Ce jeudi 20 juin, près de 200 femmes se sont réunies devant le Panthéon pour « crier leur colère » contre les féminicides. Une mise en scène forte, pour interpeller les pouvoirs publics et les appeler à prendre leurs responsabilités. Reportage.
Paris, place du Panthéon, 18h30. Les militantes du collectif On arrête toutes, à l’origine de cette action contre le féminicide, arrivent le visage maculé de faux sang, des traces de strangulation sur le cou et des bleus plein le corps. « Numéro 1 pour Monica, 2 pour Pascale », commence à énumérer Sophia, organisatrice, « 54 pour Anne… » le nom des 66 victimes de féminicide depuis janvier dernier est ainsi énuméré. Chacune des victimes est en fait représentée par l’une des militantes. L’appel dure une dizaine de minutes pendant lesquelles seuls des noms sont énoncés et qui rendent ce chiffre de 66 tangible. Pourquoi cette mobilisation ? « On parle d’inaction et d’indifférence du gouvernement parce qu’il pourrait prendre des mesures concrètes », explique aux Inrocks Suzy Rojtman, porte-parole d’On arrête toutes. « Comme, par exemple, mettre en place des ordonnances de protection pour les femmes victimes de violences ou développer un programme de formation prévu par la loi mais très peu appliqué. »
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Initialement, le collectif a été créé pour organiser la grève générale des femmes du 20 juin. Pourtant face au nombre croissant de féminicides les militantes ont décidé d’agir ce jeudi 20 juin pour interpeller les pouvoirs publics et rendre visibles ces femmes, assassinées très souvent par leur conjoint ou leur ex. Plusieurs collectifs sont présents. Comme cette dizaine de femmes, pancartes à la main et badge AFD (Alliance des Femmes pour la Démocratie) épinglés au T-shirt, qui nous rappellent que ce rassemblement n’est pas le premier « Il y a déjà eu une action le jeudi de l’ascension avec les Femen. Mais on recommence parce qu’il faut qu’il y ait une prise de conscience qui freine le féminicide et sa passe par la multiplication des actions. »
Des masques à l’effigie de Macron
Un peu plus loin, une banderole est accrochée à la grille du Panthéon. Elle porte le slogan « Aux femmes assassinées, la patrie indifférente », en réponse à la devise inscrite sur le monument « Aux grands hommes, la patrie reconnaissante ». Dans une atmosphère chaleureuse et sur fond de Balance ton quoi de la chanteuse Angèle, on croise Iémima activiste chez Nous toutes. Elle s’étonne toujours du nombre de femmes tuées par leur conjoint ou leur ex dans un pays comme la France : « C’est la 66e femme, c’est fou ! Ça fait une tous les deux jours ! » Pour la militante, les pouvoirs publics doivent agir et vite, elle poursuit : « Macron ne fait rien alors que c’était censé être la grande cause du quinquennat. Si c’était des hommes qu’on tuait, ça ferait longtemps que quelque chose aurait été fait. »
Sur les pancartes, on peut lire : « Le machisme fait le lit du fascisme », « Crimes misogynes = crimes contre l’humanité », « Justice pour les femmes ». Des bandeaux portant le nom de chacune des victimes viennent rejoindre la banderole sur la grille du Panthéon. Le tout est bien gardé par les quelques hommes venus se joindre au combat de ces femmes. Certains sont vêtus des costumes de policiers ou de juges, d’autres portent des masques à l’effigie de Marlène Schiappa, la secrétaire d’Etat chargée de l’égalité femmes/hommes, de Christophe Castaner, le Ministre de l’intérieur ou encore du président Macron. Les mains maculées de sang, ils jouent les gardes du corps de la banderole. On peut lire sur leurs costumes « La police ne protège pas » ; « La justice ne punit pas ». Nombre d’entre eux sont venus soutenir une sœur, une compagne. A côté d’eux se tient une jeune militante du collectif Du pain et des roses. Et, pour elle, c’était primordial de venir : « Je suis heureuse de voir qu’il y a autant de monde, c’est important de dénoncer ce qui se passe, de le rendre visible ».
« Leur sang est sur vos mains »
Alors qu’en fond sonore, les chants féministes ont remplacé Angèle, les militantes commencent à se rassembler, se mettent en lignes et l’ambiance jusqu’ici plutôt joviale s’assombrit quelque peu. Une Marseillaise féministe est entonnée. « Et nous citoyennes ici au Panthéon crions, crions pour que leur sang n’abreuve plus nos sillons », chantent en chœur les 66 représentantes des femmes assassinées depuis le mois de janvier. Pendant une minute de colère en lieu et place de la traditionnelle minute de silence, cris, sifflements et bruits de casseroles s’entremêlent. Les représentantes tombent, l’une après l’autre à l’image de cadavres gisant sur le sol. Un « policier » entoure leur silhouette à la manière d’une scène de crime pendant que ses « collègues » se cachent les yeux, la bouche et les oreilles à la manière des singes de la sagesse. Pendant ce temps, les noms des victimes sont énumérés de nouveau et accompagnés de : « étouffée », « tuée par arme à feu », « étranglée », « tuée à la hache », « battue à mort ». Une énumération choc qui introduit une longue liste de revendications, transmises aux pouvoirs publics. « Leur sang est sur vos mains », scandent les manifestantes pour dénoncer l’inaction du gouvernement. Elles demandent principalement « que le dispositif judiciaire qui existe et qui permet de protéger les femmes soit strictement appliqué, que les mesures de protection et d’hébergement d’urgence soient renforcées et la protection de l’emploi des femmes victimes. »
Pour clore la manifestation, un micro ouvert est mis à disposition de celles qui veulent témoigner. L’une des représentantes se lance : « Je représente Babète qui n’a plus, comme moi, la chance d’être en vie. Je ne la connaissais pas et je ne la connaîtrais jamais parce que son mari en a décidé autrement. » Annie Lahmer, élue écologiste en Ile de France prend la suite et s’insurge contre ces hommes violents qui restent titulaires de leur mandat « Ce sont les hommes qui font les lois et parmi eux, il y a des hommes qui battent leur femme. » A une militante de conclure : « On doit en finir avec cette société patriarcale qui nous tue. »
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