En France, on est plutôt réticent à révéler publiquement l’homosexualité d’une personne sans son consentement, y compris à l’égard de gays ou lesbiennes soutenant une politique homophobe.
Même l’Italie se met à l’outing. En septembre dernier, un blog basé aux Etats-Unis a outé – autrement dit, a révélé l’homosexualité – dix hommes politiques italiens, dont des ministres et députés de droite appartenant notamment au parti de Silvio Berlusconi, le Peuple de la liberté : « Cette initiative est née pour ramener un peu de justice dans un pays où il existe des personnes qui n’ont aucun moyen de se défendre contre les insultes et les attaques quotidiennes de la part d’une classe politique hypocrite », expliquent les auteurs anonymes du blog.
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Quelques semaines auparavant, les députés italiens avaient en effet rejeté pour la deuxième fois une loi réprimant l’homophobie, alors que le pays connaît une recrudescence des agressions homophobes et que l’Etat ne reconnaît pas les unions homosexuelles. L’an dernier encore, interrogé sur ses frasques sexuelles, Silvio Berlusconi, l’ancien président du Conseil, avait même lancé : « Mieux vaut avoir la passion des belles femmes qu’être gay. »
Au final, si cette initiative a été condamnée par Arcigay, principal mouvement de défense des homosexuels en Italie, elle a été soutenue par Aurelio Mancuso, président de l’association Equality Italia. Selon lui, « ces personnes ne devraient en aucune manière se sentir insultées. Le mot gay n’est pas une insulte. » De son côté, la députée ouvertement lesbienne Paola Concia (Parti démocrate) a décrit l’outing comme « un remède extrême, qui naît d’un état de fait, celui des homosexuels italiens, des citoyens sans droits », rappelant que cette pratique est assez habituelle aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.
« Le silence, c’est la mort »
Le terme « outing » a fait son apparition outre-Atlantique à la fin des années 80, alors que l’épidémie de sida se développe à toute vitesse. A l’époque, les activistes d’Act Up considèrent que la peur des séropositifs et l’homophobie « fait le jeu du sida » et que la lutte des gays doit passer par la visibilité, qu’elle soit volontaire (par le coming-out, la « sortie du placard »), ou contrainte (par l’outing) : « Le silence, c’est la mort », proclame alors la célèbre association de lutte contre le sida. Soumis à la pression associative, l’homme politique Tom Duane choisira de révéler lui-même sa séropositivité. Mais la pratique de l’outing a aussi ses détracteurs, qui la considèrent comme attentatoire aux libertés, voire homophobe.
De l’autre côté de l’Atlantique, le Royaume-Uni compte depuis une vingtaine d’années son outeur professionnel, l’infatigable Peter Tatchell, cofondateur de l’association Out Rage!. En 1994, l’activiste décide d’outer dix évêques de l’Eglise d’Angleterre accusés de condamner l’homosexualité en public tout en étant gays. La même année, OutRage! menace également de dévoiler l’homosexualité de plusieurs députés s’ils votent des lois discriminantes à l’égard des gays.
« Sur le plan de l’éthique, l’outing est justifiable à une condition : que des personnalités au placard abusent de leur pouvoir et luttent politiquement contre d’autres gays », nous explique Peter Tatchell. Ajoutant : « L’outing est un instrument de self-defence ‘queer’. Par le passé, aucun mouvement politique n’a obtenu plus d’égalité sans être provoquant. Plus globalement, rester au placard renforce l’idée qu’il y a quelque chose d’honteux à être gay. C’est pourquoi nous devons faire notre coming-out. »
En France, si Act Up-Paris adopte dès 1991 le principe de l’outing dans « son arsenal militant », comme le rappelle Philippe Mangeot, président de l’association de 1997 à 1999, il faudra attendre la manifestation des anti-Pacs du 31 janvier 1999 pour voir l’association de lutte contre le sida passer à l’offensive sur le sujet : « Nous avions été informés de la présence du député de droite Renaud Donnedieu de Vabres à cette manifestation particulièrement homophobe. Des slogans du type « les pédés au bûcher » y avaient été proclamés. Nous avons donc décidé de le menacer d’outing », se souvient Philippe Mangeot.
Très vite, la presse s’empare de l’affaire. Le Figaro parle d’un « nouveau terrorisme homo ». Le Monde estime qu’il s’agit de « délation » et évoque également un « terrorisme communautaire ». De leur côté, les militants favorables à l’outing condamne l’hypocrisie générale. Mais devant le tollé général et les menaces de poursuites judiciaires en cas de passage à l’acte, Act Up renonce. « Paradoxalement, ce fut une opération gagnante, estime aujourd’hui Philippe Mangeot, car nous voulions surtout mettre les projecteurs sur le deux poids deux mesures dont faisaient preuve la presse et les responsables politiques dès qu’il s’agissait d’homosexualité. Jusqu’à notre action, personne n’avait réellement dénoncé les dérapages homophobes de la manifestation des anti-Pacs. »
La jurisprudence Romero
Au sujet de l’outing, l’ancien président d’Act Up renvoie la balle aux journalistes et à « leur responsabilité ». Mais en 2000, un autre événement va définitivement déconsidérer une telle pratique en France : le procès intenté par l’homme politique de droite Jean-Luc Romero contre un gratuit gay qui s’était permis d’évoquer son homosexualité. « A l’époque, cela m’a causé beaucoup de tort. La communauté homosexuelle m’a considéré comme un ‘pédé honteux’ alors que j’avais prévu de faire mon coming-out un mois plus tard dans un quotidien. Je suis contre l’outing, il faut laisser chacun faire son propre chemin d’acceptation vis-à-vis de soi et des autres », nous explique Jean-Luc Romero, désormais conseiller régional PS en Ile-de-France.
« Cette jurisprudence Romero a figé le débat, se désole Christophe Martet, président d’Act Up de 1994 à 1996 et aujourd’hui directeur de la publication du site communautaire yagg.com. Le juge a condamné lourdement le journal en expliquant que rendre publique l’orientation sexuelle d’une personne sans son autorisation relevait d’une atteinte à la vie privée. Résultat, quand on leur pose la question, les responsables politiques s’appuient souvent sur cette jurisprudence de la « vie privée » pour ne pas se dévoiler. Du coup, contrairement à d’autres pays, la France compte peu de personnalités publiques ayant fait leur coming-out. »
En 2003, le journaliste Guy Birenbaum avait finalement pris le risque d’outer Renaud Donnedieu de Vabres dans un ouvrage d’enquête :
« Je l’ai fait à reculons, nous confie-t-il, Ce n’était pas mon combat. Ce qui m’intéressait dans Nos délits d’initiés, c’était d’abord de pointer les contradictions de personnalités publiques entre leur discours et leurs actes au niveau personnel. »
Tout en dénonçant le voyeurisme de notre société actuelle, le journaliste ne comprend pas pourquoi l’homosexualité des personnalités devrait rester cachée : « Si l’on considère qu’il y a égalité de droits entre l’homosexualité et l’hétérosexualité, au nom de quoi devrions-nous protéger davantage la « vie privée » d’un homosexuel ? » A l’heure de Facebook, de Twitter et des smartphones, l’outing est à portée de clic…
Marc Endeweld
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