Dans son ouvrage « Femmes de djihadistes », le journaliste Matthieu Suc détaille le quotidien de ces épouses au rôle parfois ambigu. Principe de non-mixité strict, barbecue chez des terroristes, ébats sexuels par web cam… Un monde à part où le sacrifice est légion.
Diane Marie-Antoinette de la S. est aux anges. En ce jour sacré, la fille de bonne famille, descendante de chevaliers, se marie avec Patrick Lekpa. Rien ne peut troubler la joie de la future épouse. Ni le souvenir des années difficiles passées dans des établissements catholiques, ni celui du suicide de son père lorsqu’elle avait 10 ans. Pourtant, pour la convertie et son mari, les soucis ne font que commencer. Au lendemain des attentats de janvier 2015, le couple est considéré comme un « des éléments centraux » du groupe de terroristes à l’origine des attaques. Difficile d’imaginer un autre dessein quand le mari est un islamiste dangereux, et que l’imam n’est autre que le futur assassin de la rédaction de Charlie Hebdo : Cherif Kouachi.
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« Construi une armur autour dtoi »
Pour certaines femmes, le « Soldat d’Allah » incarne l’homme parfait. Le juste milieu entre les valeurs traditionalistes et le bad boy ténébreux. Mais si l’expérience peut sembler tentante, elle n’est pas sans risque. La plupart de son temps, Diane de la S. le passe loin de son mari incarcéré dans les geôles françaises et marocaines. En compagnie d’un couple, elle s’enferme dans un appartement tapissé de prières musulmanes jusque dans les toilettes. Malgré cet isolement, elle reste fidèle à son mari qui lui transmet ses ordres par téléphone.
Lorsqu’elle n’écoute pas les recommandations de son époux, Diane échange longuement avec Hayat Boumeddiene, la femme d’Amedy Coulibaly. Par SMS, la désormais veuve pousse la convertie à l’enfermement face aux inquiétudes de sa famille : « Te pren plu la tete avc persone, lais lé penséckil veule construi une armur autour dtoi pour k c parol et geste tateigne pas, cherche a satisfair Allah, soi patiente y a tjs une issue à tou, inch ALLAH ». Loin de la (relative) passivité de Diane face aux agissements de son mari, Hayat Boumeddiene est une lionne. De l’organisation du réseaux à l’endoctrinement de fidèles, la femme joue un rôle non négligeable.
Hayat et Amedy se sont rencontrés lorsque ce dernier était encore en prison. Après des années d’errance, la Franco-Algérienne voit en son bad boy musulman un repère. Les sources policières évoquent alors une « radicalisation mutuelle » même si Hayat semble plus extrémiste que lui. Loyale sans être soumise, elle refuse la polygamie de son mari : » Toi tu es là, tu dis aux frères : »Trouvez-moi une deuxième femme » […] ça fait même pas un an que tu es marié et tu veux une deuxième femme ! » Lorsque Coulibaly se rend chez le terroriste Djamel Beghal, le tueur de l’Hyper Casher se confond en textos sentimentaux pour excuser son absence. « Je taime ma hourie (chérie), tu est vraiment tré bel kan jy pense » écrit-il maladroitement. L’épouse aura finalement le privilège de l’accompagner où elle prendra la pose, arbalète au poing.
Faut pas déconner avec la femme d’un djihadiste
Dans un couple de djihadistes, la notion de soumission est relative. Si, dans un esprit de dévotion totale, la femme accepte de se plier aux exigences de son époux, elle n’en garde pas moins son caractère. En outre, la sentence est fatale au moindre faux pas du mari. Le « cerveau des attentats du 13 novembre » Salim Benghalem a fait cette expérience auprès de son épouse Kahina. Lorsqu’elle revient de Syrie où son mari torture des prisonniers, elle confie à une amie « Je crois que mon mari s’est remarié. Il m’a trahie ». Déçue par son attitude, elle se venge auprès du parquet de Paris en livrant des « éléments particulièrement éclairants sur la situation de son époux ».
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Si beaucoup sont totalement étrangères aux activités de leur mari, certaines épouses de djihadistes n’hésitent pas à les assister dans leurs activités morbides. Entre deux séances de torture, Salim Benghalem fait appel à une certaine Selma pour joindre des « frères ». Quand elle n’embrigade pas des individus sur les réseaux sociaux, celle qui a épousé un proche de Salim Benghalem occupe ses journées par de longues séances de téléphone arabe. Le reste du temps, elle regarde des séries américaines telles que Gossip Girl. Un péché mignon difficilement avouable pour celle qui a permis à de nombreux individus de rejoindre les rangs de l’organisation État islamique.
« J’ai passé 30 minutes à me secouer les seins pour toi ! »
Aucune mixité n’est tolérée entre les hommes et les femmes, sauf cas de force majeure. L’épouse est invisible pour l’entourage, même lorsque des colocations sont envisagées entre terroristes. Dans ce contexte, internet offre une solution idéale. C’est souvent par ce biais que les femmes rencontrent leurs prétendants et parfois même se marient via Skype. En prison, la web cam permet également de calmer les pulsions sexuelles des djihadistes. Alors qu’il réprimande sa promise, un proche de Mohamed Belhoucine se fait taper sur les doigts :« Je suis en train de te supplier [alors que] j’ai passé 30 minutes à me secouer les seins pour toi ! »
Tenues à l’écart des « affaires d’hommes » , les épouses sont parfois inconscientes des activités des djihadistes. Pour les enquêteurs, c’est une difficulté de taille pour évaluer leur degré de complicité. La gendarme Emmanuelle C., épouse de Amar Ramdani, n’échappe pas à la règle. Victime de son amour avec un proche de Coulibaly, ou complice des actes de son mari, elle sera finalement condamnée à un an de prison avec sursis au début de l’année 2016. Le motif : elle aurait consulté illégalement plus de 60 fichiers de polices. Salie dans la presse, rejetée par sa famille, révoquée de son travail, la gendarme paye les frais de son amour. Jusqu’au bout pourtant, elle crie l’innocence de son mari. Le mythe du bad boy valeureux est peut-être tentant, mais la douleur est vive lorsque le voile se lève.
Femme de djihadistes : Au cœur du terrorisme français, de Matthieu Suc, éd. Fayard
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