Dans une tribune publiée dans le « New York Times », un ancien sénateur du Missouri et chercheur en politiques urbaines rappelle que les émeutes qui explosent aujourd’hui sont liées à l’histoire de la ville, et à la sous-représentation des Noirs dans les institutions.
“Si vous voulez comprendre les disparités de pouvoir raciales observées à Ferguson, Missouri, comprenez qu’il ne s’agit pas que de noir et blanc, mais de vert” Le jeu de mot fonctionne mieux en anglais, mais la formule reste compréhensible : selon Jeff Smith, qui signe dans le New York Times une passionnante tribune replaçant les récents évènements de Ferguson dans le contexte historique local, il faut se pencher sur l’économie, – le green faisant référence ici au vert du dollar – pour comprendre les émeutes qui agitent aujourd’hui Ferguson.
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“White flight”, la fuite des Blancs
L’historique que dresse Jeff Smith commence dès la deuxième moitié du XIXe siècle, lorsque la ville de Saint Louis, métropole voisine de Ferguson, choisit de se refermer sur elle-même pour ne plus avoir à fournir ses services aux régions alentour. La sécession avec le comté (1876) sera fatale. Les classes moyennes blanches fuient peu à peu la cité pour s’installer dans sa périphérie, tandis que le centre urbain est gangrené par la pauvreté. Dans les années 1960-70, comme toutes les villes industrielles des Etats-Unis, Saint Louis se dépeuple. Mais son cas est particulièrement sévère. L’hémorragie de population est comparable à celle que connaît Detroit à la même époque.
Dans les années 1980, le phénomène du « white flight » (« fuite blanche ») ralentit, et c’est la population noire et pauvre de Saint Louis qui part dans les banlieues proches, parmi lesquelles Ferguson. Smith relève la rapidité avec laquelle les données statistiques de Ferguson se sont inversées : en 1990, Ferguson compte 74 % de Blancs pour 25 % de Noirs, en 2000, 52% de Noirs pour 45% de Blancs, et en 2010, 67% de Noirs pour 29% de blancs.
Seulement 6 % de policiers noirs
Le comté comporte 90 municipalités, possédant pour la plupart leur propre hôtel de ville et leurs propres forces de police. Beaucoup d’entre elles dépendent des revenus générés par les contraventions routières. Presque un quart des revenus de Ferguson proviennent des contraventions perçues par la justice, et d’autres villes à proximité en tireraient même la moitié de leurs revenus. Cela encouragerait inévitablement les municipalités à multiplier les contrôles policiers. Avec une police majoritairement blanche, consciente que les PV sont une source de revenus majeure pour la ville, la population noire est arrêtée un nombre de fois bien trop élevé comparé à sa part dans la population globale. A Ferguson l’année dernière, 86 % des voitures immobilisées, 92 % des fouilles, et 93 % des arrestations étaient celles d’afro-américains.
Dans la métropole de Saint Louis, le schéma est tout autre. La population noire de Saint Louis a élu un maire noir en 1993, et un conseiller municipal noir dans presque toutes les circonscriptions de la ville. Deux des trois sièges du conseil qui donne son accord pour tous les contrats publics de la ville sont tenus par des personnes noires. Mais parce que la population noire ne s’est installée globalement dans les banlieues comme Ferguson que depuis les quinze dernières années, très peu de Noirs y ont intégré les organes civiques.
Ainsi, à Ferguson, la population est à grande majorité noire, mais le pouvoir a une structure blanche : un maire blanc, un conseil scolaire avec six membres blancs et un hispanique, un conseil municipal avec un seul conseiller noir, et seulement 6 % d’agents noirs dans la police. La plupart des villes du nord du comté de Saint Louis fonctionnent sur le même modèle que Ferguson.
Petits arrangements entre Blancs
Les résidents blancs ont depuis longtemps consolidé leur pouvoir, continuant à être majoritaires dans les conseils municipaux et les conseils scolaires en dépit du changement démographique. Ce sont eux qui ont le contrôle des contrats et des emplois municipaux. L’organisation North County Labor Club, dont les syndicats membres sont à une écrasante majorité blancs (plombiers, électriciens, jardiniers…), a bénéficié de ces petits arrangements, opérant en retour une puissante mobilisation pour des candidats blancs.
Plus les entreprises de construction privées bénéficient d’aides publiques, plus elles financent ensuite les campagnes de réélection des élus blancs. A Ferguson, les inégalités raciales constituent donc un véritable système. Pour en sortir, Smith propose ce qui pourrait être une solution : un regroupement politique avec les municipalités alentour. Il faut donc espérer qu’une fois que les caméras des chaînes de télévision et les patrouilles de police nationales auront quitté Ferguson, ce ne soit pas la fin, mais le début d’un renouveau.
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