Plus de 2000 personnes se sont réunies samedi 13 avril sur Trafalgar square, à Londres, pour célébrer la mort de Margaret Thatcher et dénoncer son héritage politique. Reportage.
Cela fait 20 ans que l’on se passe le mot. « Party on Trafalgar square the Saturday after Margaret Thatcher dies ». L’appel a été lancé au début des années 90 par Classwar , un groupe anarchiste aujourd’hui disparu : « rendez-vous à Trafalgar square, le samedi suivant la mort de Margaret Thatcher, pour faire la fête ». Le message a marqué les esprits, et les réseaux sociaux ont pris le relais dès l’annonce de la mort de Margaret Thatcher, lundi 8 avril. Toute la semaine, les médias ont relayé l’information, et c’est finalement le maire de Londres Boris Johnson qui a officialisé la chose vendredi 12 avril, en déclarant que la police se préparait à « d’éventuels débordements violents. »
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Samedi après midi, une étrange attente régnait sur Trafalgar Square. A 17h, il y avait sur place plus de policiers et de journalistes que de militants, tous se demandant visiblement s’il allait se passer quelque chose. Les manifestants sont finalement arrivés, pile à l’heure. D’abord des punks de tout âge déjà bien imbibés, puis d’autres : badauds, curieux, familles ou étudiants, certains venus de loin. L’ambiance est plutôt détendue, mais les mots sont durs. « Fasciste », « raciste », « sorcière », « meurtrière », entend-on en boucle. De temps en temps, quelqu’un crie : « Maggie Maggie Maggie… !!!! » « … Dead ! dead ! dead ! » répond la foule.
« Dans le salon de mes parents, il y avait une affiche avec la tête de Margaret Thatcher recouverte de sang », raconte Andrew, 32 ans. « Toute mon enfance, j’ai eu cette image devant les yeux. Alors aujourd’hui, bien sûr que je me réjouis de sa mort« , grince-t-il. « Tous les ouvriers la détestent ! », assène Liam, 62 ans, en agitant sa pancarte « Ding Dong bell ! Thatcher has gone to hell ! » (ding dong ! Thatcher est en enfer ! ) sous le nez des photographes. « Si elle était la maintenant, nous la massacrerons, nous lui arracherions la tête« , poursuit-il d’une voix calme. A côté, un long type au visage tatoué soulève son pull et bombe le torse. Sur son t-shirt on lit : « I still hate Margaret Thatcher« . Un bon résumé de l’état d’esprit général.
Les anciens mineurs étaient de la partie.
D’un seul coup, une clameur parcourt la foule. En haut de la place, la bannière mythique de l’Union nationale des mineurs vient d’apparaître. C’est un pan de l’histoire industrielle du pays qui resurgit avec elle, et le souvenir de la grande grève de 1984-1985 contre les fermetures de mines. Sous les applaudissements nourris, le cortège se fraie lentement un chemin jusqu’au pied de la colonne Nelson.
« Nous sommes ici, pour montrer qu’une très large partie de la population, et particulièrement la classe ouvrière la détestait et déteste son héritage », lance Dave Douglas, l’un des porte-drapeaux.
A quelques mètres de là, George Brown, ancien mineur lui aussi, débouche une bouteille de champagne. « Regardez bien mon sourire ! » lance-t-il en la portant à ses lèvres.
Ceux-là sont venus montrer qu’ils sont bien vivants et qu’ils ne pardonnent pas. « Aujourd’hui, nous essayons d’enterrer les fantômes », sourit George Brown. Toute la semaine, des voix se sont pourtant élevées pour condamner les manifestations de joie, et demander de respecter la mémoire de Margaret Thatcher. « Moi je demande du respect pour ses victimes ! », réplique George Brown avec un claquement de langue. « Combien de personnes ont souffert, combien de familles ont été affectées par sa politique ?« , gronde-t-il. « Moi je ne regrette pas sa mort, je regrette le jour de sa naissance ! »»
Un cocktail explosif pour la police.
Sur la place, on compte plusieurs cercueils en carton, et un grand nombre d’effigies de Margaret Thatcher soigneusement défigurées.
Mais si les manifestants s’en prennent violemment aux symboles, personne ne semble spécialement prêt à en découdre contrairement à ce qu’avaient laissé entendre les autorités. Il faut dire que le dispositif de sécurité est impressionnant : un hélicoptère décrit des cercles dans le ciel avec un bruit assourdissants, les stations de métro ont été bouclées, et les touristes prévenus qu’il valait mieux éviter le centre de Londres pour la journée.
« C’est de la propagande », commente Andrew avec un petit sourire ironique, « Ils ont encore en tête les émeutes de l’été 2011, et ils ont très très peur que ça déborde aujourd’hui ».
Les émeutes et les grandes manifs étudiantes de 2010 sont certes dans tous les esprits, mais ce qui inquiète aussi la police, c’est que ces manifestants old school ne s’emparent de revendications plus actuelles. Samedi matin, quelques heures avant le rassemblement de Trafalgar Square, deux autres cortèges se sont déployés dans les rues de Londres pour dénoncer la politique d’austérité menée par le gouvernement britannique. Le parallèle entre la fameuse Poll tax de Margaret Thatcher et la « bedroom tax » de David Cameron n’a échappé à personne: d’un côté, un impôt inégalitaire à l’origine d’émeutes en 1990, de l’autre, une mesure visant à taxer les logements sociaux, emblématique d’un budget 2013-2014 drastique, entré en vigueur le 1er avril.
« La mort de Margaret Thatcher doit nous rappeler qu’il faut continuer à lutter contre le libéralisme, pour nos enfants« , souffle Christian, un ancien syndicaliste de 65 ans. Au milieu de la foule, une jeune étudiante tient une pancarte sur laquelle on peut lire : « Poll tax, émeutes le 31 mars 1990. Bedroom tax, émeutes en 2013 ? »
Polémique autour des funérailles de Thatcher
Le mercredi 17 avril, la dépouille de Margaret Thatcher sera conduite de Westminster à la cathédrale Saint Paul au cours de funérailles grandioses, pendant lesquelles la « dame de fer » recevra les honneurs militaires. Une cérémonie hors du commun que les manifestants de Trafalgar Square ont vivement dénoncée.
« Est-ce que c’est la reine qu’on enterre ? », s’indigne David Douglas. « Les journaux ont dit qu’elle était la sauveuse de la Nation, mais elle n’a défendu que les riches et les privilégiés. Nous refusons de payer pour ses funérailles! ».
Selon un sondage publié le 13 avril au soir, une large frange de la population partage ces réserves : 60% des britanniques estiment que l’argent des impôts ne devrait pas servir à financer la cérémonie de mercredi. Le coût des funérailles – estimé à 10 millions de livres par la presse– s’explique aussi par l’importance du dispositif de sécurité. Plus de 700 policiers doivent être déployés tout le long du parcours, alors que plusieurs appels à manifester ont été lancés. L’ancien mineur George Brown, lui, ne fera pas le déplacement. En levant une dernière fois sa bouteille de champagne, il explique qu’il a déjà prévu de passer « toute la journée de mercredi assis chez lui, à boire. »
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