustement entre deux extrémités carnivore et végétarienne. Une notion confuse qui cache une déplorable culture du compromis. « Flexitarien ». Ce nouveau buzzword à trois sous – formé à partir des mots « flexible » et « végétarien » – désigne une pratique alimentaire […]
Il est aujourd’hui de bon ton de vanter les mérites du régime semi-végétarien, présenté comme un élégant ajustement entre deux extrémités carnivore et végétarienne. Une notion confuse qui cache une déplorable culture du compromis.
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« Flexitarien ». Ce nouveau buzzword à trois sous – formé à partir des mots « flexible » et « végétarien » – désigne une pratique alimentaire semi-végétarienne, c’est-à-dire qui n’exclut pas la viande mais se préoccupe de sa quantité (en manger moins) et de sa qualité (en manger mieux).
Le concept n’est en fait pas nouveau (c’était un des « mots de l’année » de l’American Dialect Society en 2003) mais il a le vent en poupe : récemment revendiqué par la star de Divergente Shailene Woodley, il fait les choux gras des rubriques conso et diététique de la presse de tous bords, au moment où une certaine mode veggie s’affirme comme le train à ne pas louper. Dans un tel contexte, et face à une industrie de la viande coupable de toutes les infamies (éthique, écologique, sanitaire…), difficile de ne pas encourager une diminution et une « amélioration » de la consommation de produits carnés.
Quelle réalité ?
Le flexitarisme s’affirme comme un agréable compromis : régler son compte à la surconsommation de viande sans pour autant renoncer à ses petits plaisirs. Pourtant, ce néo-concept ne s’appuie sur aucune définition précise, et les renoncements en question se réduisent comme peau de chagrin. Dawn Jackson Blatner est l’une des principales instigatrices du mouvement aux Etats-Unis, notamment grâce à son livre The Flexitarian Diet (2010) et à son site internet. On y découvre un régime purement inclusif, qui insiste sur la possibilité de continuer à manger les mêmes produits qu’avant, et dont les différents stades laissent pantois : un débutant peut essayer de se passer de viande deux jours par semaine, un confirmé trois ou quatre jours par semaine, et un expert cinq jours par semaine. Ce qui ferait presque du Français moyen – qui totalise 3 actes de consommation de viande de boucherie par semaine – un flexitarien confirmé.
Là est le problème. Le 7 mars dernier, Libération Week-end consacre un dossier intitulé « Steak ou encore ? » à l’industrie de la viande et ses alternatives, dossier placé sous la bannière du flexitarisme. Entre un article vantant les mérites du « poulet de Bresse du dimanche » et un autre sur la production en éprouvette de viande synthétique, préside l’idée que l’arrêt pur et simple de la consommation de produits carnés est une position insurmontable. Les réactions sur les réseaux sociaux sont édifiantes : « eh, mais je suis flexitarien en fait ! »
Et pour cause : à part les Inuits, personne n’a une alimentation exclusivement carnée. Nombreux sont les consommateurs qui pourraient revendiquer des habitudes alimentaires de type « flexitarien ». Les Français vivent une véritable histoire d’amour avec la vente directe, et ont déjà considérablement réduit leur consommation de produits transformés à base de viande, notamment suite au scandale des lasagnes au cheval. Bien sûr, la France reste à la traîne dans l’éventail du végétarisme mondial, mais une part non négligeable de la population, notamment dans les catégories les plus favorisées, suit déjà, même inconsciemment, un régime peu chargé en protéines animales. À ce régime, il ne manque que le beau label flexitarien pour se déguiser, par le biais d’une vague homophonie et sans le moindre changement de consommation, en régime végétarien.
Des effets pervers
Auprès de cette population, plus susceptible que les autres de passer au végétarisme, l’existence du concept flexitarien peut inciter à l’immobilisme et y créer l’illusion du mouvement. Pour Renan Larue, auteur du Végétarisme et ses ennemis (PUF, 2015), une anthologie de la controverse végétarienne au fil des siècles, « le flexitarisme traduit surtout un malaise : c’est le fruit de ce qu’on appelle une dissonance cognitive, c’est-à-dire un écart entre nos gestes et les valeurs auxquelles on croit, ou dit croire. »
Le risque est aussi de stigmatiser le végétarisme et le véganisme comme des positions radicales. En 2012, la chaîne de restaurants Commensal, symbole de la communauté veggie québécoise, ajoute du poulet, des crevettes et du crabe à son buffet. Un virage flexitarien qui déclenchera un vif débat relayé jusqu’au talk show très suivi de Denis Lévesque, où le nouveau PDG de la chaîne, Pierre Marc Tremblay, justifiera son choix par une adaptation à sa clientèle et une « ouverture d’esprit », opposée à des épithètes que les végétariens connaissent bien : sectaires, fermés, psychorigides, etc.
« Le vocable de néo-végétarien serait un terme préférable à celui de flexitarien », ose même Christian Rémésy, nutritionniste et directeur de recherches à l’INRA. Si les néo-végétariens sont des végétariens qui mangent de la viande, comment doit-on appeler ceux qui n’en mangent pas : des crypto-végétariens ? Rappelons qu’il existe dans le débat végétarien, comme dans tout débat de société, une bataille du langage – citons le cas de l’orthorexie, vrai-faux trouble alimentaire caractérisé par une obsession pour les aliments sains. Ce concept, inventé en 1997 par un docteur américain, n’a jamais intégré les manuels de référence en psychiatrie, mais a en revanche été largement repris par les géants de l’agrobusiness que sont Danone et Nestlé.
Dans cette bataille du langage, il conviendrait donc de se rappeler à qui profite le régime flexitarien. De remarquer que si certains végétariens se tournent vers lui, c’est parfois en désespoir de cause, du fait d’une importante pression sociale et d’une offre trop réduite. Et peut-être, effectivement, de lui trouver un nom moins trompeur.
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