Au-delà du spectaculaire de ses soirées fleuves, Avignon 2009 brille d’aventures artistiques aussi bouleversantes qu’exigeantes.
Belle ambition que celle de vouloir saisir l’époque au cœur même de ses multiples contradictions. Honorant cette année l’inscription du théâtre dans le réel, Avignon a souhaité aussi le fêter dans toute sa démesure avec la geste identitaire et bien-pensante de la trilogie du Sang des promesses de l’artiste associé Wajdi Mouawad (11heures) ou la saga, aussi cruelle que pop et chic, du triptyque Sad Face/ Happy Face de Jan Lauwers (7 heures). Mais toute médaille a son revers… À l’image des blockbusters du cinéma, ces deux Himalaya des plateaux coupent l’herbe sous le pied à l’esprit critique (sous peine de passer pour le dernier des ronchons) et déplacent l’enjeu du commentaire vers celui du compte-rendu d’un exploit qui transforme le spectateur en acteur et lui donne l’impression d’écrire avec les comédiens une page du grand livre de l’histoire du théâtre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Loin donc de l’héroïsme de ces ascensions hautes en couleurs, c’est dans les coulisses de ces exploits que nous avons trouvé notre bonheur. Car, il est en Avignon, nombre de spectacles qui en d’autres temps auraient pu faire l’événement et qui, cette année, ont fait figure de chemin de traverses pour promeneurs solitaires. Ainsi, on se sent pousser des ailes d’aventuriers des marges culturelles à rappeler les fulgurances poétiques dans lesquelles nous plonge Claude Régy avec Ode maritime de Fernando Pessoa. Une croisière d’intranquillité à vivre comme un songe trouble en se laissant entraîner par la main comme un enfant par l’extraordinaire Jean-Quentin Châtelain au sommet de son art.
Même sentiment, celui d’une immersion totale dans l’univers d’un artiste, avec Description d’un combat de Maguy Marin. Une proposition tenant plus de l’installation que du spectacle et qui nous bouscule au plus profond en rompant avec toutes les habitudes du plateau… Car, c’est en simple témoin que Maguy Marin nous place face à un paysage de bataille dont la violence et la beauté semblent inchangées depuis Homère. Le constat fait d’une malédiction attachée depuis l’éternité aux basques de notre humanité.
Solitude partagée encore avec Les Inepties volantes de Dieudonné Niangouna, celle d’un spectateur mis au pied du mur des mots dans un face à face terrible avec l’horreur absolue de ce que fut la guerre civile de 1995 au Congo Brazzaville. Pour dire cet indicible, Dieudonné Niangouna invente une langue aussi étrange que barbare. Et c’est à travers elle, qu’il exprime l’horreur absolue de cet enfer dont il a réussi à réchapper. Trois spectacles ensorcelants qui vous grandissent, ne vous laissent aucun répit et vous collent à la peau longtemps encore après avoir été vus. Le témoignage d’un véritable engagement des artistes sur les plateaux qui, du poétique au tragique, n’exclut d’ailleurs pas avoir sa part de comique, comme ce fut le cas avec Narcisses-O, la délicieuse performance de Kate Strong qui transformait en un drolatique jeu de la vérité sa participation aux spectacles courts réunis sous l’intitulé Sujets à vif.
C’est aussi avec une belle dose d’humour que le cinéaste Christophe Honoré monte Angelo, tyran de Padoue de Victor Hugo. Dans sa joyeuse jubilation à travailler sur un hors champ que le cinéma lui interdit, Christophe honoré fait figure de révélation. Un metteur en scène qui ne pourra que compter dans l’avenir, tant on a eu de plaisir à suivre les aventures rocambolesques qu’il fait vivre à Emmanuelle Devos, Clotilde Hesme et Marcial di Fonzo Bo.
S’il y eut en Avignon son lot de déceptions, celle provoquée par Les cauchemars du gecko de Raharimanana mis en scène par Thierry Bedard en est la plus cuisante et l’on retiendra surtout un dérapage verbal qui fait mal. L’océan Indien intéresse Thierry Bedard depuis quelques années et on lui doit la découverte de l’auteur comorien Alain-Kamal Martial (Epilogue d’une noyée et Epilogue d’une trottoire) ou, plus récemment, de l’auteur malgache Jean-Luc Raharimanana dont il a déjà créé 47, une pièce relatant le soulèvement malgache en 1947 et le massacre qui s’en suivit. Pour leur deuxième collaboration, Thierry Bedard a passé une commande d’écriture à Raharimanana, Les Cauchemars du gecko, à partir d’une thématique large : comment voit-on le monde lorsqu’on habite le Sud, l’Afrique ? Un cauchemar, forcément. Las, pour légitime que soit la colère de l’homme du Sud, successivement réduit en esclavage et colonisé avant de subir les affres de la mondialisation, sans parler des guerres qui s’enchaînent depuis la décolonisation, on assiste à une attaque en règle de l’Occident, du Nord et de l’homme blanc, relégué dans le camp des soumis et des « démocrades », une pièce à charge qui relève plus du meeting politique que du théâtre.
Un meeting plein de chants et de danses, citant abondamment l’actualité pour nourrir sa harangue (de l’extrait du discours en Afrique de Nicolas Sarkozy au récit du génocide rwandais ou à la liste des dictateurs africains), mais qui tourne rapidement à vide. Jusqu’au dérapage verbal, en fin de spectacle, qui dément, sur un mot, toute objectivité historique pour aboutir à la pire des confusions en évoquant cet « homme libre » qui espère en secret et sans se l’avouer que « pour de bon le nègre massacre toute la négraille, que pour de bon l’intégriste massacre toute l’islamaille, que pour de bon le juif extermine toute palestinade « . Rectification : ce sont les nazis qui ont exterminé des millions de juifs. Et l’armée d’Israël massacre, en effet, des Palestiniens. L’emploi d’un verbe plus que douteux, inacceptable. Consternant…
Heureusement, pour ce qui est de la saillie esthétique élevée au rang de satire politique, on pouvait compter sur le metteur en scène Christoph Marthaler, prochain artiste associé, avec l’auteur Olivier Cadiot, du festival d’Avignon. Il présentait Riesenbutzbach (Une colonie permanente, remarquable et splendide chant du cygne européen qui puise dans l’Histoire les ingrédients propres à stigmatiser, avec humour, les échecs de nos enfermements.
{"type":"Banniere-Basse"}