Dans la saga reine du jeu de rôle japonais, “Final Fantasy VIII” fut, sur le plan ludique comme esthétique, l’épisode de la rupture. Vingt ans après sa sortie, il est de retour sur les consoles d’aujourd’hui dans une nouvelle version, à la fois plus belle et plus accessible grâce à des systèmes d’aide optionnels. L’occasion idéale de revenir sur ce jeu très spécial en compagnie de son réalisateur de l’époque, Yoshinori Kitase.
« Pour cela, associe Morphée à la fonction Atq-Mtl-A, puis attaque-le. » Mais aussi : « Tu vas m’aimer… Tu vas m’aimer… » Entre ces deux pôles, entre la consigne technique assez absconse et la flambée romantique (un peu pour rire, à cet instant précis) oscille Final Fantasy VIII, hier – c’est-à-dire en 1999 – comme aujourd’hui, où ce classique du jeu de rôle japonais nous revient en version remastérisée (avec la complicité du studio parisien Dotemu, spécialiste du jeu rétro).
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Il s’était fait attendre. Pour tout dire, certains ont même imaginé que son éditeur Square Enix, pourtant généreux en remakes et rééditions de ses productions passées, n’entendait pas lui accorder la même autorisation de (re)sortie qu’aux autres épisodes « numérotés » de Final Fantasy. Il y a un an, Final Fantasy VIII était ainsi mystérieusement absent de l’annonce en grande pompe d’une vague de ressorties destinées notamment à la Switch et à la Xbox One. On y trouvait les épisodes VII, IX, X, X-2 et XII de la saga et même des spin-off à la réputation inégale, comme World of Final Fantasy, Final Fantasy Chronicles (qui sortira finalement le 23 janvier prochain) ou Chocobo’s Mystery Dungeon, mais aucune trace de FF VIII. Qu’avait-il bien pu lui arriver ?
Caméra à l’épaule
Il faut dire que le destin de Final Fantasy VIII est un peu particulier. Conçu dans la foulée du triomphe inédit de FF VII et sans Hironobu Sakaguchi – le père de la série parti préparer son film et qui reviendra aux manettes pour l’épisode IX -, Final Fantasy VIII fut, sur bien des plans, un jeu de rupture, sans doute un peu déséquilibré mais, surtout, en avance sur son temps. Et dont la réception, à l’époque, fut beaucoup plus mitigée que ne pourraient le laisser croire ses chiffres de ventes – plus de 8 millions d’exemplaires vendus pour sa version PlayStation 1.
Car le jeu, son système de combat (d’une grande complexité), son univers inspiré du monde réel (y compris de Paris) et, surtout, son style graphique tournant le dos aux rondeurs traditionnelles de la série au profit de silhouettes plus élancées et « réalistes » n’avaient vraiment pas fait l’unanimité. L’épisode qui lui succédera, Final Fantasy IX, prendra d’ailleurs sur tous ces points la forme d’un (très séduisant) retour en arrière. Certaines audaces de FF VIII laisseront pourtant des traces, jusqu’à Final Fantasy XV, son dernier épisode qui lui ressemble peut-être plus qu’à tout autre de la saga.
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« Final Fantasy VIII est un titre qui essayait d’innover aussi bien en termes d’univers que d’intrigue et de systèmes de jeu« , se souvient son réalisateur Yoshinori Kitase, pour qui les audaces du jeu ne s’arrêtaient pas là mais touchaient aussi à la mise en scène de ses luxueuses séquences cinématiques.
« Il me semble que, quand le jeu est sorti, ce genre de représentation rappelant les films amateurs, avec une caméra à l’épaule un peu tremblante, n’était pas quelque chose qu’on avait vraiment vu en images de synthèse, en particulier dans un jeu. En plus, nous n’avions pas utilisé la motion capture uniquement pour le jeu des personnages, mais aussi pour les mouvements de la caméra elle-même, et j’ai le sentiment que Final Fantasy VIII a donné envie à d’autres créateurs de procéder de la même manière. »
Vitesse augmentée et invincibilité
Et puis il y a la « gunblade« , ce mélange d’épée et d’arme à feu inventé par Tetsuya Nomura (qui, après avoir signé Kingdom Hearts III, dirige actuellement le développement du remake de Final Fantasy VII, dont le premier chapitre est attendu en mars 2020). « L’idée de mettre un chargeur cylindrique de revolver sur une épée était extrêmement originale et cela a même influencé le monde du cinéma », note Kitase. Qui se montre beaucoup moins bavard sur les raisons de la longue absence de FF VIII, notamment en comparaison des épisodes VII et IX. « Nous avons commencé à travailler sur les trois titres à peu près au même moment, mais pour Final Fantasy VIII, nous avons décidé d’améliorer le rendu visuel des personnages. C’est pour cela que ce jeu a demandé un peu plus de temps que les deux autres. » Admettons.
Ce n’est cependant pas l’unique changement qu’a subi cette épopée fantasy virant SF, démarrée dans une académie militaire (coucou, Fire Emblem : Three Houses), et doublée d’une touchante histoire d’amour. Car, au même titre que les épisodes VII et IX, la version remastérisée de Final Fantasy VIII bénéficie de l’ajout de certaines options, censées rendre l’expérience plus accessible aux joueurs d’aujourd’hui.
Ainsi, il est possible d’augmenter la vitesse des déplacements et des affrontements (en la multipliant par trois), de supprimer les « combats aléatoires » (des ennemis jusque-là invisibles surgissent soudain pour nous affronter), très fréquents dans les jeux de rôle japonais de cette époque, et même de rendre nos personnages invincibles. Dans ce dernier cas, la rencontre, du tyrannosaure qui nous agresse sauvagement au bout d’une ou deux heures de jeu, se révèle par exemple infiniment moins stressante.
Survoler ou plonger
Certains jugeront probablement que ces possibilités entachent gravement l’expérience et que, quand on traverse l’aventure en accéléré avec des héros qui se battent rarement et que rien ne peut de toute façon blesser, on ne joue pas vraiment à Final Fantasy VIII. Ils auront raison, au sens où ce n’est évidemment pas ce que ses créateurs avaient en tête à l’époque de son développement. Il n’empêche : d’après Yoshinori Kitase, ces aménagements visent au moins autant les amateurs du jeu original que les « nouveaux joueurs ». « Nous avions le sentiment que ces fans auraient besoin d’un environnement de jeu leur permettant de progresser de manière plus rapide et plus efficace », précise-t-il.
Bienvenue au musée, en quelque sorte. Quand ces trois systèmes d’aide sont activés (ce qui, par ailleurs, autorise à n’aborder que de manière assez superficielle le système de combat), on visite Final Fantasy VIII plus qu’on ne le joue. On explore ses mondes follement évocateurs. On survole certains passages, comme on le pourrait le faire avec un livre, pour se plonger davantage dans d’autres. On est libre – de foncer ou, au contraire, de prendre son temps.
Le rapport avec le jeu est sans doute moins viscéral, plus distancié, mais peut-être aussi plus esthète. Ou alors, pour tenter une autre comparaison, disons qu’on ne fréquente pas exactement l’œuvre Final Fantasy VIII, mais plutôt sa reproduction, comme on le dirait d’une peinture ou d’une sculpture. C’est moins impressionnant, moins intimidant aussi, mais rien n’interdit d’imaginer que, sur la durée, puisse se développer un rapport au moins aussi intime avec ce jeu de vingt ans d’âge. Qui, de cette manière ou d’une autre, mérite amplement de sortir de l’ombre du monument Final Fantasy VII.
Final Fantasy VIII Remastered (Dotemu / Square Enix), sur Switch, PS4, Xbox One et PC (Windows)
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