Du 15 au 20 novembre 2015, Arte organise un nouveau festival du documentaire. Martine Saada, directrice de l’unité société et culture d’Arte France, nous parle du choix de la programmation, « cohérente et hétéroclite ».
Après une première édition en 2013, Arte organise un nouveau festival de films documentaires. Pourquoi une chaîne de télévision comme la vôtre décide-t-elle de monter un festival ?
Martine Saada – La présidente d’Arte, Véronique Cayla, a souhaité dès son arrivée à la tête de la chaîne, que le documentaire soit célébré en alternance avec la fiction dans un festival de cinéma, exposant sur Arte et en salles le meilleur de nos productions. Pour sa deuxième édition, le festival documentaire d’Arte propose à l’antenne douze films. On privilégie des grands formats. Notre « label Arte » intègre des films d’auteurs dont les durées ne sont jamais fixes et rigides : ils peuvent faire 52 minutes ou trois heures. Tous échappent à la logique de case de la grille. Ils viennent en complément des autres films d’auteurs, très présents dans nos cases et rendez-vous réguliers : La Lucarne, les « documentaires Société » ou les documentaires culturels. Parmi les douze films proposés, citons : Les 18 fugitives d’Amer Shomali, Hitchcock-Truffaut de Kent Jones et Serge Toubiana, Austerlitz de Stan Neumann, Killing Time, entre deux fronts de Lydie Wisshaumpt-Claudel, Behemoth, Le dragon noir de Zhao Liang et le documentaire cinéma La Maison de la Radio de Nicolas Philibert.
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Les documentaires d’Arte pourront aussi se découvrir en salles ; pourquoi ?
C’est une autre façon de découvrir le genre documentaire. On pourra ainsi voir d’autres films que ceux diffusés sur Arte celui de Thierry Thomas et Chantal Thomas sur Roland Barthes, le film de David Teboul sur Christine Angot, Marie Darrieussecq et Jean-Christophe Bailly dans le cadre de notre collection « L’Europe des écrivains », ou encore le documentaire de société d’Isabelle Boni-Claverie Trop noire pour être Française ? Mais dans les deux cas, en salles ou à l’antenne, il s’agit de la même volonté d’afficher une politique déterminée.
Comment pourriez-vous définir le cadre global de votre programmation ? Revendiquez-vous une ligne éditoriale spécifique ?
S’il fallait parler de ligne, elle serait à la fois cohérente et hétéroclite. Cohérente parce qu’elle offre au téléspectateur des regards personnels, des écritures singulières portées par des réalisateurs qui sont aussi les auteurs de leurs films et pour qui la forme compte autant que le sujet. Hétéroclite parce que, de fait, il n’y a pas de thématique commune. Chaque film est spécifique. Notre attachement à des films singuliers s’illustre aussi dans notre politique d’achat : on achète du cinéma documentaire pour, parfois, l’intégrer dans nos grilles. La volonté d’Arte est de co-produire des documentaires d’auteur.
Chaque film invente donc son propre mode d’écriture ?
Oui, car on a la chance sur Arte de pouvoir échapper aux formatages pour privilégier le contenu, le regard du réalisateur et son écriture cinématographique. La chaîne reste, il est vrai, une exception en Europe. C’est important qu’on puisse retrouver dans ce festival des réalisateurs consacrés – comme Rithy Panh, il y a deux ans, comme Stan Neumann cette année – et d’autres émergents qu’on suit depuis le début. Pour moi, il est essentiel d’accompagner le travail de jeunes cinéastes comme la réalisatrice de Killing Time Lydie Wisshaupt-Claudel. Elle filme avec une grande puissance d’incarnation les hommes qui rentrent de la guerre avant d’y repartir : un temps suspendu qui est un temps du rien, passé au café, dans sa famille, sans pouvoir retrouver ses marques. Quant à Stan Neumann, je savais depuis longtemps qu’il voulait adapter le roman de W.G Sebald Austerlitz : un film comme celui-là a pris du temps. Il est, je crois, emblématique de la volonté d’Arte d’accompagner une œuvre en train de se construire ; son précédent film, La langue ne ment pas, adapté de l’œuvre de Victor Klemperer, produit à l’époque par Thierry Garrel, est en écho avec Austerlitz. J’aime aussi beaucoup Les 18 fugitives : un film décalé d’animation palestinien qui traite du conflit avec humour. Des films ambitieux comme ceux-là, il n’y en a pas beaucoup. La création sans filet, avec la certitude d’avoir quelque chose de fort à dire, comme une nécessité absolue, cela reste rare.
Propos recueillis par Jean-Marie Durand
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