Après une première édition en 2013, le deuxième Festival du documentaire d’Arte expose un choix éditorial à rebours des codes télévisuels dominants. Douze films seront diffusés du 15 au 20 novembre sur la chaîne franco-allemande.
Behemoth – Le dragon noir de Zhao Liang
Behemoth est une sorte de monstre biblique. L’équivalent terrestre du Léviathan. Ici, il sert à désigner des mines de charbon dantesques qui dévastent une partie de la Mongolie chinoise. Dantesque est bien le mot puisque le cinéaste se place sous l’égide du poète italien et de sa Divine Comédie. Zhao Liang est lui aussi poète.
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Il ponctue son film sur les cercles de cet enfer (la mine et ses profondeurs, la forge, l’hôpital) par une élégie déplorant la destruction du monde. Un documentaire politique et social, mais aussi et avant tout un travail esthétique. Le cinéaste peint avec sa caméra, filmant, tels des paysages, les visages encrassés de charbon, les jambes et les mains crevassées par un travail inhumain. VO
Behemoth – Le dragon noir, mercredi 18 à 23 h 40
Hitchcock/Truffaut de Kent Jones et Serge Toubiana
Existe-t-il un livre de cinéma plus célèbre que le Hitchcock/Truffaut ? Non, sans doute parce que cet ouvrage, affectueusement appelé le “Hitchbook”, combine merveilleusement l’érudition et l’accessibilité, la complexité et la limpidité. Cet ouvrage est un genre de bible dont les mots-clés seraient “héritage” et “transmission”.
Héritage d’un des plus grands cinéastes du monde, transmission entre lui et l’un de ses plus ardents ciné-fils d’une part, puis entre ces deux-là et leurs lecteurs (parmi lesquels une belle brochette de futurs cinéastes) d’autre part. Dans ce contexte, nul étonnement que des cinéphiles aussi avertis que Kent Jones et Serge Toubiana aient fini par éprouver le désir de faire un film de cette aventure livresque et critique.
Au départ, il y avait donc l’envie du jeune cinéaste François Truffaut de rencontrer et d’interviewer l’un de ses maîtres. Son courrier fut si habité et convaincant qu’Alfred Hitchcock accepta la proposition, “ému jusqu’aux larmes”. Rendez-vous fut pris aux studios Universal pour huit jours d’entretiens.
Au cours de ces sessions appelées à devenir historiques étaient présents les deux protagonistes, mais aussi une tierce personne, l’interprète Helen Scott, ainsi qu’un gros magnétophone de l’époque. Le film de Jones est bâti à partir de ces enregistrements, qui procurent le double plaisir d’entendre les voix si particulières du vieux Hitch et du jeune Truffaut.
Le générique des cinéastes présents dans ce film est impressionnant. Martin Scorsese, David Fincher, James Gray, Wes Anderson, Olivier Assayas, Arnaud Desplechin, Kiyoshi Kurosawa, Peter Bogdanovich, Paul Schrader, Richard Linklater, ils sont presque tous venus témoigner de l’importance du bouquin.
“Il nous disait que le cinéma était pour nous, qu’on pouvait s’y mettre aussi” (Scorsese). “Ce livre n’est pas un accessoire secondaire pour Truffaut mais une partie à part entière de son œuvre, au même titre qu’un film” (Assayas). “L’exemplaire que je possède n’est plus un livre mais un amas de feuilles volantes tenues par un élastique, tellement je l’ai usé” (Anderson).
Après avoir fait les présentations du livre, de Truffaut et des débuts du corpus hitchcockien (la crainte de l’uniforme, le thème de la culpabilité, la différence entre suspense et peur…), Jones et Toubiana se sont attardés plus particulièrement sur deux films emblématiques : Sueurs froides et Psychose.
Pour le premier, les voix chorales des intervenants montrent que l’argument policier est un simple fil sur lequel Hitchcock a accroché divers éléments plus proches de sa psyché : l’architecture parfois mystérieuse de San Francisco, le plaisir poétique de la déambulation dans une ville, le désir fétichiste pour une femme et la métonymie entre cet objet du désir et le cinéma.
Il apparaît clairement à l’image que le fameux chignon de Kim Novak est une métaphore de son sexe, ce qui est confirmé par la voix du maître himself, quand il explique la scène centrale où Scotty transforme Judy en Madeleine : “Elle s’est habillée comme Madeleine, elle a teint ses cheveux en blond, mais il manque encore quelque chose : elle n’a pas refait son chignon. Voyez, c’est comme si elle s’était déshabillée mais avait gardé sa petite culotte. Scotty veut qu’elle enlève sa culotte, qu’elle noue son chignon.” Et il est très émouvant d’entendre la voix timide de Truffaut réagir doucement à ce passage : “Ah oui, oui, en effet, c’est très beau…”
Quant au radical Psychose, Fincher explique que “c’est comme si Hitch avait balancé une grenade dans la salle de conférence du studio, envoyant valser toutes les règles antérieures”. Pour son époque, le film est en effet d’une brutalité érotique, narrative et filmique jamais vues.
Bogdanovich décrit très bien les spectateurs qui hurlaient d’angoisse pendant la séquence de la douche ! “On ne veut pas voir ça ! (mais en même temps, on le veut)”. Ce film rend justice à un livre, à deux immenses cinéastes et à la passion informée et intelligente du cinéma, cet art de masse, ou ce divertissement populaire qui a parfois atteint le grand art. SK
Hitchcock/Truffaut, lundi 16 à 20 h 55
En avant-première le mardi 10 à 22 h sur les Inrocks premium
Sursortie en DVD chez Arte Editions le 17 novembre
Austerlitz de Stan Neumann
Adaptation du dernier roman de W. G. Sebald, ce film ne se contente pas d’illustrer les allées et venues européennes de Jacques Austerlitz (incarné par Denis Lavant), historien d’art spécialiste de l’architecture du XIXe siècle, parti à la recherche de ses racines d’enfant juif tchèque. Cela coïncide avec les origines du cinéaste, né en Tchécoslovaquie et également féru de culture architecturale.
Ainsi, les déambulations un peu aléatoires d’Austerlitz recoupent les propres investigations du réalisateur sur les descriptions de Sebald, dont il tente de déceler la part inventée et la part réelle. Sebald n’est pas un écrivain simple. Il brouille les pistes, fait des emprunts à des confrères tels que Proust ou Kafka, mêle réel et imaginaire de façon indicible, pour in fine tenter de faire revivre et redonner un sens à un monde enfoui sous les limbes du temps et de la poussière.
D’où un parcours erratique avec lequel Neumann joue en mêlant des extraits du livre lus par Lavant à ses propres réflexions et à des scènes jouées par des comédiens. Le tout sous l’égide de l’architecture monumentale du XIXe siècle, dont Sebald s’insurgeait qu’on la dédaigne. Au moins celle-ci, plaidait l’écrivain, “accrochait la mémoire”. CQFD. VO
Austerlitz, mardi 17 à 22 h 30
Killing Time – Entre deux fronts de Lydie Wisshaupt-Claudel
Perdu dans l’immensité aride du désert californien de Mojave, la ville de Twentynine Palms accueille un soir d’été ses enfants revenus de la guerre en Afghanistan et en Irak. Dans un clair-obscur pénétrant, Lydie Wisshaupt-Claudel filme la joie des retrouvailles.
Les marines aux visages d’adolescents retournent auprès de leurs proches, le temps d’une permission au pays natal, le temps d’effacer de leurs esprits les images d’une guerre lointaine. Mais à Twentynine Palms, c’est une fausse tranquillité qui règne. Sourde et tue, la violence de la guerre n’a que la peau, tatouée, et le crâne, rasé, comme réceptacles de sa trace tenace.
La cinéaste filme frontalement ces soldats qui traînent dans des salons de coiffure et de tatouage, dans des bars ou des magasins. Entre deux fronts, ils tuent le temps, l’étirent littéralement, incapables de l’habiter autrement que dans la scarification, l’ennui et le flou de leurs aspirations. Suspendue, la guerre se poursuit indiciblement dans la nervosité de corps qui ne savent plus faire la paix. JMD
Killing Time – Entre deux fronts, mercredi 18 à 22 h 10
Les 18 Fugitives d’Amer Shomali et Paul Cowan
Durant la première Intifada en 1988, la petite ville de Beit Sahour se rebelle contre Israël de façon créative. Le film relate comment, en parallèle de leur grève des impôts, des citadins palestiniens achetèrent un troupeau de vaches pour produire leur propre lait, hors des contraintes israéliennes.
Au lieu d’un récit plat et factuel, le film est conçu comme une farce partiellement réalisée en pâte à modeler. Traitement créatif qui rend la résistance passive des Palestiniens plus imagée et familière. On pense beaucoup à Astérix ; les soldats israéliens figurant les Romains, et les Palestiniens, maestros du système D, les Gaulois. VO
Les 18 Fugitives, dimanche 15 à 22 h 55
En avant-première à partir du lundi 9 à 22 h sur les inrocks.com
Les autres films
L’Effet domino d’Elwira Niewiera et Piotr Rosolowski, le 16 à 0 h 05
La Maison de la radio de Nicolas Philibert, le 17 à 20 h 55
Bonne nuit papa – Ma famille au Cambodge de Marina Kem, le 17 à 0 h 05
The Look of Silence de Joshua Oppenheimer, le 19 à 22 h 25
Indonésie 1965 – Permis de tuer de Joshua Oppenheimer et Christine Cynn, le 19 à minuit
Sleepless in New York de Christian Frei, le 20 à 22 h 20
Breathing Earth – Le rêve de Susumu Shingu de Thomas Riedelsheimer, le 20 à 23 h 55
Le festival du documentaire aux 3 Luxembourg
Arte propose une rétrospective au cinéma Les 3 Luxembourg, du 13 au 15 novembre, pour voir et revoir une sélection de 15 films documentaires diffusés sur la chaîne, accompagnés de débats et de rencontres.
Les 3 Luxembourg, 67, rue Monsieur-le-Prince, Paris VIe, entrée libre
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