Dans “Flic c’est pas du cinoche”, l’ancien lieutenant de police Marc Louboutin compare les scènes de films ou de séries policières avec son expérience sur le terrain. Moins glorieuse et plus rude, la réalité dépote moins que Starsky et Hutch.
Si Marc Louboutin a choisi la police, c’est en partie grâce aux fictions. Le métier rêvé? Un flot continu d’adrénaline, un esprit de corps et une solidarité sans faille, la chasse aux délinquants dans des bagnoles de compète.
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“Je crois avoir pris ma décision de rentrer dans la police en regardant les dix minutes d’ouverture du premier Mad Max, en début d’année 1982.”
Pour le grand public, les séries américaines ont force de loi. Les procédures policières et judiciaires américaines, très éloignées du droit français, font référence. Le mandat de perquisition, cliché le plus répandu, n’existe pas ici. Il est pourtant systématiquement réclamé. Les fictions françaises, hormis les plus récentes (Braquo, Engrenages) témoignent souvent de règles obsolètes.
En dehors des procédures proprement dites, Flic c’est pas du cinoche fait témoigner une soixantaine de gardiens de la paix sur leurs conditions de travail. Bien éloignées d’une police rutilante aux moyens techniques illimités, capable d’identifier un auteur de viol en dix minutes avec une goutte de sperme, de la lumière noire et un ordi dernier cri… Le quotidien ressemble plus à du bricolage, dans des commissariats dégueus remis à neuf si un ministre de l’Intérieur passe par là.
Courses-poursuites, bastons, fusillades
Le flic se prend une balle dans l’épaule. Le bras en écharpe, il retourne bosser sous le regard compatissants de collègues admirant son courage. Typique, non? Les 4000 blessures en service par an, en France, ont pourtant des conséquences moins romanesques :
“Les gestionnaires, obsédés par la “rentabilité”, voudraient que les vrais policiers soient aussi solides que ceux des fictions et reprennent leur poste dès “l’épisode suivant”.
Avec humour, Louboutin fait l’aller-retour entre les films, sa propre expérience (il a quitté la police en 2001) et des témoignages actuels. Il aborde des thèmes typiques du cinéma, courses-poursuites, fusillades de dix minutes sans recharger l’arme, scènes de baston :
“Un bon suspense mérite une scène de combat ponctuée d’une bordée de “han!” digne d’un open de tennis. N’oublions pas, pour que la scène soit parfaite, l’utilisation d’objets et projectiles divers à fracasser sur le dos ou la tête de l’adversaire.”
Sa première baston de flic, l’ex-lieutenant l’a terminée dans un caniveau, allongé par un videur. Les interpellations “musclées” peuvent mal finir, les gardiens de la paix ne sont pas formés aux sports de combats, c’est plutôt de la débrouille en essayant de ne pas être accusé de violences.
“Quelle est la différence entre un policier australien, un policier américain et un policier français? Chacun est confronté à la même situation : il est armé, agit dans le cadre d’une mission, et est brutalement confronté à un individu qui tient un énorme couteau et se rue sur lui en hurlant, avec sans aucun doute l”intention de le tuer. […]
– L’Australien pointe son arme, et bang.
– L’Américain fait de même : bang bang bang bang bang bang clic… (chargement de chargeur), bang bang bang bang bang bang clic, etc.
– Le policier français garde son arme à la ceinture, pensif, il analyse la situation à voix haute : “suis-je vraiment en état de légitime défense? Son couteau est-il vraiment interdit? Pistolet automatique 9 mm contre couteau, ma riposte est-elle proportionnée? Si je tire, cela aura-t-il un impact sur ma carrière? Vais-je me retrouver à la une des médias pour une bavure? Qui va me couvrir? Ai-je les moyens de me payer un bon avocat? Si j’arrive à analyser tout cela dans les délais, je vais lui faire une ultime injonction de déposer son arme à terre.”
Certaines anecdotes prêtent à sourire, la légèreté de quelques chapitres également : l’image des femmes dans la police, l’état des véhicules, le rapport entre flics et voyous. Au fond, en démontrant le fossé entre l’imaginaire des séries policières et le réel, Louboutin ne pourrait pas mieux mettre en lumière les tabous de l’institution : suicides avec l’arme de service, difficultés sociales, manque de formation, proximité incessante de la mort, misère matérielle dans certains cas. Et la masse de travail administratif jamais vue à la télé.
Camille Polloni
[attachment id=298]Flic c’est pas du cinoche, Marc Louboutin, éditions du Moment, 9 décembre 2010 (19,95 euros)
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