Saïf al-Islam Kadhafi, dans une lettre remise à la justice française par ses avocats britanniques, dévoile une partie de sa version des faits concernant l’affaire des financements libyens dans la campagne de Nicolas Sarkozy.
Amputé de trois doigts et, selon un ancien haut responsable libyen qui s’est confié au Monde, doté d’une santé mentale très fragile, le fils du « Guide« , Saïf al-Islam Kadhafi, répond pour la première fois à la justice française. Dans une lettre manuscrite de huit pages en arabe datée du 11 juillet 2018, dont l’authenticité est garantie par ses avocats britanniques et consultée par le quotidien, il réaffirme que le gouvernement libyen a apporté à Sarkozy un soutien de 2 millions et demi d’euros remis en liquide par Bechir Saleh, alors chef de cabinet de Mouammar Kadhafi, à Claude Guéant, qui « serait monté dessus, appuyant avec ses pieds pour fermer [la valise]« . Plusieurs intermédiaires seraient intervenus pour permettre la signature de contrats entre la France et la Libye, notamment l’homme d’affaires franco-libanais Ziad Takieddine, en contact avec Abdallah Senoussi, chef des renseignements militaires, mais aussi des chiraquiens tels Mansous Ojjeh, franco-saoudien, chef du groupe TAG ou Alexandre Djouhri, ayant travaillé pour cette entreprise en Algérie.
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Âgé de 46 ans, le fils de dictateur a passé 4 années de sa vie « totalement coupé du monde de 2011 jusqu’en 2015 » – selon ses propres termes – entre les mains de miliciens s’étant opposés à la dictature de son père. Saïf al-Islam Kadhafi, « libéré » en juin 2016, n’entretient pas moins de grandes ambitions : il entend venger son père, redresser la Libye et faire payer Sarkozy. « Il faut que Nicolas Sarkozy rende l’argent. C’est nous qui avons financé sa campagne et nous en avons la preuve« , déclarait-il en mars 2011 au début du conflit libyen.
Alexandre Djouri, intermédiaire principal?
Alexandre Djouri est ami de Dominique de Villepin, alors rival de Nicolas Sarkozy. Dans un premier temps, il oeuvre pour l’ancien Premier ministre, tentant de lui attacher le soutien du pouvoir libyen. Les tractations concernent notamment l’obtention par la Libye d’un réacteur nucléaire construit par Areva. L’accord se ferait par le « paiement du reliquat des sommes contractuelles conclues par la Libye pour la location d’un avion Falcon de fabrication française, propriété d’Alexandre Djouhri » qui utiliserait alors les sommes pour « verser des pots-de-vin aux proches du président Jacques Chirac, dans le cadre du soutien de la coopération avec la Libye« . Le gouvernement libyen a cependant fait le choix de soutenir Nicolas Sarkozy et Ziad Takieddine est dans un premier temps l’intermédiaire principal ; jusqu’à ce qu’Alexandre Djouhri ne l’écarte en se rattachant à Nicolas Sarkozy, selon le fils Kadhafi.
Le candidat Sarkozy aurait alors demandé 2 autres millions d’euros : en échange il ferait innocenter Abdallah Senoussi, condamné à perpétuité en France pour son rôle dans l’attentat de septembre 1989 au Niger ayant causé 170 morts dans le vol du DC 10 d’UTA. Saïf al-Islam Kadhafi affirme que cette somme a également été versée. Djouhri, devenu l’intermédiaire principal « menaçait, écrit Kadhafi, Bechir Saleh de mort s’il évoquait le soutien à la campagne de Sarkozy« . C’est lui qui se charge d’exfiltrer le chef de cabinet vers la France, puis le Niger et enfin l’Afrique du Sud tout en maintenant les menaces. Le premier intéressé « redoutait, peut-on ainsi lire, d’être assassiné à cause de cette histoire« . Il s’est fait tirer dessus en février dernier devant sa porte à Johannesburg et est depuis en réanimation dans un hôpital aux Émirats Arabes Unis. Alexandre Djouri a pour sa part été arrêté à Londres et attend de savoir s’il sera livré à la justice française.
Un homme fragilisé et au rôle trouble
Les déclarations de Saïf al-Islam Kadhafi doivent être considérées avec prudence, d’autant que les positions de cet homme, tant dans cette affaire que dans la scène politique libyenne actuelle, extrêmement complexe, ne sont pas claires. Un temps détenu à Zintan, située à 160 kilomètres au sud de Tripoli où siège le pouvoir reconnu par la communauté internationale, de Faiez Sarraj, il a été relâché du fait d’une loi d’amnistie votée par le parlement siégeant à Tobrouk, ville tenue par les alliés du maréchal Khalifa Haftnar. Depuis la Cyrénaïque, le chef autoproclamé de « l’armée nationale libyenne » contrôle la plus grande partie du pays. Il est possible qu’il ait ainsi cherché à s’attirer le soutien des kadhafistes.
Enfin, l’homme, dont très peu d’images récentes sont disponibles, s’est déclaré officiellement candidat aux prochaines élections présidentielles libyennes, aux dates toujours incertaines, par l’intermédiaire de son représentant à Tunis, Ayman Bouras. Sa seule prise de parole, connue par des voies indirectes, remonte au mois de mars dernier. Lors d’un entretien téléphonique avec la correspondante à Tunis d’Africanews, filière d’Euronews, il félicitait les « juges français pour l’arrestation (sic) de Nicolas Sarkozy » contre lequel il disait avoir encore des « preuves solides« . Le fils du dictateur libyen, objet d’un mandat de la Cour pénale internationale (CPI) espère que l’ex-président français répondra devant la justice internationale de ces « crimes contre la Libye« . Il rappelle qu’Abdallah Senoussi « détient encore un enregistrement de la première réunion » entre son père et Nicolas Sarkozy. Il concluait son intervention par un appel au président Macron : « Je tiens à vous dire que l’ex-président Sarkozy est responsable du chaos et de la propagation du terrorisme et de l’immigration clandestine en Libye et dans la région. J’appelle donc le président Macron à prendre des mesures pour soutenir les élections en Libye qui pourraient corriger ce qu’a fait son prédécesseur ».
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