Le policier qui avait tiré sur Joachim Gatti à Montreuil est poursuivi pour « violence volontaire ». Reposant le problème de la formation. En partenariat avec Rue89.
[attachment id=298]Bon nombre de policiers se sont étranglés en entendant, mardi 29 septembre, que leur collègue qui avait tiré au flashball sur Joachim Gatti à Montreuil (Seine-Saint-Denis), le 8 juillet, était mis en examen. L’auteur du tir qui avait fait perdre un oeil au réalisateur est pousuivi pour « violence volontaire » suite à l’évacuation du squat « La clinique ». Gatti était venu en soutien aux habitants de ce lieu culturel alternatif bien connu.
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Cette suite judiciaire n’est pas une complète surprise puisque, au creux de l’été, une enquête de l’IGS, l’inspection générale des services, avait déjà montré du doigt ce fonctionnaire de police qui n’aurait pas respecté les critères d’utilisation du lanceur de balles en caoutchouc.
En particulier le fait de ne pas tirer au-dessus de la ligne des épaules, critère d’utilisation fondamental de cette arme utilisée par les forces de l’ordre depuis les années 90. Des critères non-respectés qui, à quatre reprises avant Gatti, ont abouti à ce qu’une personne soit défigurée par un tir de flashball.
Pas de cours de secourisme lors de la formation
Pour pas mal de policiers, ce n’est pas leur collègue qu’il convient de dénoncer mais les usages couverts par la hiérarchie policière en la matière. Car ils sont nombreux à affirmer être tout simplement mal formés au maniement de cette artillerie « antibavure ».
On en a beaucoup parlé pour le Taser, ce pistolet à impulsion électrique avec lequel certaines patrouilles rechignent à sortir. C’est aussi valable pour le flashball, qui tire des balles de caoutchouc de 44 mm.
Rue89 a cherché à échanger sur le sujet avec plusieurs policiers. Parmi eux, des fonctionnaires de terrain et un instructeur. Ils nous dépeignent un paysage en demie-teinte sur le recours de cette « arme individuelle à dotation collective » (en clair : chaque homme est habilité à titre personnel mais elles appartiennent au commissariat, à raison de deux ou trois pour ceux qui sont situés dans des quartiers un peu sensibles).
Autant le dire tout de suite : personne pour brocarder une franche incompétence en la matière. Un jeune policier parisien, qui tient à l’anonymat, assure même qu’à titre personnel, il ne se « sent pas fondamentalement mal formé », lui qui est habilité depuis six mois à peine, contre déjà cinq ans de service à son actif. Il n’empêche que les détails qu’il donne inquiètent : « La formation, que j’ai effectuée au début de l’année, s’est déroulée sur une demie-journée. Une partie théorique pour expliquer rapidement la législation et les situations dans lesquelles utiliser l’arme, et une partie pour tirer. Chacun a pu tirer cinq fois pour voir comment l’arme réagit. »
Lui qui trouve qu’on lit « beaucoup de contre-vérités dans les médias » sur ces armes « antibavure » (« Ça ne veut rien dire ! ») sait que le flashball est interdit dans une mission de maintien de l’ordre. Il récite aussi qu’il faut « sept mètres en moyenne pour que ce soit efficace et le moins léthal possible ».
Ce policier n’a jamais tiré en intervention. S’il semble plutôt serein, il n’a donc testé cette arme que sur cinq tirs durant sa formation expresse. Sans compter que cette même formation n’a même pas rempli les exigences officielles en matière de secourisme.
Or un document officiel consulté par Rue8 et daté du 21 août (soit une piqure de rappel rédigée après l’incident de Montreuil par la Direction de la police urbaine de proximité à la Préfecture de police de Paris) détaille bien « la doctrine d’emploi des lanceurs de balles de défense » (l’autre nom du flashball). Et notamment :
- > une distance minimale de sept mètres pour un des modèles, de dix mètres pour l’autre
- > l’interdiction de tirer sur le conducteur d’un véhicule
- > l’interdiction de viser au-dessus des épaules
- > l’obligation d’apporter une surveillance médicale après chaque tir
> Un instructeur, contacté par Rue89, confirme que l’absence de suivi médical, voire de formation au secourisme, est une des graves carences dans le domaine de l’initiation aux « armes non léthales ». Alors que, jusque dans l’administration, on convient que ces armes n’en sont pas moins dangereuses.
« Des lésions graves pouvant être irréversibles voire mortelles »
Voici ce qu’on peut lire dans un document de mars 2003 publié après des tests au centre de recherche et d’études de la logistique de la police nationale :
« Le système LBD [lanceur de balles de défense, ndlr] présente des effets traumatiques dont la sévérité peut entrainer des lésions graves pouvant être irréversibles voire mortelles, lors de tirs jusqu’à cinq mètres au moins. Pour des distances de tirs comprises entre cinq et dix mètres, des lésions graves sont observées. »
Si l’on admet qu’un tir à cinq mètres est à même de tuer, autant dire qu’une formation sérieuse et continue s’impose. Or, pour une arme comme le flashball, l’habilitation administrative est à vie. Chaque policier doit tout de même rafraichir ses compétences (notamment en matière de tir) dans le cadre de la formation continue, qu’on appelle « recyclage », dans le jargon.
Sur le papier, du moins. Or, dans les faits, on en est loin, « surtout en province, du fait d’un sous-effectif chronique », affirme l’inspecteur contacté par Rue89. Conséquence du manque de moyens, estiment les syndicats.
Une cartouche de flashball de type « super pro » coûte, selon nos informations, cinq à huit euros. Pour le modèle le plus sophistiqué, les prix montent encore. Or, dans les commissariats, beaucoup disent avoir constaté un effort sur la dotation en matériel à l’arrivée de Nicolas Sarkozy à l’Intérieur en 2005, puis un tassement des dépenses.
Rue89 a posé plusieurs questions précises aux services du ministère de l’Intérieur en la matière. Et notamment, quelle somme avait été allouée à la formation continue sur le flashball l’an dernier, et combien d’hommes avaient réellement été « recyclés » comme le veut la règle. Nous n’avons pas reçu de réponse pour l’instant.
Sur le Web, la publicité de Verney Caron, le fabricant stéphanois qui équipe les forces de l’ordre, proclame toujours : « Plus besoin d’être grand est fort pour réussir son tir, grâce à un faible recul, petits gabarits, hommes, femmes, droitiers, gauchers trouveront une arme de défense extrement simple à mettre en oeuvre. »
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