Septième nuit depuis la mort de Michael Brown, huitième jour de manifestation à Ferguson (banlieue de Saint Louis) ce samedi. De l’info au buzz, en passant par les hoax et les questions en suspens, cet article résume l’essentiel à retenir des derniers événements sur le sujet.
Alors que les médias américains publient un flot continu de nouvelles, la police locale, après plusieurs jours de gestion du conflit martiale – à coups de gomme cognes et de lacrymos jusque dans les jardins privés des habitants (une violation de la propriété privée, sacrosainte dans le pays) – se reconvertit dans la communication de crise. Sous la pression des médias, le chef de la police municipale de Ferguson a été contraint de donner l’identité du tireur.
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Les manifestants réclamaient son identité depuis le début des troubles. Le refus de la police était motivé par la protection de l’officier et de sa famille. La pression sur le chef de la police de Ferguson, Tom Jackson, a atteint son comble lors d’une conférence de presse ce jeudi. Les reporters l’ont enseveli d’une avalanche de noms. L’un d’eux a fait mouche : selon plusieurs médias, Jackson aurait été trahi par son langage corporel.
Tom Jackson a accompagné sa révélation d’un contrefeu : Mike Brown était suspect d’un vol avec violence peu avant qu’il meure. Une cartouche de cigarillos. Problème : le flic a aussi avoué que l’officier tireur n’était pas au courant de ce vol. Une vidéo du vol de cigarillos été diffusée par Fox 2 News Saint Louis.
Des rapports de police sur ce vol ont aussi été distribués aux journalistes sur place. Notamment à Ryan J. Reilly, du Huffington Post :
More from report pic.twitter.com/7OyD2fgrI2
— Ryan J. Reilly (@ryanjreilly) 15 Août 2014
Ce rapport de 19 pages est entièrement consacré au vol de cigarillos. Il ne contient aucune information sur les circonstances de la mort de Michael Brown : faux pas médiatique de la police, après plusieurs jours de rétention d’informations et de rétropédalages.
Du neuf côté com’ de crise.
Les médias sur place ont maintenant deux interlocuteurs : le chef de la police municipale, le désormais fameux Tom Jackson, sur la défensive depuis une semaine ; mais aussi un nouveau venu. Le chef de la patrouille des autoroutes du Missouri, le capitaine Ronald Johnson.
Johnson, selon ceux qui l’ont rencontré, est un Afro-américain charismatique aux airs de pasteur. Il a vite mis la foule des manifestants dans sa poche. Avantage supplémentaire : il est originaire de Ferguson. La communication est loin d’être parfaite entre Jackson le réservé et Johnson l’expansif. Dans sa dernière conférence de presse hier soir, Johnson dit qu’il « aurait bien aimé avoir été mis au courant » que l’on révèle finalement l’identité du tireur.
A retenir, Johnson devient le chouchou des médias et de la population : dans une prophétie auto-réalisatrice, il pourrait devenir l’homme du happy end, qui mettra fin aux troubles à Ferguson.
Mais selon les journalistes sur place, les informations données par la police sur le tard n’ont eu aucun effet tranquillisant sur les habitants. La famille de Michael Brown a d’ailleurs exprimé « son dégoût » quant à l’histoire du vol de cigarillos.
Du côté des hoax
Certains proviennent des défenseurs de Michael Brown. On peut par exemple relever la diffusion par le collectif Anonymous d’une identité erronée du policier tireur ce jeudi. Autre fausse information, partie d’un compte twitter associé aux Anonymous : une loghorrée sudiste de la femme du chef de la police de Ferguson, déclarant sur facebook que les Noirs sont des sauvages et se tuent entre eux. Elle s’avère totalement fausse.
Les 5 questions en suspens
Pourquoi Michael Brown est mort ?
Un témoin clé du meurtre, Dorian Johnson, qui marchait avec la victime durant les vingt minutes précédant l’homicide, soutient à MSNBC qu’ils ont été interpellés par un officier de police, seul en voiture, pour n’avoir pas traversé au passage piéton. Version confirmée par la police en fin de soirée de ce vendredi.
Lors d’un énième rétropédalage, les autorités révèlent finalement que les deux jeunes ont été interpellés parce qu’ils « bloquaient le passage des voitures ». Là où ça coince : la police soutient que Brown voulait s’emparer de l’arme du policier et que ce dernier a dû faire feu. Totalement faux pour Dorian Johnson. Qui maintient depuis le début que Michael Brown avait les mains en l’air lors des tirs – un geste depuis devenu un signe de ralliement des manifestants dans tous les Etats-Unis.
La version de Dorian : le policier patrouille en voiture, les interpelle parce qu’ils marchent sur la chaussée : « Get the fuck out the sidewalk ». Les jeunes répondent qu’ils sont bientôt arrivés chez eux. Enervé, l’officier agrippe Michael Brown par la nuque sans sortir de sa voiture. Michael Brown se débat, desserre l’étreinte et s’éloigne. L’officier va chercher son arme dans la voiture et crie « I’m gonna shoot you », pratiquement au même instant où il tire la première balle. Brown est touché au flanc droit, saigne, s’éloigne. Le policier sort de la voiture et tire encore « plusieurs » balles.
Pourquoi la police n’a pas cherché à contacter plus tôt les témoins oculaires de l’homicide ?
Freeman Bosley, l’avocat de Dorian Johnson, dit à MSNBC que la police ne l’a pas interrogé et a même refusé de l’entendre : « Il ne veulent pas lui parler : Ils ne veulent pas entendre les faits… Ils veulent justifier ce qui s’est passé, au lieu de distinguer le vrai du faux. ». Dorian Johnson a finalement été contacté par la police, selon ses propres dires, plus de 72 heures après l’homicide.
Combien de balles a reçu Michael Brown ?
Cette question nourrit la colère. Quand on lui a demandé, ce dimanche, combien de fois l’officier fautif avait tiré, le chef de la police du comté de Saint Louis, John Belmar, a répondu très maladroitement : « plus de deux fois… Mais je ne pense pas beaucoup plus. » Le manque de transparence – et un manque de tact évident, relatif à la mort d’un administré – est resté en travers de la gorge des manifestants.
Quand seront rendus les résultats de l’autopsie ?
Les forces de police n’ont pas encore donné de réponse claire sur ce point.
Autour de l’affaire
Un point sur les difficultés des journalistes à couvrir Ferguson : Ryan J. Reilly a été arrêté la veille mercredi par la police avec un confrère, Wesley Lowery du Washington Post, alors qu’ils tapaient sur leurs ordinateurs à l’intérieur du McDonald’s de West Florissant avenue, l’axe où se concentrent les manifestations. Une équipe télé d’Al Jazeera s’est faite gazer alors qu’ils posaient les trépieds pour faire des plans :
Enfin, un reporter-photographe freelance, Whitney Curtis, a reçu une balle de gomme-cogne dans la jambe ce mardi.
My friend & fellow photog Whitney Curtis, @nytimes freelancer, says she was hit by rubber bullet last night #Ferguson pic.twitter.com/dNTLsw2SqL
— David Carson (@PDPJ) August 12, 2014
Le New York Times a publié une carte détaillée des émeutes. Selon un dernier bilan elles ont entraîné 75 arrestations et 10 blessés, dont 3 policiers.
Cette semaine a fait prendre conscience à l’Amérique que les forces de police locales, partout dans le pays, ont hérité d’un équipement militaire d’occasion, via un programme subventionné par le gouvernement, officiellement pour combattre la menace terroriste, que les Inrocks ont déjà évoqué. Nom du programme : DOD 1033. USA Today détaille le matériel amassé via DOD 1033 par la police municipale de Ferguson, 21.000 habitants, soit autant qu’une sous-préfecture du Cantal.
Ce n’est pas la première fois que du matériel militaire est utilisé pour réprimer des manifestations aux Etats-Unis (demandez aux manifestants d’Occupy Tampa Bay en Floride).
Mais aujourd’hui, le monde entier a les yeux rivés sur Ferguson.
Le résultat est désastreux, selon les mots du président lui-même – qui n’a rien fait pour inverser la tendance en un mandat et demi.
Utiliser du matériel militaire pour rétablir l’ordre, c’est un peu comme écraser une mouche au marteau-piqueur, explique un vétéran du 82e bataillon aéroporté, témoin horrifié de la répression des manifestations de Ferguson, au Washington Post. Des membres du Congrès républicains et démocrates travaillent à un texte de loi pour interdire leur usage.
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