Sans être complètement accablant, le témoignage de l’ex-directeur du FBI, James Comey, devant le Sénat révèle les pressions dont il a été l’objet de la part d’un Président qui va finir par le limoger. Et qui, à son tour, pourrait être viré.
Ils sont une centaine dans la salle H216 du Sénat en ce jeudi 8 juin. Sous le Capitole, au cœur de Washington DC, journalistes, analystes et caméras du monde entier attendent ce moment crucial avec tension. Les photographes mitraillent la quinzaine d’élus installés sur l’estrade qui fait face à un siège vide.
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Puis se tournent soudainement vers celui dont les révélations secouent les Etats-Unis depuis un mois. James Comey, impassible, traverse la salle d’un pas rapide. Impeccable comme à son habitude, l’ancien directeur du FBI plie sa carcasse de basketteur pour se glisser sur son fauteuil.
Face à lui, les membres de la puissante commission du renseignement du Sénat américain. Très pâle, mâchoire serrée et yeux cernés, l’homme s’apprête à dérouler un nouvel épisode de ce qui pourrait bien être le plus grand scandale outre-Atlantique depuis le Watergate.
Un mois plus tôt, le 9 mai, James Comey a été limogé par Donald Trump. Une révocation brutale qui soulève de nombreuses questions. L’ancien boss du FBI était en charge de l’enquête sur l’ingérence supposée de Moscou dans la campagne présidentielle américaine de 2016 et sur les liens présumés entre des membres de l’équipe Trump et la Russie. La veille de son grand oral, Comey a livré des mémos.
Sept pages de notes où il raconte ses entretiens surréalistes avec le milliardaire président. Sur la base de ces déclarations, les sénateurs veulent comprendre si oui ou non Trump a exercé des pressions sur James Comey afin d’influer sur le cours de l’enquête. Une interférence de nature à motiver une procédure de destitution du président américain.
Un Superbowl politique
L’enjeu tient le pays en haleine. Depuis le mardi 6 juin, plusieurs chaînes de télévision ont lancé le compte à rebours de l’événement diffusé en direct. Pour ce “Superbowl politique”, certains bars du pays ont ouvert plus tôt et diffusent dans une ambiance tendue l’intégralité de l’audition matinale de l’ex-chef du FBI.
De l’autre côté du Potomac, le fleuve qui traverse Washington, le principal intéressé fait mine de ne pas l’être. En pleine réunion de travail à la Maison Blanche, Donald Trump feint l’indifférence. Mais de temps à autre, il jette un œil dans la salle adjacente où une télé crache le grand déballage.
James Comey tient d’abord à dénoncer les “mensonges” de l’administration Trump
Si ses conseillers ont eu le plus grand mal à le convaincre de ne pas “livetweeter” l’audition, la veille, le milliardaire avait crânement souhaité “good luck” à James Comey. Mais de toute évidence, il n’en mène pas large.
Il est au cœur de l’interrogatoire de trois heures pendant lequel l’ancien homme fort du FBI relate le détail de leurs rencontres. Limogé pour des raisons fallacieuses, James Comey tient d’abord à dénoncer les “mensonges” de l’administration Trump et à défendre “l’indépendance” du FBI.
Le lendemain, Trump traite Comey de balance
Avant de se soumettre aux questions des sénateurs. Sans trembler, il se confie. “J’estime qu’il m’a limogé à cause de l’enquête russe.” Il parle ensuite de son “malaise” face à un Président de plus en plus pressant, de cette “impression” que Trump pouvait le “licencier s’il ne (le) considérait pas assez loyal”. Pourquoi dès lors avoir gardé le silence ? “Je ne sais pas”, déclare-t-il, invoquant “un manque de présence d’esprit”.
Quant à la question décisive de savoir si le Président a explicitement tenté de le faire renoncer aux poursuites contre son ancien conseiller à la sécurité, Mike Flynn, soupçonné de liens avec la Russie, Comey botte en touche.
“Ce n’est pas à moi de dire si la conversation que j’ai eue avec le Président avait pour but de faire obstruction à la justice.” Devant sa télé, Trump lâche un soupir. Touché, mais pas coulé. Quelques heures plus tard, il assure à ses partisans qu’il “va gagner”. Et le lendemain, il se permettra même de traiter James Comey de “balance”.
Pour autant, l’affaire ou plutôt les affaires qui impliquent les deux protagonistes sont loin d’être réglées. Elles débutent il y a presque un an lors de la course à la Maison Blanche. A propos des mails d’Hillary Clinton. La candidate démocrate est alors dans le viseur du FBI pour avoir utilisé sa messagerie personnelle quand elle était secrétaire d’Etat aux affaires étrangères.
Un bras de fer entre deux profils que tout oppose
En juillet 2016, James Comey annonce publiquement la fin des poursuites. Il s’attire les foudres d’un Donald Trump qui dénonce “un système truqué”. Une opinion qui change du tout au tout fin octobre lorsque le chef des fédéraux ouvre à nouveau l’enquête. Trump salue alors avec “respect” la décision d’un homme qui a “du cran”. Deux jours avant l’élection, bis repetita : Comey abandonne les poursuites. Mais le mal est fait et Clinton perdra.
Donald Trump vient de remporter la partie. A partir de là, une étrange relation se noue entre le president-elect et celui qu’il appelle désormais “Jim”. Une relation que James Comey analyse devant le Sénat comme une tentative de “parrainage” du Président sur un organe indépendant.
Un “parrainage” qui prend vite une allure de bras de fer entre deux profils que tout oppose. D’un côté, un trublion trapu à mèche folle, milliardaire fantasque sans expérience politique. Un 45e président des Etats-Unis élu à la surprise générale et empêtré dans des affaires qui pourraient lui coûter sa place.
De l’autre, un géant flegmatique de 2,03 m, au physique d’acteur de sitcom des années 1980. Un homme au parcours irréprochable, au-dessus de tout soupçon. A la fois professeur de droit, gestionnaire, fonctionnaire réputé incorruptible et indépendant. Nommé à la tête du FBI en 2013 par Barack Obama, il était censé y rester dix ans.
Passes d’armes autour du Russiagate
Le super agent fait consensus tant chez les Démocrates que chez les Républicains. Dans la foulée de sa nomination, il a rendu sa carte du Grand Old Party, le Parti républicain dont il a toujours été proche sans jamais en être un inconditionnel.
Se dessine peu à peu, au centre des rapports Trump/Comey, la volonté du premier d’en savoir toujours plus sur l’enquête dite du “Russiagate” dont le second a la charge. Début janvier, ce dernier prévient le nouveau Président qu’une procédure est en cours tout en l’assurant qu’il n’est, pour l’instant, pas visé. C’est leur première discussion en tête à tête. Huit autres suivront en quatre mois, toutes retranscrites par le patron du FBI, par “peur” que le Président ne “mente” à propos de ces rencontres.
Il y a ce vendredi 27 janvier où Donald Trump l’invite à venir dîner à la Maison Blanche. Pensant se rendre à une réunion, il découvre qu’il mangera seul avec le Président. Au cours du repas, celui-ci lui aurait demandé s’il voulait garder son poste à la tête du FBI. Réponse affirmative de “Jim”. Trump l’aurait alors fixé. “J’attends de la loyauté.” Interdit, Comey lui garantit “de l’honnêteté”. “C’est ce que je veux, une loyauté honnête”, enchérit le Président. “C’est ce que vous aurez”, souffle, coincé, le directeur de la police fédérale.
Rebelote trois semaines plus tard, lors d’une réunion dans le Bureau ovale. Le Président congédie les participants pour se retrouver seul avec le chef du FBI. D’emblée, Trump veut “parler de Mike Flynn”, le conseiller à la sécurité contraint de démissionner la veille, car soupçonné d’avoir caché ses liens avec la Russie. “J’espère que vous aurez la clairvoyance (…) de laisser tomber Flynn. C’est un bon gars”, lui aurait dit le Président.
Un Président de plus en plus pressant
Le virage intervient début mars lorsque Donald Trump se fend d’un tweet où il assure qu’Obama l’a mis sur écoute. Un brin ironique, Comey confie : “Avec tout mon respect pour les tweets du Président (…), je n’ai aucune information qui (les) confirme.” A partir de là, tout s’emballe.
Terrible! Just found out that Obama had my « wires tapped » in Trump Tower just before the victory. Nothing found. This is McCarthyism!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 4 mars 2017
De plus en plus pressant, le Président continue d’appeler le chef du FBI. Toujours pour savoir ce qu’il en est du “Russiagate” dont les révélations quotidiennes commencent à sérieusement l’inquiéter. En avril, lors de leurs dernières discussions,
Donald Trump parle de ce “nuage” qu’il faudrait dissiper. A plusieurs reprises, il enjoint Comey de dire publiquement qu’il n’est pas mis en cause. Refus de Comey. Trump se fait grinçant, rappelant qu’il a été “très très loyal” avec lui et que “ce serait bien de faire savoir” qu’aucune enquête ne le concerne.
Second refus de Comey. Le dernier. Un mois après, “Jim” est limogé d’un simple communiqué. Stupéfait, il l’apprend à la télé. En conférence de presse, Trump se fait insultant et le traite de “fanfaron” qui “n’a pas fait du bon travail”.
Des tentatives de nature à justifier une procédure d’impeachment
Il le menace ensuite d’un tweet de caïd qui fait frémir l’Amérique. “James Comey ferait bien d’espérer qu’il n’existe pas d’‘enregistrements’ de nos conversations avant qu’il ne commence à faire des révélations à la presse !” Cela renvoie encore un peu plus à Nixon qui avait pour habitude d’enregistrer ses interlocuteurs à leur insu.
Bien loin de l’effet escompté, cela pousse James Comey à réagir. Il décide d’organiser la fuite dans la presse de ses notes relatant ses rencontres avec Trump. Objectif : “Faire en sorte qu’un procureur spécial soit nommé sur l’affaire.” C’est chose faite dès le lendemain. Trump est fou de rage. Le Sénat décide d’auditionner James Comey.
S’il n’y a pas aujourd’hui de preuve d’une implication directe de Trump dans l’affaire russe, ses tentatives de pression sont de nature à justifier une procédure d’impeachment. Et le Sénat ne s’arrêtera pas là. Il a signifié au Président qu’il avait jusqu’au 23 juin pour livrer, s’ils existent, les fameux enregistrements. Trublion jusqu’au bout, le milliardaire a assuré, vendredi 10 juin, vouloir témoigner devant la commission du renseignement. Le duel au Sénat n’est pas terminé.
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