Le 6 février, dans la très respectable émission Des paroles et des actes, animée par le très respectable David Pujadas, j’ai entendu le philosophe Alain Finkielkraut terminer son interpellation de Manuel Valls par un appel vibrant à ne pas oublier “les Français de souche”, reprenant ainsi la rhétorique exacte du Front national – qui a depuis longtemps […]
Le 6 février, dans la très respectable émission Des paroles et des actes, animée par le très respectable David Pujadas, j’ai entendu le philosophe Alain Finkielkraut terminer son interpellation de Manuel Valls par un appel vibrant à ne pas oublier “les Français de souche”, reprenant ainsi la rhétorique exacte du Front national – qui a depuis longtemps fait du “Français de souche” une nouvelle catégorie socio-professionnelle, la première des appartenances imaginaires.
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Je me suis dit que Finkielkraut ne s’arrangeait pas. Sur le plateau, personne n’a moufté, l’habitude sans doute, l’inacceptable devenu routinier. Des élus socialistes ont tout de même saisi le CSA, sans trop s’interroger sur la passivité complice de celui qui est – aux dernières nouvelles – leur ministre de l’Intérieur. Ce soir-là, il y avait aussi Eric Ciotti (UMP) et Florian Philippot (FN) comme “contradicteurs” de Valls – qui ne risquait certes pas d’être débordé sur sa gauche, très peu bousculé, tout à sa triangulation tranquille. Ce n’était pas un débat contradictoire mais une traditionnelle opération de communication politique. Disons que c’est une façon d’envisager une émission politique sur le service public de la télévision.
Dans Ce soir (ou jamais !), où il fait partie des meubles, le même Finkielkraut – ou le même Manuel Valls, rêvons un peu – se serait expliqué avec Laurent Mucchielli, Didier Fassin ou Emmanuel Todd. Et ça aurait été beaucoup plus intéressant pour le contribuable qui paie sa redevance… Car c’est souvent plus intéressant d’entendre débattre des gens qui ne sont pas d’accord entre eux.
Dans l’amorce du procès en sorcellerie fait à Frédéric Taddeï, cet adage d’évidence paraît un peu oublié. C’est ainsi que sur le plateau de Ce soir (ou jamais !), du temps de la quotidienne, le même Finkielkraut avait eu l’honneur d’être opposé à Alain Badiou – philosophe difficile, voire groupusculaire, un tantinet rigide idéologiquement, revenu sur le devant de la scène intellectuelle grâce à son pamphlet contre Sarkozy, très efficacement relayé par Taddeï. Ils avaient parlé de tout, Israël compris, vérifié qu’ils n’étaient d’accord sur rien, et dans mon souvenir, c’était de très bonne tenue, le meilleur que la télévision – média réducteur et aplatisseur d’idées, évidemment – ait à offrir.
De la même façon, c’est encore Taddeï qui, sous Sarkozy, offrait le plus souvent son plateau à Emmanuel Todd. Non content de tonner contre Sarko, il ne perdait pas une occasion, statistiques de démographe à l’appui, de répéter que la France est en train de réussir l’intégration des petits-enfants de l’immigration, contrairement à l’antienne ouvertement raciste qu’on nous serine partout ailleurs. Vu chez Frédéric Taddeï.
Bon, d’accord, me direz-vous, chez Taddeï, les gauchistes de tout poil (ah, ce beau débat entre François Hollande, Didier Eribon et Jacques Rancière !) ont pour une fois le droit de cité et ça vous fait plaisir, mais les autres, les Dieudonné et autres Soral, n’y a-t-il pas là complicité objective et courte échelle médiatique à des pestilentiels ? L’objection ne se balaie pas d’un revers de main. Et on est en droit de soupçonner Taddeï de trop aimer le spectacle et la provocation. Mais lui reprocher d’inviter dans des débats contradictoires des gens dont on déteste les thèses, c’est faire bien peu de cas du débat démocratique et de l’intelligence du téléspectateur.
Mieux vaudrait réfléchir sérieusement au pourquoi de ces millions de vues sur internet des délires face caméra de pareils individus, essayer de comprendre ce qui les a fabriqués, quelles sommes de désaffiliations sociales et politiques. Mais en reporter la responsabilité sur une agora télévisuelle relève de la simplification abusive.
Interrogé pour ce numéro des Inrockuptibles, Bernard Stiegler nous a parfaitement résumé l’enjeu politique : “Je pense que si l’on empêche systématiquement quelqu’un de s’exprimer, à long terme, on crée les conditions pour ignorer les causes pour lesquelles il a du succès. Si on ne débat jamais, on s’autorise en quelque sorte à ne pas produire des contre-arguments rationnels.” Pas mieux.
Au sommaire des Inrocks cette semaine : Tilda Swinton chez Jarmusch, Cascadeur s’envole, et n’oublions pas Notre-Dame-des-Landes. Le magazine est disponible en kiosque et dans notre boutique en ligne.
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