Les actrices de cinéma n’hésitent plus à entamer une deuxième carrière dans la pub de luxe. Enquête sur des noces fructueuses qui comblent autant les stars que les marques.
Scarlett Johansson pour Dolce & Gabbana et Mango, Eva Mendes pour Calvin Klein Jeans, Uma Thurman pour les montres Tag Heuer et le parfum Ange ou Démon de Givenchy, Nicole Kidman pour Chanel, Schweppes et Nintendo, Sharon Stone pour Dior Cosmétiques et les bijoux Damiani, Marion Cotillard ou Monica Bellucci pour Dior… N’en jetez plus ! Parallèlement à leur travail d’actrice, les stars du septième art entament désormais une véritable carrière bis en tant qu’“égéries” de marques de luxe. Mais le terme est-il si approprié que ça ?
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A l’origine, cette appellation était réservée aux femmes qui inspiraient les artistes, comme une muse pouvait le faire. Un terme employé avec à-propos pour qualifier la relation qui unissait Yves Saint Laurent à Catherine Deneuve ou Hubert de Givenchy à Audrey Hepburn. A l’époque, les créateurs habillaient les actrices in et off grand écran, et si quelqu’un était payé, c’était plutôt eux.
Aujourd’hui, le système s’est inversé : toutes les actrices citées plus haut ont négocié un contrat juteux avec les marques qu’elles représentent. Pour certaines d’entre elles, cette carrière parrallèle est même devenue leur activité principale. Vous souvenez-vous de la dernière fois que vous avez vu Sharon Stone dans un film ? Qui a répondu “Casino en 1996” ? Pas très sympa… En revanche, il suffit de feuilleter le Elle de la semaine pour trouver sa dernière pub pour un antirides Dior.
Il ne s’agit évidemment pas d’opposer deux activités dont l’une serait considérée comme créative et noble et l’autre mercantile et sale. D’abord, parce que les cachets importants que constituent ces revenus alternatifs sont parfois pour les comédiennes l’occasion d’attendre le bon rôle, leur accorde une tranquillité financière leur permettant une plus grande exigence dans le choix de leurs films. En France, Anna Mouglalis, visage officiel de Chanel, expliquait sur les marches du dernier Festival de Cannes – qu’elle montait pour le film Coco Chanel & Igor Stravinsky : “Mon contrat avec Chanel me permet de préférer des petits films d’auteur à d’autres films plus rémunérateurs mais qui m’intéressent moins.”
Qui dit deuxième activité, dit la plupart du temps deuxième agent. A Los Angeles comme à Paris, toutes les grandes actrices sont désormais représentées par une agence spécialisée dans la pub. Une agence de mannequins comme Viva (où l’on trouve les tops cotés, de Doutzen Kroes à Agyness Deyn) a désormais un département “Talent” où sont inscrites aussi bien Alice Taglioni que Charlotte Rampling, Isabelle Huppert que Nathalie Baye.
C’est un paradoxe étrange que l’univers de la publicité soit finalement plus clément pour la maturité des actrices que celui du cinéma, en premier lieu hollywoodien. Qu’à 50 ans passés, Sharon Stone, éloignée des projets cinématographiques de premier plan, soit encore une star de pub pour cosmétiques ou que Madonna écarte les jambes pour les sacs Louis Vuitton pourrait même être envisagé comme une victoire féministe. “Pas forcément, rétorque Valerie Steele, directrice du FIT (Fashion Institute of Technology), le musée de la mode de New York. Les femmes auxquelles s’adressent ces publicités, celles qui ont le pouvoir d’achat pour des crèmes antirides à 200 euros ou des sacs à 3000 euros, ont l’âge de Madonna ou de Sharon Stone. Il paraît donc logique que les marques fassent appel à elles plutôt qu’à des jeunettes.” Mais l’adolescente texane avec 10 dollars d’argent de poche par semaine, comment peut-elle s’identifier à Scarlett Johansson ou à Eva Mendes ? “Eva Mendes a des origines latinas qui parlent à cette minorité très importante aux Etats-Unis, explique Valerie Steele. Et Scarlett Johansson a des rondeurs qu’on ne voit jamais sur des mannequins. Pour la femme de la rue, le phénomène d’identification marche beaucoup mieux qu’avec un mannequin sculptural perché sur des jambes de quatre mètres de long.”
L’avalanche de contrats entre les marques et les actrices annoncerait donc la fin du statut hégémonique de la “supermodèle” des années 90, type Linda Evangelista, Eva Herzigova ou Naomi Campbell. Une évolution confirmée par une scène du récent film The September Issue, qui suit la fabrication du numéro de septembre de la revue Vogue. On y comprend que si la rédactrice en chef Anna Wintour a su ramener le mensuel au premier plan, c’est en mettant en couverture non plus des supermodèles mais des actrices célèbres. Se joue donc ici une partie de billard à trois bandes entre le glamour, l’argent et la célébrité. Ainsi, qui aurait parié que Marion Cotillard décrocherait la pub Dior avant le succès de La Môme et son oscar à Hollywood ? Qui sait que les ventes du dernier sac Lancel ont explosé à partir du moment où Isabelle Adjani – pourtant considérée comme has been par une partie du cinéma français – en est devenue l’emblème ? Combien Micheline Dax a-t-elle négocié son contrat avec les baignoires à porte Cantrelle ?
Si les actrices se jettent à corps perdu dans cette nouvelle voie, c’est parce que la publicité flatte aussi leur désir narcissique d’être filmées comme des princesses et restaure le glamour le plus suranné, là où le cinéma moderne, à force de naturalisme, a fait descendre la star de cinéma de son socle de déesse. Ce glamour à l’ancienne ne va pas non plus sans casse : si Nicole Kidman recyclait avec un certain panache tous les clichés du glamour dans le spot Chanel de Baz Luhrmann, sa prestation dans la grosse cavalerie bollywoodienne Schweppes laisse plus perplexe.
Les actrices se laissent-elles toutes tenter par cette manne supplémentaire ? Non. Conscientes que de tels contrats peuvent les transformer en portemanteaux, et donc amenuiser le désir des metteurs en scène, il arrive que certaines s’offrent le luxe de refuser. Elles sont peu nombreuses. On n’en citera d’ailleurs qu’une : Natalie Portman, connue pour sa ligne dure dans le tout-Hollywood. Mais il est vrai que les cachets de blockbusters comme Star Wars lui permettent ce confort.
L’appétit des marques ne s’arrête pas à transformer les actrices en mannequins. Dernièrement, on a appris que, pour se relancer, la marque Ungaro avait nommé au poste de conseillère artistique… l’actrice Lindsay Lohan. Résultat : lors du prochain défilé, le 7 octobre, on attend une foule de journalistes qui devraient davantage se jeter sur Lindsay que sur la véritable créatrice de l’enseigne, Estrella Archs.
Le flou entre mode et cinéma n’est pas prêt de se dissiper : un créateur comme Tom Ford vient de cartonner aux festivals de Venise et de Toronto avec son film A Single Man, et des cinéastes comme Wong Kar-wai ou David Lynch tournent aujourd’hui plus de films pour la mode que pour le cinéma. D’une certaine façon, les meilleurs actrices et réalisateurs ont trouvé dans le monde du luxe de nouveaux mécènes. La suite ? Peut-être est-elle à guetter du côté de la politique. Alors que le président Sarkozy a épousé Carla Bruni, ancienne top model qui garde des liens très étroits avec le milieu du luxe, une certaine Michelle Obama arbore semaine après semaine des tenues de jeunes créateurs qu’elle contribue à populariser. A quand une pub pour une marque de luxe avec l’une ou l’autre de ces femmes de président ? C’est en toute logique la prochaine station de notre monde jamais rassasié de farce spectaculaire.
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