Dans le XXe à Paris, la lutte entre Rokhaya Diallo et la maire PS de l’arrondissement, Frédérique Calandra, pourrait mettre à mal la majorité municipale.
« On a rarement vu autant de monde à un débat sur le féminisme« , soulignait mardi soir un militant ravi. Le bad buzz a marché à l’envers : malgré la relégation dans une petite salle du XXème arrondissement, ils étaient plus d’une centaine à venir écouter Rokhaya Diallo parler du « traitement différencié » des violences sexuelles ranntre les femmes. En résumé : lorsque les accusés viennent de milieux populaires, on parle de « tournantes » ou de « viols« , lorsque les accusés sont issus de la bonne société, on parle plus volontiers de « partie fine » ou de « troussage de domestique« . Dans le premier cas, le vocabulaire met l’accent sur une « barbarie » étroitement associée à une communauté, celle des « quartiers » ; dans le second, on parle à peine de crime.
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C’est la marque de fabrique de Rokhaya Diallo et de tout un courant du féminisme : associer la lutte pour les droits des femmes au combat contre les discriminations et à celui contre les injustices sociales. Femmes, race et classe, la méthode Angela Davis ; rien de plus sulfureux n’a été développé dans le débat de mardi.
Mais évidemment le procès du Carlton et l’affaire Nafissatou Diallo étaient dans toutes les têtes. Est-ce la raison pour laquelle la maire PS du XXème, Frédérique Calandra, a interdit ce débat qui devait initialement se tenir à la mairie dans le cadre de la semaine de l’égalité femmes-hommes ? Est-ce parce qu’elle est profondément strauss-kahniene qu’elle a déclaré Rokhaya Diallo, auteure d’un article contre DSK, « persona non grata » dans « sa » mairie ?
Charlie Hebdo, le voile, Ben Laden et les Y’a bon awards
Dans un mail adressé le 30 janvier à un membre de l’équipe municipale, le chef de cabinet de Frédérique Calandra, Leif Peguillan détaille ce que l’édile reproche à Rokhaya Diallo: d’avoir signé une pétition contre le soutien à Charlie Hebdo il y a trois ans et demi, de défendre le droit des musulmanes voilées à aller à l’école, d’avoir décerné un Y’a bon award à Caroline Fourest et d’avoir affirmé en 2010 sur les ondes de RTL « ce que dit Ben Laden n’est pas faux » -lorsque ce dernier déclarait que si la France s’estime le droit d’interdire à des femmes libres de porter le voile, lui s’estime le droit de faire la guerre aux troupes françaises occupant l’Afghanistan et qu’il fallait donc que l’Etat rapatrie ses soldats.
Ce ne sont bien sûr pas des positions qu’accepte Frédérique Calandra. Mais ce sont des positions que Rokhaya Diallo n’est pas la seule à défendre. Ce débat comptait aussi comme intervenantes, Alix Béranger, de La Barbe, Christine Hamel, sociologue à l’Ined, et Sylvie Tissot venue présenter son film Je ne suis pas féministe mais…, sur la vie de Christine Delphy, compagne de route de Simone de Beauvoir. Or Sylvie Tissot et Christine Delphy ont elle aussi signé la pétition contre Charlie Hebdo. Elles aussi ont décerné un Y’a bon award à Caroline Fourest, elles aussi militaient pour un retrait des troupes françaises d’Afghanistan et elles aussi sont membres du collectif Ecole pour tou-te-s qui s’oppose à la loi sur le voile de 2004. Pourquoi donc interdire l’accès de la mairie uniquement à Rokhaya Diallo ?
Emmanuelle Ravier, adjointe EELV en charge de l’égalité dans le XXème et organisatrice du débat, ne comprend pas cet oukase: « la maire a d’abord opposé un refus non motivé à la présence de Diallo, puis a refusé toute discussion. Inviter Rokhaya Diallo, qui a une audience nationale, c’est pourtant une opportunité de faire venir des gens qui habituellement ne participent pas à des réunions sur le féminisme« .
Après Rokhaya Diallo, l’interdiction de Christine Delphy
Devant le refus des autres intervenantes de laisser Diallo à la porte de la mairie, le groupe local EELV a donc décidé de tenir la réunion dans une autre salle. Frédérique Calandra s’est alors désolidarisé de toutes les intervenantes en publiant le 25 février sur Facebook une liste d’objections au débat, au premier rang desquelles: « toutes les personnes (intervenant) appartiennent au même réseau et portent le même message » -un message qu’elle juge « antagonique avec les combats de (sa) municipalité« . Pourtant, rien de ce que l’adjointe EELV a entendu mardi ne la choque. « Je partage les idées exprimées. Et même si ce n’était pas le cas, il s’agit d’un débat, pas d’un meeting donnant la position de la mairie », rappelle-t-elle.
Le 2 mars, la situation s’envenime : Calandra annule également la projection du film sur Christine Delphy, toujours en raison d’un désaccord politique. Désormais, ce n’est plus Rokhaya Diallo mais tout un courant du féminisme français -dont se réclament certains élus EELV- qui n’a plus droit de cité dans le XXème. Le film Je ne suis pas féministe mais… a pourtant été produit grâce à une aide financière de la Mission Egalité (dirigée par Hélène Bidard, élue PC). Et comme nous l’a expliqué une employée de la Ville au téléphone: « la mission, c’est la Mairie de Paris, la Mairie de Paris, c’est la mission : c’est la même chose« . Malgré nos appels et nos mails, la Mairie de Paris n’a pour l’instant fait aucun commentaire sur la déprogrammation d’un film qu’elle a financé. A l’Hôtel de Ville on est bien embêté par cette histoire, glisse une source anonyme : si Calandra poursuit le bras de fer avec son adjointe, le groupe EELV pourrait se fâcher et mettre à mal la majorité municipale.
Un soutien de « féministes historiques » à la maire du XXème
Là où l’affaire se complique, c’est que chacune campe sur ses positions « féministes ». « Mais lorsque Frédérique Calandra menace de «défoncer» Rokhaya Diallo, ses propos relèvent du sexisme et de la pornographie : je ne connais pas ce genre de féminisme« , tacle Christine Delphy, qui soutient Rokhaya Diallo. La maire PS du XXème produisait pourtant le 3 mars sur Facebook un communiqué de femmes qu’elle salue comme étant des « féministes historiques » et qui lui apportent leur soutien. Christine Delphy connaît bien cinq des neuf signataires: elle a milité à leurs côtés au MLF dans les années 70.
« Déjà à cette époque je ne comprenais pas pourquoi certaines s’en prenaient au Coran et aux musulmans, raconte Delphy. Et un jour j’ai compris : elles sont féministes mais elles ont des préjugés anti-arabes et anti-musulmans. Préjugés qui viennent de la société mais qui viennent aussi de leurs propres opinions : elles soutiennent les politiques colonialistes de l’Etat d’Israël, qui s’appuient sur ce racisme et le suscitent. De plus Claudie Lesselier, Liliane Kandel, Catherine Deudon et Françoise Picq, mettent en concurrence l’oppression des femmes et l’oppression des Juifs – alors que personne ne leur demande de choisir ». A l’appui de sa position, Calandra compte un autre soutien, un peu plus encombrant : sous le communiqué figure également la signature d’Annie Sugier, fondatrice d’une « Ligue du droit des femmes » et ancienne collaboratrice du site Riposte Laïque. Contactée, la mairie du XXème n’a pour l’instant pas donné suite à nos demandes d’interview.
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