Un clip du groupe Sarcelleslite met en scène de très jeunes rappeurs avec des armes à feu et des billets de banque. Le maire de Sarcelles a déclaré vouloir saisir la justice. Une enquête est en cours.
Stupeur, indignation, répulsion… L’éventail des réactions publiques provoquées par le clip de 1er pocheton (référence à un sachet en plastique contenant de la drogue), du groupe de rap Sarcelleslite, témoigne du rejet dont il fait l’objet. On y voit un groupe de jeunes collégiens exhiber pistolets et billets de banques, le tout sur des paroles provocatrices, dans la plus pure tradition du gangsta rap français.
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http://www.youtube.com/watch?v=_fD5-5ZaSOo
Deux mois après sa publication sur YouTube, où elle frôle les 120 000 vues, la vidéo se retrouve au centre d’une polémique qui dépasse largement le cadre du grand ensemble de Sarcelles, où le clip a été tourné. Le député-maire socialiste de la ville, François Pupponi, a annoncé vouloir saisir la justice. Une enquête est ouverte, qui pourrait conduire à des procédures pour détention d’armes, incitation à la débauche et apologie du crime. Mais cette vidéo mérite-t-elle un tel acharnement ?
« Ils veulent jouer aux cow-boys et aux indiens »
Pour condamner les auteurs de 1er Pocheton, il faudrait commencer par prouver que les armes figurant dans le clip ne sont pas factices, et que le fameux pocheton ne contient pas du romarin. Symboliquement, en dépit des paroles et de sa mise en scène provocatrices, ce clip s’apparente plus à une pâle imitation de ce que font les tauliers du rap hardcore français qu’à une déclaration de guerre.
Certains passages semblent d’ailleurs faire référence à des clips de Kaaris, le rappeur de Sevran qui s’est fait connaître en 2012 par un featuring avec Booba sur Kalash. Olivier Cachin, qui anime la Sélection Rap sur Le Mouv, rappelle par exemple que la scène où l’un des collégiens mange des billets de banque est « une référence directe » au rappeur de Sevran, qui apparaît avec une liasse de billets dans la bouche dans l’introduction du clip de Se-vrac.
De même, les contre-plongées rappellent le clip de Zoo, dans lequel des rappeurs se baladent en pleine rue avec des armes à l’épaule dans une ambiance de guérilla urbaine. « Ce clip est tout compte fait assez anecdotique, il reprend l’esthétique des clips de gangsta rap français, et illustre assez bien le propos de la chanson Petit frère de IAM : ils veulent jouer aux cow-boys et aux indiens », estime Olivier Cachin. Pour mémoire, le titre mythique des rappeurs marseillais affirmait notamment : « Il vient à peine de sortir de son œuf, et déjà petit frère veut être plus gros que le bœuf ».
« On refuse systématiquement la possibilité du second degré au rap »
En s’inscrivant précocement – sans préjuger de la qualité de leur flow et de leurs paroles – dans les pas de leurs aînés, le crew des Sarcelleslite leur reprend aussi des motifs éculés dans le rap hardcore français, où drogues, flingues et misogynie sont courants. « Ce n’est pas nouveau, Scarface continue d’être une référence dans les quartiers populaires depuis des années, les jeunes aiment jouer des rôles de méchants », explique le sociologue spécialiste du rap Anthony Pecqueux, qui a pu le constater lors d’une étude ethnographique à Villeurbanne. Les ennemis invétérés du rap en général s’en réjouissent, d’autant plus que les auteurs sont très jeunes. Ainsi selon Le Parisien, « on a bien du mal à trouver une once de second degré » dans cette vidéo.
Pourtant son réalisateur, un jeune homme de 25 ans, a fait part de sa surprise : « On parle de drogue, comme dans les films. Mais ce ne sont pas des dealers, ils vont tous à l’école. Il n’y a rien de méchant, c’est que de la comédie, que des comédiens ». Nier la capacité des rappeurs et de leur public à prendre du recul est une attitude couramment répandue. « On refuse systématiquement la possibilité du second degré au rap, c’est une constante depuis plus de vingt ans, analyse le sociologue Anthony Pecqueux. Et on continue à prendre les spectateurs de ces clips pour des idiots culturels, incapables de ne pas les prendre au premier degré ».
Ceci n’est pas pour les mineurs
De fait, de nombreux clips violents ont fait l’objet de diffusions restreintes, voire d’interdictions. « Ce fut le cas de J’appui sur la gâchette de NTM en 1993, qui a été interdit de diffusion avant minuit, ou d’Hardcore d’Ideal J en 1998, dont le clip était construit à partir d’extraits très violents du journal télévisé, et qui a été sujet à censure », rappelle Olivier Cachin. Cependant leurs réalisateurs n’ont jamais eu à faire à des condamnations.
Le cas le plus similaire à l’affaire du clip de 1er pocheton remonte à 2011. A l’époque le groupe de rap Cirdo a été poursuivi en justice pour incitation à la violence et outrage à policier dans le clip de Y’a qu’les putes qui écartent. Un homme attaché sur une chaise y est lynché puis jeté dans le canal. Le maire (UMP) de Cavaillon (dans le Vaucluse, ville d’origine du groupe), s’était porté partie civile. L’auteur du texte et le metteur en scène du clip avaient respectivement 19 ans et 20 ans.
Les deux jeunes avaient été déclarés tous les deux coupables de “fabrication d’un message violent, pornographique ou contraire à la dignité de la personne”. Le premier a été condamné à 4 mois de prison ferme et 500 € d’amende, et le second à 4 mois de prison avec sursis et 500 € d’amende. Bref, comme dit Booba dans Boulbi, à propos du rap-game, « ceci n’est pas pour les mineurs ». Le crew des Sarcelleslite est prévenu.
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