Depuis les prises de positions de son équipe contre la destitution de la présidente du Brésil Dilma Roussef, le film « Aquarius », de Kleber Mendonça Filho, se heurte à différentes tentatives de marginalisation. Une censure déguisée qui en fait peu à peu un symbole de la résistance dans le pays.
Second film du Brésilien Kleber Mendonça Filho après le très remarqué Les Bruits de Recife, portrait anxiogène et choral du quartier du réalisateur, Aquarius, présenté en compétition au dernier Festival de Cannes, s’annonce comme l’un des grands films de l’année 2016. Cette œuvre élégante à la beauté mélancolique, toujours située à Recife, dépeint le combat d’une sexagénaire, Clara (Sonia Braga, tout en force et sensualité), face aux promoteurs immobiliers qui veulent l’expulser de l’immeuble de caractère dont elle est la dernière habitante. Clara fait figure d’héroïne moderne qui se dresse face à un système injuste, incarnant un vent de résistance dans un pays sclérosé par de nombreux scandales politiques et inégalités sociales.
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Le film a été tourné alors que le Brésil traverse une crise politique complexe. Fin 2015, la présidente Dilma Rousseff est accusée d’avoir maquillé des comptes publics. Ecartée du pouvoir et remplacée par son vice-président et ennemi Michel Temer, elle clame que ses agissements ne visaient en aucun cas son enrichissement personnel, et qu’ils constituent des pratiques courante dans les rouages de l’Etat brésilien. Les mesures prises à son encontre, allant jusqu’à l’empeachment, sont vécues comme un coup d’État par ses partisans, qui arguent notamment que Michel Temer est lui aussi soupçonné de corruption.
L’aventure cinématographique va, au fil de différents événements, s’entremêler à l’actualité politique.
Une monté des marches à la saveur militante
Le 17 mai 2016, à 16h. Le soleil écrase la Croisette en ce septième jour de la 69e édition du Festival de Cannes, dont le jury était présidé par le réalisateur australien George Miller. L’équipe d’Aquarius monte les marches pour défendre le film, les talons et chaussures cirées foulant le tapis rouge sous les flashs des photographes. Jusqu’ici, rien d’inhabituel, jusqu’au moment où le réalisateur, ses producteurs, actrices et acteurs sortent des pancartes vraisemblablement imprimées à la hâte.
« Un coup d’État a eu lieu au Brésil », « 54 millions de votes jetés au feu », « Le monde ne peut pas accepter ce gouvernement illégitime »… Le message est clair, et teinte le glamour de revendication politique : les tentatives de déstabilisation puis d’éviction de Dilma Rousseff constituent une machination de l’opposition sous forme de coup d’État parlementaire. Devant les caméras du monde entier, un pont est jeté entre la France et le Brésil, où plus des deux tiers des députés se sont prononcés le matin même et dans un climat exécrable pour la poursuite de la procédure de destitution. La présidentedéchue, touchée par le message, s’empressera de remercier l’équipe du film sur Twitter.
Obrigada, Kleber Mendonça Filho (@kmendoncafilho), Sonia Braga (@bragasonia) e Maeve Jinkings – o talento do Brasil em Cannes.
— Dilma Rousseff (@dilmabr) May 17, 2016
Une interdiction en forme de sanction
Fin août, le film, auréolé de son succès critique cannois, commence à envahir les salles obscures du pays désormais aux mains de Michel Temer. Le public est nombreux et sensible à l’étrange parallèle entre l’intrigue du film et le drame politique qui se joue dans le pays : dans les deux cas, une septuagénaire se fait expulser de façon injuste. Alors que de plus en plus de projections s’achèvent sous les cris de soutien à Dilma Rousseff, le ministère de la Justice se prononce pour une interdiction du film aux moins de 18 ans, ramenée ensuite à 16, mesure rarissime qui revient à briser dans l’œuf la carrière commerciale du film.
La raison invoquée à l’appui de cette décision est la « présence de drogues » et d’une « scène de sexe explicite ». Or, ces images susceptibles de traumatiser les mineurs se réduisent à une étreinte sexuelle non explicite avec un gigolo, vue à travers l’entrebâillement d’une porte, et à l’absence d’un sein – celui de l’héroïne, amputé suite à un cancer.
Pour l’équipe du film comme pour les partisans de Dilma Rousseff, il est évident que cette mesure disproportionnée est une censure déguisée, une mesure de rétorsion suite à la prise de position publique lors du Festival de Cannes. Le journaliste Leandro Fortes déclare ainsi dans une tribune publiée sur le site Brasil 24 que la mesure fait partie « de ces représailles que seul un gouvernement ridicule commandé par des imbéciles peut avoir le courage de faire en plein jour. »
Faire comme si le film n’existait pas
Dans le même temps, une autre polémique s’est mise à enfler, concernant cette fois le choix du candidat brésilien à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère. Si Aquarius fait figure de grand favori dans la profession, les choses se compliquent quand le gouvernement intègre au comité de sélection le critique Marcos Petrucelli, qui avait déclaré que “l’équipe était partie en vacances à Cannes aux frais de l’Etat, pour humilier publiquement le pays par ses déclarations tout en revenant bredouille ».
Dénonçant une “subtile conspiration” ourdie par le gouvernement, de nombreux autres candidats sérieux à l’Oscar ont décidé de déclarer forfait en soutien à l’équipe de Kleber Mendonça filho, dont le précédent long métrage avait été choisi pour représenter le pays en 2013. Ce qui n’empêche pas le film d’être écarté le 12 septembre de la course aux Oscars, comme le confirme son distributeur français Saïd Ben Saïd.
#AQUARIUS vient d'être écarté de la course aux #oscars par le gouvernement brésilien #Brésil
— Saïd Ben Saïd (@saidbensaid66) September 12, 2016
Aquarius sortira en France le 28 septembre.
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