Enfin disponible après dix années de développement, le nouvel épisode de la série japonaise de jeux de rôle « Final Fantasy » rompt sur bien des plans avec les habitudes des précédents. Il est loin d’être parfait et, au fond, c’est très bien comme ça.
Il était écrit que Final Fantasy XV serait quelque chose de très spécial. Au cours des dix années qu’il a durées, son développement heurté a été ponctué par des changements de titre (de Final Fantasy Versus XIII à FF XV), de plateformes (de l’ancienne génération de consoles PS3-Xbox 360 à l’actuelle PS4-Xbox One) et surtout de concepteur avec le remplacement en cours de production de Tetsuya Nomura, le père de Kingdom Hearts, par le moins connu Hajime Tabata (Crisis Core : Final Fantasy VII ou Final Fantasy Type-0, c’était lui) dont c’est le premier titre de cette ampleur. On pouvait donc raisonnablement s’attendre à ce qu’il donne pas en permanence le sentiment d’une harmonieuse unité. On n’imaginait pourtant pas que le dernier né de la légendaire série de jeux de rôle japonais serait aussi étrange.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Aberrant. Tel est même le mot qui vient régulièrement à l’esprit au cours des premières heures passées dans l’univers de ce nouveau Final Fantasy. Aberrant comme ce choix non seulement de s’inspirer de GTA pour son monde ouvert, mais aussi de lui emprunter son moyen de transport principal : la voiture. Aberrant comme le look glam-gothique de son quatuor de héros 100% masculin qui s’offre un road-trip dans une sorte d’Ouest américain de synthèse en guise d’enterrement de vie de garçon de l’un des leurs qui se trouve naturellement être un prince. Aberrant, également, comme les multiples bugs et imprécisions techniques qui surprennent dans une production de prestige comme celle-ci.
Des choix contradictoires
Mais ce qui frappe surtout dans Final Fantasy XV, c’est une multitude de choix ludiques ou esthétiques presque contradictoires, des idées lancées et presque immédiatement abandonnées (ou du moins sous-exploitées) et, peut-être avant tout, cet ahurissant virage à 180 degrés quand, après huit chapitres sur quinze, le jeu laisse tomber sa structure ouverte (avec chasse, pêche à la ligne, photos de nature et courses de chocobos de tradition) au profit d’un finale en forme de parcours fléché (où la balourdise de son récit politico-mystique atrocement narré s’impose franchement). De manière fort symbolique, nos héros abandonnent alors leur voiture pour prendre un train dans lequel ils se voient par moments confier l’improbable mission de « passer le temps jusqu’à l’arrivée ». L’aventure, alors, est sur des rails.
En un sens, l’objectif visant à faire de Final Fantasy XV une expérience totale à l’occidentale (un GTA, donc, ou un Assassin’s Creed, un Just Cause, un inFamous…) a échoué, mais c’est justement ce qui le rend passionnant et, aussi, très attachant. A la fois funambule et bancal, pénible et entraînant, bourré de fautes de goût et d’une grâce stupéfiante, Final Fantasy XV est un jeu qui, bien qu’il emprunte tout un tas de choses ailleurs, n’est pourtant semblable à aucun autre. Un jeu qui possède une personnalité folle – parmi les blockbusters ludiques, tout le monde ne peut pas en dire autant. Et même plusieurs, d’ailleurs, façon « United States of » Final Fantasy. C’est encore mieux.
FF XV est un jeu dans lequel un personnage, cuisinier à ses heures perdues, prend soudain, au sortir d’un combat éprouvant avec des bêtes aussi chimériques que sauvages, un air pénétré pour nous asséner : « J’ai pensé à une nouvelle recette. » Un jeu qui, avec téléphones portables, bagnoles fifties, armement médiéval et transports de troupes volants, fait presque de l’anachronisme une forme d’art. Un jeu, aussi, où, en pleine infiltration d’une base de l’empire (lequel est méchant : les empires sont toujours méchants), l’un de nos camarades s’exclame brusquement que « ça fait du bien un peu de soleil ».
Un RPG « next door »
Final Fantasy XV est justement un jeu qui ne se montre jamais avare de ce qui « fait du bien » : du soleil, de la neige ou de la pluie, des lumières dans la nuit, un dragon majestueux ou un Léviathan dont le spectacle nous rend fébrile, de la musique (issue des anciens Final Fantasy, notamment), des pauses la canne à pêche à la main sous le ciel étoilé, des virées dans des grottes hantées ou de grosses bagarres un peu brouillonnes – le système de combat, plus porté sur l’action que dans les Final Fantasy précédents, est éminemment discutable malgré son joli dynamisme.
Final Fantasy XV n’est pas un jeu-univers à la cohérence furieusement inspirante comme le XII, pas un trip esthète, sensuel ou philosophique comme le XIII et ses suites, pas non plus une épopée pop comme le X et surtout le X-2. De ces épisodes marquants de la dernière décennie et demie, il ne possède d’ailleurs pas la majesté presque intimidante, évoquant parfois davantage certains spin-offs de la série que ses épisodes « numérotés ».
Lui serait plutôt un RPG « next door » (comme on dit « boy » ou « girl next door ») qui ne sait pas trop qui il est au fond mais n’en perd pas sa jovialité pour autant, un jeu de rôle changeant mais accueillant dont la modestie (assez paradoxale dans le contexte industriel hautement stratégique de la production de FF XV) et la générosité font aisément pardonner les défauts. Son visage est un peu asymétrique et sa démarche, pas toujours aérienne. On lui devine même quelques cicatrices, signes de chutes et de points de sutures dans son enfance enthousiaste ou son adolescence pleine de doutes. Parfois il en fait trop et parfois pas assez. Parfois il a tout faux. Parfois il est très beau. Ce qu’il dit sonne légèrement creux, mais pas de doute : ces mots (ces images, ces silences, ces dispositifs de jeu) lui appartiennent. On le déteste un peu mais on l’aime énormément.
Final Fantasy XV (Square Enix), sur PS4 et Xbox One, environ 50€.
{"type":"Banniere-Basse"}